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Déjeuner abonnés autour du homard (21/01/12)

Les abonnés du site ont pu partager deux repas autour du homard en ce début d'année, accompagnés de vins issus de la cave de chacun. L'idée est simple, profiter de la chute importante des prix de ce crustacé noble après les fêtes de fin d'année pour faire un repas en trois services suivi d’un dessert, permettant de se faire plaisir en mangeant du homard à satiété, plutôt que d'en déguster un minuscule échantillon sur un coin de l'assiette dans les restaurants étoilés. Un déjeuner à la Taverne Alsacienne à Ingersheim en janvier et un dîner à la vignette à Strasbourg en février ont permis aux deux chefs de donner libre cours à leur créativité, en suggérant leur manière propre d'accommoder la bisque, les pinces et les queues. Le premier repas a eu lieu à la Taverne Alsacienne, dans la continuité d'un repas similaire organisé il y a deux ans. Les vins d'Alsace mais aussi d'autres régions, apportés par les participants sont partis à la conquête des accords possibles, entre les arômes, la texture et la minéralité. Une belle "séance de travail"…

Plat 1

L'idée de se retrouver à table à 12 convives autour de quatre plats agrémentés de 12 vins est apparue progressivement commettant probablement le format idéal d'un repas entre amateurs de bonne chère et de bons vins. Le nombre de convives permet des discussions communes pour l'ensemble de la tablée, et le nombre de vins permet de tester des assemblages différents de cru et deux millésimes sur chacun des plats. Comme de plus un tel nombre permet en cuisine de travailler des poissons entiers voir des pièces de viande, c'est vraiment le format idéal qui satisfait tout le monde. Chaque participant ayant emmené une bouteille, cela a en outre permis de limiter l'addition à 65 € par personne, tout compris.

Premier service : La Salade d'Hiver de Homard à la Mangue et aux Truffes

Un premier plat hivernal proposant un mélange de saveurs et de textures assez complexe, mais permettant du coup à chaque vin de trouver sa place. L'austérité du Kitterlé 2001 fait immédiatement ressortir le caractère minéral du plat, et rehausse le goût de la truffe. L'amertume du pissenlit fait un bon lien avec le vin. Plus facile sur le plat, le Kirchberg de Ribeauvillé 2008 propose une première accroche sur la mangue, avant de laisser la salinité chercher la chair du homard. La jeunesse du vin convient bien au fruit, mais laisse la truffe en dehors de tout accord. Le Brand 2002 possède quant à lui la complexité des arômes nécessaires pour retrouver la truffe, mais de plus sa bouche ample et complète possède à la fois la minéralité et l'amertume pour aller chercher l'ensemble des ingrédients du plat. Ce sera l'accord le plus intéressant, et le plus complet sur ce plat.

Vin 1 

Pinot Gris Grand Cru Kirchberg de Ribeauvillé 2008 – Louis Sipp : le nez est très élégant sur des notes de petits fruits acidulés ainsi que les fruits à noyau, la bouche possède une grande pureté, une légère douceur (20 g par litre de sucre résiduel) et une forte salinité, tirant la finale en longueur. L'ensemble se montre encore jeune mais possède déjà à ce stade un équilibre magnifique. Excellent

Pinot Gris Grand Cru Brand 2002 – Josmeyer : la robe est dorée, très brillante. Le nez annonce le millésime avec une note de noisette et de sous-bois, puis de fruits mûrs avec une intensité moyenne. La bouche est presque sèche, arrondi en attaque par la pourriture noble, puis possède une belle ampleur, avec une fine salinité qui souligne l'acidité du vin. L'ensemble se montre un rien austère en dégustation pure. Très Bien

Riesling Grand Cru Kitterlé 2001 – Schlumberger : la robe de nuance or blanc possède une belle brillance. Le nez est beurré, fumé, avec une bonne intensité. L'attaque en bouche est sèche et droite, puis minérale, fine et de bonne maturité, avec un caractère austère qui demeure jusqu'en finale. Le vin possède la force du grand cru Kitterlé dans un très beau millésime. Très Bien

