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Masterclass Alsace de l’hiver (10/12/11)

La dernière masterclass de l'année a permis de faire une dégustation centrée sur l'apogée des gewurztraminers du millésime 2004, mais également cette année encore de discuter plusieurs verres à la main des choix de vin possibles pour les réveillons de fin d'année. Si une certaine déception a marqué la première thématique, la dégustation de vins dans l'idée de les servir lors des fêtes de fin d'année fut un moment très convivial, avec des vins d'Alsace d'une grande diversité qui ont montré leur grande versatilité.

L'apogée des gewurztraminers 2004

Le millésime 2004 avait démarré comme souvent en Alsace, avec une alternance de temps sec et temps humide durant le printemps et l'été, produisant des raisins à la maturation lente, qui étaient une fois de plus sauvés par le beau temps du mois de septembre. Deux variations par rapport à ce schéma classique ont cependant donné un caractère particulier au millésime. Tout d'abord, la grande sécheresse du millésime 2003 ayant fait souffrir la vigne plus que d'habitude, celle-ci chercha à compenser sa souffrance avec une vigueur supérieure à la normale, destinée à produire des rendements plus élevés. Les vignerons ont parfois fait des vendanges en vert durant l'été, mais même les raisins restés sur pieds furent marqués par cette grande vigueur. Le deuxième phénomène qui a marqué le millésime est sans aucun doute la période de pluie qui a débuté autour du 20 octobre en Alsace, qui a retardé les vendanges pendant 15 jours, en favorisant les départs de pourriture. On distingue donc deux profils de vins dans le millésime, selon que les raisins ont été récoltés avant ou après les pluies. Dans le cadre du gewurztraminer, cépage qui a souvent encaissé la surmaturité lors d’une récolte tardive au prix d’un taux élevé de sucre résiduel,  il était important de vérifier si l'équilibre allait devenir plus sec avec un vieillissement en bouteille.

Les sept cuvées dégustées ont montré qu’une bonne maturation des raisins était indispensable en 2004, et que cette maturation s'est souvent faite accompagnée de botrytis. Si on écarte les trois bouteilles marquées par un bouchage défectueux (un taux élevé inhabituel), les deux derniers vins montrent clairement que le caractère abouti du gewurztraminer ne pouvait se réaliser souvent que lors de vendanges très tardives, donc souvent botrytisées. L'intéressante comparaison des deux crus de Paul Ginglinger montre également que les variations de terroirs et de climat sur des terrains parfois proches ont pu avoir une incidence forte sur la maturation du fruit, et donc sur le vin qui a été produit.

Dans tous les cas, tout les gewurztraminers du millésime 2004 sont arrivés à maturité, et ne se bonifieront probablement pas avec une garde supplémentaire. Au contraire, il est désormais important d'ouvrir votre carton de six ou douze bouteilles si ce n'est déjà fait, pour évaluer le degré d'évolution de chaque vin. Pour garder une note optimiste, signalons que l'ensemble des vins dégustés, qui pouvaient présenter une sucrosité importante lorsqu'ils étaient bus jeunes, se présentent désormais sur un équilibre beaucoup plus sec qui les rend agréable, même à table.

Gewurztraminer Cormier 2004 – Etienne Loew : le vin était prometteur, avec sa concentration, sa profondeur, sa fine acidité. Malheureusement cette bouteille est méchamment bouchonnée, au point d'en être imbuvable. Dommage.

Gewurztraminer Kaefferkopf 2004 – Jean-Marc Bernhard : une cuvée issue de la partie gréseuse du cru, située sur un substrat granitique derrière le Wineck-Schlossberg. Le vin est ouvert, léger, avec des arômes de fleurs jaunes et de fruits jaunes, mais malgré sa noble origine, se montre déjà évolués. La bouche est légère, pure et d'équilibre demi sec, avec une acidité moyenne. L'ensemble est élégant mais marqué par la vigueur des vignes en 2004, et même s’il ne possédait pas l’AOC Alsace Grand Cru en 2004 pour des raisons administratives, il en aurait été indigne. À boire. Bien

Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2004 – Paul Ginglinger : le nez nécessite de l'aération pour s'ouvrir, avec des arômes de fruits mûrs. La bouche est ample, marquée par un moelleux en attaque puis concentrée, finement acidulée avec une jolie amertume en fin de bouche. Le caractère légèrement végétal de la finale signe le millésime, mais à l'aération le grand cru Eichberg reprend le dessus et propose une belle suavité. Un vin qui supportera une conservation supplémentaire en cave. Très Bien

Gewurztraminer Grand Cru Pfersigberg 2004 – Paul Ginglinger : un vin élégant au nez épicé, fumé, avec une légère note de réduction initiale. La bouche est ample et moelleuse en attaque avec une acidité qui se présente de manière vive, puis élégante. La  finale est plus sèche, sur la pierre à fusil et la fumée. Présentant une légère réduction initiale, l'aération n’arrive toutefois pas à supprimer le caractère légèrement végétal de la finale. Une cuvée toujours très facile à boire jeune, en comparaison de l'Eichberg qui se montre plus refermé et paraît plus simple et plus doux. Au vieillissement le gewurztraminer issu de l'Eichberg reprend le dessus, en particulier sur ce millésime 2004 à la maturation difficile. Bien

Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Bergbieten 2004 – Frédéric Mochel : le nez présente d’agréables notes florales. La bouche est droite, riche et acidulée en attaque, évoluant sur un équilibre presque sec, avec une belle minéralité. Malheureusement l'ensemble est gâché par un mauvais liège, présent au nez mais beaucoup plus encore en bouche.

Gewurztraminer Grand Cru Furstentum Cuvée Laurence 2004 – Domaine Weinbach : la robe prend des reflets dorés. Le nez est ouvert et intense, clairement surmûri avec des arômes d'ananas, de miel, de fruits jaunes, sans oublier une pointe d'abricot. La bouche est ample, moelleuse en attaque, puis très concentrée, légèrement saline avec une grande pureté. Le moelleux (35 g/l de sucre résiduel) est parfaitement intégré avec l'acidité. Un vin complet à la maturation aboutie, taillé pour la grande garde. Excellent

Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé Vendanges Tardives 2004 – Agathe Bursin : une version très riche de ce vin de terroir, qui frôle le liquoreux avec près de 100g/l de sucre résiduel. La robe est jaune or très brillante, le nez est mur, avec des arômes de fruits confits, de miel et une note de petits fruits acidulés. La bouche est ample, moelleuse en attaque, puis possède le caractère charnu délicieux si typique du Zinnkoepflé, avec une finale saline. Une grande réussite pour un vin très abouti, qui supportera encore une grande garde supplémentaire. Excellent

Les vins de fête : discussion autour d'un verre

La thématique des vins de fête est apparue il y a deux ans, en voulant proposer quelques types de vins d'Alsace pour accompagner les spécialités des différents réveillons de fin d'année. Si la discussion de 2009 portait sur les vins démonstratifs, aptes à se mesurer aux grandes bouteilles des autres régions généralement servies en fin d'année, la dégustation de 2010 a permis d'aborder les thématiques légèrement plus précise, en se posant la question de leur facilité de dégustation, ou de leur buvabilité.

Cette année encore, plutôt que de se concentrer sur un cépage ou une appellation particulière, la réflexion porte sur les différents moments durant lesquelles le vin aura une place particulière. Si les grandes tables du fameux repas gastronomique français appellent des vins amples et expressifs, le dîner léger qui suivra ces banquets fera appel à des plats communs des vins plus légers, mais restant toujours en harmonie. Enfin, certains vins s'apprécient pour eux-mêmes, et quel meilleur moment pour profiter de quelques vieilles bouteilles par d'avoir sa famille et ses amis réunis en un même endroit. C'est le moment de rappeler une demi-bouteille de vins liquoreux suffi à régaler une douzaine de convives.

