Restaurant La Vignette, Strasbourg
3 février 2012
Les abonnés du site ont pu partager deux repas autour du homard en ce début d'année, accompagnés de bouteilles issues de leur cave. L'idée était simple, profiter de la baisse importante des prix de ce crustacé noble après les fêtes de fin d'année pour faire un repas en trois services suivi d’un dessert, permettant de se faire plaisir en mangeant du homard à satiété, plutôt que d'en déguster un minuscule échantillon sur un coin de l'assiette dans les restaurants gastronomiques. Un déjeuner à la Taverne Alsacienne à Ingersheim en janvier et un dîner à La Vignette à Strasbourg en février ont permis aux deux chefs de donner libre cours à leur créativité, en suggérant leur manière propre d'accommoder la bisque, les pinces et les queues.
Après un superbe déjeuner à la Taverne Alsacienne, le deuxième repas fut organisé à Strasbourg, dans le jeune et très prometteur Restaurant la Vignette, situé route des Romains à l'ouest du centre-ville. Le menu placé sous le signe de la créativité fut l'occasion de combiner de manière judicieuse les vins amenés par les participants, et de trouver quelques accords remarquables.
Premier service : Bisque de Homard en Chantilly de Cerfeuil tubéreux, Croûtons persillés
Le premier service de homard est un plat velouté, onctueux, très riche en goût avec le cerfeuil apportant de l'amertume, et les croûtons aillés et persillés apportant du croquant. À la réflexion, on se demande si c'est bien raisonnable de débuter le repas par un tel plat. Les trois vins prévus sur ce plat montrent l'incroyable diversité des accords possibles. Le Chablis offre un accord classique entre un vin de terroir calcaire et un crustacé, le plat faisant ressortir de fortes notes iodéesau contact du vin. Caractère marin qui plaît beaucoup aux amateurs de fruits de mer, mais dont l'intensité gêne certains participants. Le Savennières, plus jeune et plus vif, se montre plus direct avec son acidité qui tranche dans le velouté du plat, donnant un accord en contraste qui apporte de la fraîcheur. Enfin, le grand cru Rangen offre peut-être l'accord le plus complexe de la soirée, même si le terroir volcanique ne répond pas directement au caractère minéral du crustacé. La complexité du vin, son caractère velouté et sa légère amertume offre une fusion en parfaite harmonie avec le plat, d'autant plus que la concentration de la bisque égale celle du vin. En fin de service, le Montlouis vient rafraîchir les palais et les préparer pour le prochain plat.
Savennières Roche aux Moines 2009 – Pierre Bise : la robe est pâle, le nez intense, avec des arômes de fleurs, de miel de fleurs, encore très jeune. La bouche est droite en attaque, voire vive, puis saline, sèche avec une belle longueur. Certains le trouvent un peu rude, personnellement j'adore la minéralité et la personnalité de ce vin. Très Bien
Gewurztraminer Grand Cru Rangen 1990 – Zind Humbrecht : la robe se présente dorée et très brillante, avec une forte viscosité apparente. Le nez est ouvert, complexe et de bonne intensité, avec des notes de pierre sèche, mais également du miel, de la truffe noire, et une déclinaison d'épices grillées remarquables de fondu. La bouche est ample et ronde en attaque, puis élégante, très nette avec une fine salinité qui prolonge la finale. La légère douceur masque en partie les amers pourtant présents dans ce vin. Un grand vin de style demi sec, arrivé à maturité, qui exprime parfaitement le terroir du Rangen sur un cépage qui lui apporte beaucoup de charme. Excellent
Chablis 1er Cru Mont de Milieu 1979 – Albert Pic : la robe est or clair, le nez encore très jeune, avec des notes florales, de la noisette, du pain grillé, une pointe d'encaustique et de fumée apparaissant à l’aération. La bouche est riche, sèche et ample en attaque, de bonne maturité avec du gras, finissant sur une légère amertume peut-être causée par un bouchon pas tout à fait parfait. Très Bien
Montlouis les Choisilles 2008 – François Chidaine : le nez est ouvert, complexe avec des arômes de mie de pain, de miel et de fruits à chair blanche. L'attaquant bouche se fait sur un équilibre demi sec puis le vin se montre frais et salin, avec une fin de bouche un peu dure dans ce millésime. À garder quelques années. Très Bien
Deuxième service : Les Pinces en Tartare aux Fruits de la Passion, râpée de Radis noirs à l’Orange Sanguine