Deuxième service : Soupe de Légumes Oubliés comme une Bisque et Crème fermière

La bisque de homard est un plat redoutable car d'une grande concentration, à la fois en texture mais surtout en éléments minéraux. C'est le plat qui appelle un vin puissant au risque de le faire passer complètement inaperçu. Le Florimont 2002 souffrent légende ce déséquilibre. Se montrant plus rond sur la bisque, avec des notes de coquille d'huître qui apparaissent, le vin se montre légèrement dominé par la puissance de la bisque. À l'inverse, le Pacherenc 2007 se montre gras et puissant, équilibrant la concentration de la bisque. Malgré tout l'accord peine à se faire, le vin et le plat restant chacun de leur côté. Le Chablis 1983 se montre plus svelte est plus sec, mais loin de se faire dominer par la bisque, il va aller chercher les arômes marins et proposer une explosion d'arômes de coquille d'huître au contact de la bisque. Les participants peu amateurs de notes iodées trouvent cela un peu trop intense, les autres se régalent. Ce sera à mon avis le plus bel accord de la série.

Plat 2 

Riesling Grand Cru Florimont 2002 – Claude Weinzorn : produit par une des plus vieilles vignes du grand cru, plantée en 1950 sur le versant sud du terroir, ce 2002 et une grande réussite. La robe est claire, le nez peu évolué, avec des arômes francs de fruits mûrs. La bouche est dense, net, avec une belle acidité bien fondue. Très Bien

Pacherenc du Vic Bihl 2007 – Château Montus : issu d'un terroir de schistes, c'est un vin élevé en barrique qui possède un nez mur, sur les fruits à chair blanche avec une note de rhum tel qu'on en retrouve dans les millésimes très mur en Bourgogne. La bouche est ample, puissante avec une sensation de gras et de chaleur, le boisé se trouvant du coup atténué. Très Bien

Chablis Grand Cru Grenouille 1983 – Bouchard Père et Fils : la robe possède des reflets dorés, le nez est marqué par l'évolution avec des arômes d'anis, de fleurs séchées, de tilleul et une note légèrement oxydative. La bouche est sèche, acidulée, da caractère austère en dégustation simple. Une belle bouteille dans un millésime délicat. Très Bien

Vin 2

Troisième service : Queue rôtie, Jus de Viande et Espuma de Pomme de Terre

Loin de la traditionnelle cuisson au gratin façon Fernand Point, voilà une interprétation de homard rôti tout à fait remarquable tant au niveau des arômes que des textures. Un plat complexe qui a mis à mal les différents vins servis. J'avais personnellement encouragé les participants qui le désiraient à apporter du champagne, car je considère que le terroir calcaire de cette appellation convient parfaitement au homard. La cuvée 1995 de Clicquot a proposé un très bel accord, apportant légèreté, gras et belle complexité aromatique face à la richesse du plat. Comprends que certains choisissent de faire des repas entièrement au champagne. Si les pinots gris vendange tardives de Clovis bulle ont été les stars des accords avec le homard gratiné, sur cette déclinaison au jus de viande le moelleux du vin convolé peut-être moins. Le caractère vanillé, puis miellé ainsi que le moelleux en bouche tranche avec la famille aromatique proposée par le plat. Il reste un accord très intéressant entre la chair du homard et la minéralité du vin, mais il reste masqué par l'onctuosité de la pomme de terre et la sucrosité du vin. Le vouvray demi sec 1992 possède toutes les qualités qui étaient intéressantes dans les deux vins précédents, combinée en une seule cuvée. Sa concentration, son élégance, sa minéralité, sa complexité forme un ensemble cohérent parfaitement adapté au plat. Une fois de plus nous toucherons du palais un accord met et vins de toute beauté. À noter que le riesling Florimont 2002 de Claude Weinzorn redégusté sur ce plat se montrera également proche de la perfection.

Plat 3

Champagne Vintage Réserve 1995 – Veuve Cliquot : un très beau champagne gastronomique au nez élégant marqué par une note grillée, possédant une bouche nette, concentrée, d'équilibre sec, avec une longue finale acidulée. Très Bien

Vouvray demi-sec Le Haut-Lieu 1992 – Domaine Huet : dans un millésime difficile, l'intérêt de récolter le Vouvray en surmaturité est similaire à celui qui a encouragé les vignerons alsaciens à produire des rieslings surmuris cette année là. Une belle robe dorée, très brillante, laisse place à un nez élégant, complexe comme le chenin ses lettres, avec des notes de chèvrefeuille, de verveine, de tilleul et de fumée. La bouche est élégante, légèrement douce en attaque, puis pure et de grande longueur. Excellent