Les vins puissants des grandes tables

Les grands repas de Noël nouvel an, généralement au déjeuner, sont l'occasion de sortir de belles bouteilles, en particulier des Alsace. Si l'objectif pour l'amateur de vin est de servir la bonne bouteille au bon moment, on choisira comme d'habitude des bouteilles faciles à boire, qui plairont au plus grand nombre, chacun trouvant les qualités dans le vin en fonction de ses connaissances et de son aptitude à la dégustation. Ainsi, pour ouvrir le bal avec un grand vin blanc sec, quoi de mieux qu'un riesling de bonne origine, sec et ample avec un joli fruité, sans avoir une acidité repoussante pour le commun des mortels. Si 2008 et 2010 ont certainement produit des vins à l'acidité importante qui saura flatter le bec acide des plus « Nossitériens » des connaisseurs, certains vins secs du millésime 2009 seront probablement plus adaptés aux palais familiaux, surtout s'ils ne viennent pas d'Alsace.

Dans un même ordre d'idées, plutôt que de sortir un vin liquoreux trop sucré au moment du dessert, le choix pourra se porter sur un vin à la fois fruité et charnu, dont le moelleux enveloppant sera un parfait compagnon des tartes, biscuit et autre bûches. Plus que les gewurztraminers ou le pinot gris, en vendange tardive en sélections de grains nobles, le muscat produit des vins amples au fruité charnu sur les beaux coteaux. La fraîcheur de ses arômes apporte une touche de légèreté aromatique bienvenue en fin de repas.

Entre les deux, loin de sortir des vins trop démonstratifs cette fois, on se souviendra que le plateau de fromages est souvent l'occasion de sortir un gewurztraminer de millésimes à point, se dégustant pas trop moelleux, mais proposant une belle complexité aromatique qui s'accordera à merveille avec les fromages affinés. Des deux versions dégustées, on retiendra la plus sèche sur des fromages à pâte pressée cuite comme le comté, et la plus botrytisé sur des fromages à pâte persillée.

Riesling Clos Saint Landelin 2009 – René Muré : Nez ouvert sur les agrumes et les épices, bouche ample, minérale et charnue avec une acidité très présente. Longue finale sur les fruits acidulés. Un vin très pur, à carafer jeune ou à garder. Excellent (5g/l SR)

Gewurztraminer Seigneurs de Ribeaupierre 2000 – Trimbach : Le nez est parfumé, à la fois épicé et marqué par des notes de fleurs jaunes. La bouche est dense, équilibrée et minérale, avec une rondeur toute florale qui lui donne un bel équilibre gras et sapide. Le vin n’est pas pour autant léger, la fin de bouche est corsée et parfumée. Un vin qui évolue très bien, et qui supportera encore de nombreuses années de garde. Très Bien

Gewurztraminer Cuvée Prestige 1989 – Paul Buecher : si la robe aux reflets verts laisse penser à une cuvée de maturité moyenne, le nez rappelle sans équivoque le botrytis du millésime 1989 : miel, épices au pluriel, pralin et une légère note beurrée forme un bouquet élégant et complexe. La bouche est pure, aérienne avec un moelleux discret et une fine acidité qui apporte du peps en finale. Un vin de corps moyen qui se présente particulièrement bien en ce moment. Très Bien

Muscat Bollenberg vendanges tardives 2009 – Valentin Zusslin : Nez pur sur les fleurs blanches et l'abricot, bouche pure, ample et moelleuse, élégante avec une longue finale parfumée sur le muguet. Toute la pureté d'un grand muscat de terroir se retrouve dans cette cuvée onctueuse, fraîche sans forcément avoir un vrai caractère de vendange tardive. Excellent (52g/l SR 4g/l AT, 2 000bt produites)