Le deuxième plat est remarquable de complexité, tant au niveau des arômes que des textures. Le fruit de la passion apporte acidité mais également une note plus amère, tout comme l'orange sanguine, le radis noir, et le kumquat qui vient compléter la préparation. Dans cet ensemble à la fois acidulé et croquant, remarquable de fraîcheur, les amers se mêlent et annoncent des accords remarquables avec des vins de grande complexité. Le Puligny de Carillon se montre puissant, bon compagnon du plat et surtout de la chair du homard qu'il va relever. Mais il a une tendance à exacerber le goût de radis noir, renforçant l'amertume en fin de bouche. À l'inverse, le grand cru Hengst va complètement annihiler le radis noir, mettre en avant la chair du homard, et renforcer le goût du fruit de la passion. Mais le millésime 2007 et son onctuosité peine à s'accorder parfaitement avec la vivacité du plat. Les Chassagne-Montrachet étant défectueux, nous appelons un dernier riesling grand cru à la table, et c'est la révélation. Le terroir du Florimont, marno-calcaire et issu d'une couche géologique similaire à celle du Hengst, se montre tout aussi remarquable sur le radis et sur le homard, mais issu du millésime 2008 frais et acidulé il magnifie les agrumes, le kumquat et le fruit de la passion, et forme un accord remarquable sur toutes les dimensions, minéralité, croquant, amertume. Rarement un plat aura mis les qualités d'un vin autant en avant. Un grand moment.
Puligny Montrachet 1er Cru Perrières 2006 – Carillon : le nez est très pur, sur des notes florales, restant moyennement intense même après aération. La bouche est ample, puissante en attaque, concentrée avec du gras, prenant un équilibre salin qui finit très long. Du grand Bourgogne blanc, apte à se mesurer aux meilleurs terroirs alsaciens. Excellent
Riesling Grand Cru Hengst 2007 – Josmeyer : le nez est ouvert, fumé avec une pointe de réglisse sauvage. La bouche est ample en attaque, sèche puis grasse, puissante avec une belle salinité, finissant tout en longueur sur un équilibre très pur. Un grand vin qui arrive doucement à maturité. Excellent
Chassagne Montrachet 1er Cru Les Caillerets 1997 – Marc Colin : ce flacon fait suite au même cru de la maison Bernard Morey, malheureusement bouchonné. Mais cette bouteille ne se montre pas sous un meilleur jour, présentant tous les signes d'une oxydation prématurée. Robe très dorée, nez de pomme cuite et de pain grillé, bouche ample, fine mais malheureusement oxydée, montrant une forte évolution. Nous appelons alors le riesling de secours à la rescousse.
Riesling Grand Cru Florimont 2008 – Claude Weinzorn : un grand Florimont au nez marqué par une déclinaison d'agrumes, souligné par une pointe fumée. La bouche est ample, profonde et de belle maturité, avec du fruit, une forte acidité, et une fine salinité qui souligné le terroir exceptionnel. Un vin déjà mis en avant en début d'année comme étant certainement un des plus grands vins produits sur ce grand cru, qui confirme aujourd'hui toutes ses qualités à table. Excellent
Troisième service : Sabayon de Homard au Champagne, Héliantis et Oca du Pérou juste poêlés à l’Huile d’Olive citronnée
Le troisième plat revient sur un équilibre onctueux, portée par les queues de homard rôti, le sabayon mais également les légumes d'accompagnement, qui amènent du corps au plat. Un plat qui appelle des vins corpulents, de manière à canaliser la concentration de la sauce pour aller chercher l'accord sur la minéralité du homard. Contre toute attente, le crémant se montre remarquable, tout comme le champagne lors du précédent repas. La vinosité et l'acidité du vin permettent de trancher dans la richesse du plat, et de mettre en accord sa minéralité avec celle du homard. Le riesling Florimont peine à équilibrer la richesse du plat, et se retrouve perdu cette fois-ci pour retrouver le crustacé. Il reste cependant un compagnon agréable, surtout grâce à l’huile d’olive citronnée qui forme un bon liant avec le vin. Le Vouvray forme enfin un accord remarquable, malgré son coté légèrement bouchonné. Son équilibre acidulé et légèrement amer vient bien se fondre avec les légumes et se lie magnifiquement avec l’huile citronnée, avant que la minéralité du vin vienne rejoindre celle du homard. Avec une bouteille parfaite, cela eût été l'accord parfait.