Pinot Gris Clos Windsbuhl 1999 – Zind-Humbrecht : sans revendiquer la mention vendanges tardives, le vin propose un équilibre surmuri avec un nez très pur sur le miel et la noisette, suivi par une bouche moelleuse, ample et profonde, de grande pureté avec une fine acidité qui se montre très présente dans la longue finale. Excellent

Vin 3

En dessert : Tarte fine aux Pommes et Glace Vanille

Pour rafraîchir les papilles, et finir sur un dessert plus léger, la tarte fine aux pommes et sa glace vanille est un des grands classiques du restaurant. La combinaison de pomme cuite et de vanille permet des accords variés entre des vins jeunes et acidulés, et des vins plus moelleux et plus crémeux. Trois vins d'exception sont présentés, qui possèdent tous les qualités indéniables en dégustation seule. Si l'acidité du Sommerberg 2008 ira chercher sans problème la pomme et le jus de mangue, l'Osterberg 2005 sera plus à l'aise sur la pâte feuilletée, la vanille, et la complexité du plat pris dans son intégralité. Le Holder sélection de grains nobles 2005 aura tendance à dominer le dessert, mais chacun l'aura bu pour lui seul avec un très grand plaisir.

Plat 4 

Pinot Gris Grand Cru Sommerberg les Terrasses 2008 – Claude Weinzorn : combinant la bonne acidité du millésime 2008 avec la salinité des granits du Sommerberg et le fruité du pinot gris, cette cuvée explosive se déguste avec beaucoup de plaisir, sa fraîcheur mettant en alerte les papilles. Excellent

Gewurztraminer Grand Cru Osterberg Vendanges Tardives 2005 – Louis Sipp : le grand cru Osterberg révèle toute sa puissance et sa densité dans cette vendange tardive de gewurztraminer, qui lui amène un fruité intense, un gras caractéristique du millésime, et une forte concentration qui donne un caractère presque sec à la finale. La texture possède un joli grain, et on imagine plus facilement ce vin en milieu de repas dans une quinzaine d'années plus tôt que sur un dessert. Excellent

Gewurztraminer Holder Sélection de Grains Nobles 2005 – Domaine Schoenheitz : le granit du Holder a permis en 2005 de produire une sélection de grains nobles remarquables de fraîcheur. Le nez est marqué par des notes d'abricot et de miel, la bouche est un concentré de fruits avec une liqueur importante (160 g/l SR) balancée par une acidité fine très présente. La parcelle entière était botrytisée, et a produit de tous petits rendements (10 hl/ha). Excellent

Vin 4

En définitive

Chercher les accords mets et vin avec le homard est un exercice difficile, tant ce crustacé nécessite de la complexité dans les vins. Ce repas ainsi que les repas précédents autour de ce produit a montré une fois de plus la nécessaire présence de calcaire ou de marnes dans les terroirs pour proposer un accord sur le minéral. D'autres terroirs permettent des associations intéressantes, basées sur l'acidité ou l'amertume, mais la vraie rencontre se fait à mon sens lorsque le minéral du terroir rencontre le corps du homard. Exemple flagrant avec le Chablis servi sur la bisque, ou le Clos Windsbuhl servi sur les queues rôties. Lorsque cela n'est pas possible, il reste à accorder les arômes du vin à ceux du plat, voire de jouer sur l'acidité et le moelleux du vin pour équilibrer ceux du plat. La combinaison parfaite a lieu lorsque l'ensemble des approches sont réunies, que les arômes sont harmonieusement mélangés, que les textures se renforcent mutuellement, laissant la minéralité du vin et du plat se rencontrer. Il se produit alors une sensation de plénitude, d'amplification des saveurs, et d'équilibre qu'on qualifie généralement d'accord parfait. Si on n'en rencontre pas très fréquemment, ce repas aura permis de montrer une voie possible pour s'en approcher.

Un autre intérêt d'un tel repas est de pouvoir confronter à table des grands vins d'Alsace avec des grands vins des autres régions de France, et de se rendre compte de l'homogénéité qui existe à ce niveau de qualité, mais aussi de la cohérence des accords basés sur les terroirs, indépendamment des cépages ou des régions d'origine. Les grands vins d'Alsace sont malheureusement trop peu souvent servis côte à côte avec les autres grands vins de France, ce qui les empêche de montrer leurs grandes qualités.

Thierry Meyer