Les vins du soir

Les vins du soir sont ceux qui accompagnaient les repas plus légers, généralement composé des restes du repas précédent, d'un plat chaud genre tourte ou tartes salé, et de crudités, avant de terminer le plateau de fromages. Si les vins des repas précédents sont parfois encore très plaisants, d'autres ont tendance à s'éventer même refermé, et il est parfois préférable d'ouvrir de nouvelles bouteilles. Parmi les trois vins sélectionnés, un auxerrois du millésime 2008, remarquable de minéralité, qui fera toujours bonne impression quel que soit le plat. Les pinots blanc 2008 ont été à la fête l'année dernière et cette année, et leur succès continue, même si on trouve de ci de la quelque discrète note de champignon qui vienne rappeler que le millésime n'était pas exempte de botrytis. Du botrytis on peut aussi on retrouve dans le pinot gris, en particulier dans un millésime comme 2002, et pour peu que le terroir soit bon, on se retrouve sur des vins parfaitement adaptés à des plats à base de pâte feuilletée : tourte, pâté chaud, feuilleté divers aux champignons ou au fromage. Pour les inconditionnels du vin rouge, un vin plus souple et moins charpenté que d'accoutumée sera parfait sur ce plat, en particulier certain pinot noir de millésimes plus légers comme 2007, 2004, ou 2002. La cuvée retenue pour cette dégustation ne sera malheureusement pas à la hauteur.

Auxerrois Vieilles Vignes 2008 – Paul Blanck : une cuvée une nouvelle fois très réussie au nez de fruits à chair blanche, minérale et cristalline en bouche avec une acidité franche très mur. Belle sapidité. Très Bien

Pinot Noir  Gaensbrunnen 2002 – Cave de Pfaffenheim : la robe est tuilée, légèrement trouble le nez est marqué par des fruits cuits, avec des fruits à l'eau de vie à l'aération, signant une maturité très avancé. La bouche est souple, très mur, mais reprend les notes de fruits cuits, avec des tanins patinés mais encore présents en fin de bouche. Le vin est clairement fatigué sur cette bouteille. Bof

Pinot Gris Rotenberg 2002 – Zind Humbrecht : un vin parfait maturité à la robe très brillante, parfumé au nez avec des notes de miel, de fruits jaunes et une note de sous-bois. La bouche est ample, concentrée et encore moelleuse en attaque, mais rapidement dominée par la concentration du vin plus que par le sucre, avec une présence tannique qui marque la finale est rend le vin très gastronomique. Excellent (37 g/l SR)

Les vins à boire pour eux, au retour de la balade digestive

Gewurztraminer Cuvée Christine 1990 – Domaines Schlumberger : Le nez est intense, net et complexe, avec des arômes de fruits confits, de pain grillé, de  noisette et une pointe de fumée. La bouche est moelleuse en attaque, puis douce et fondue, avec une finale ronde sur le caramel salé. Une cuvée originaire du terroir de grès du Kessler, qui s'exprime particulièrement bien sur cette bouteille. Excellent

Riesling Schlossberg l'Epicentre 2009 – Albert Mann : véritable essence de riesling récolté à maturité de sélection de grains nobles, voilà un vin à la liqueur fine d'une grande pureté, rehaussé par une acidité intense. Le florilège des agrumes frais dans la longue finale est impressionnant. Une rareté produite en toute petite quantité, ce qui explique que la mention sélection de grains nobles officielle (nécessitant de sacrifier plusieurs bouteilles pour les différents examens) n'ait pas été demandée. Exceptionnel (10,va la vie %, 133g/l SR, 8g/l AT, 350bt  produites)

Ainsi va la vie des masterclass de l'Oenothèque Alsace. Alternant dégustations techniques autour d'une thématique précise, et dégustation plus hédoniste autour d'une thématique prêtant à la discussion, c'est à chaque fois un petit morceau de la complexité des vins d'Alsace qui est analysée au travers de bouteille représentative de l'ensemble de la gamme Alsace, mais aussi de ce qui fait de mieux dans la région. Ce qui est amusant en lisant les commentaires des participants, c'est de se rendre compte que chacun y trouve quelque chose à apprendre, du plus novice des dégustateurs au plus expérimenté des spécialistes alsaciens. Le fait que chaque vin dégusté à l'aveugle permet également de s'absoudre de la notoriété de l'étiquette, et ainsi de se rendre compte de la manière dont son palais réagit sans information de l'origine et du producteur.

Thierry Meyer

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