Crémant Clos Saint Landelin 2005 – René Muré : un petit lot dégorgé fin 2010 et non dosé a permis de produire ce crémant remarquable. Le nez présent un joli fruité, pur et intense, à peine marqué par une note boisée. La bouche est riche en attaque malgré l'absence de dosage, puis ample et grasse avec une bulle très fine et une acidité qui souligne le caractère sec de ce crémant. Une cuvée très nette, dont l'élevage long a affiné la bulle et augmenté la complexité. Un très grand crémant d'Alsace. Très Bien
Riesling Grand Cru Florimont 2007 – Claude Weinzorn : le grand millésime 2007 se présente sur ce cru de manière ouverte, avec un nez intense, fruité avec une pointe de vanille, très élégant. La bouche est ample en attaque, puis plus fraîche à cause d'une pointe de gaz encore perceptible, évoluant sur un équilibre jeune, acidulé, qui a toutefois déjà gagné en complexité avec le vieillissement. Moins vertical que le millésime 2008, mais certainement plus abouti dans la maturité, c'est un vin qu’il sera intéressant de suivre après plusieurs années en cave. Très Bien
Vouvray Sec 1961 – Clovis Lefèvre : une bouteille remarquable au nez complexe de fleurs séchées, d'anis, de pain grillé avec une pointe végétale, qui possède une bouche sèche, de bonne concentration, malheureusement teintée d'une pointe de liège. Un très beau cinquantenaire qui doit se montrer encore plus remarquable sur des bouteilles au bouchon parfait. Très Bien
En dessert : Carpaccio de Mangue à l’Huile d’Olive vanillée et au Poivre long de Java, Granité d’Ananas au Rhum
Le dessert fut un peu hors sujet, mais une occasion en or pour confronter des bouteilles de vin d'équilibre différent avec un dessert peut-être plus complexe que l'intitulé le suggérait. Si la mangue est très fraîche et très parfumée, l’huile d'olive vanillée lui apporte une onctuosité supplémentaire, et le poivre de Java apporte une touche de complexité avec des notes de cuir. Le plat est saupoudré de petits morceaux de kouglof grillé, qui apporte un croquant intéressant. Le granité d'ananas au rhum complète le plat par une note plus chaude, mais aussi plus aromatique. Les trois vins possèdent une complexité différente. Le riesling de Louis Hauller est simple et fruité, très facile à boire avec un équilibre remarquable entre l'acidité et le moelleux. Légèrement charnu, mais un rien trop aérien pour le plat, le vin est malheureusement dominé en bouche. Le muscat du clos Saint Landelin se montre très riche mais également très complexe. Il serait probablement en désaccord sur le dessert s'il n'avait pas tous les accompagnements. On comprend ici tout l'intérêt du poivre de Java, du rhum et de l’huile vanillée. Un tel vin est malgré tout peut-être trop complexe pour passer au dessert, et il faudra le réserver à un plat principal dans quelques années. La quintessence de grains nobles du Domaine Weinbach est un dessert en soi, dont la concentration et l'intensité de l'acidité peuvent a priori faire peur dans le cadre d'un accord avec le dessert. La grande surprise est que les deux s'accordent parfaitement, la minéralité et l'acidité du vin renforçant le caractère acidulé de la mangue, et renforçant la note de poivre. Une bonne surprise pour ceux qu'un tel accord effrayait a priori.
Riesling Vendanges Tardives 2007 – Louis Hauller : le nez ouvert, aromatique et simple sur des notes d'ananas frais. La bouche est légère avec une attaque moelleuse marquée par les agrumes murs, puis une acidité fine qui équilibre la douceur et apporte une touche de légèreté. Un vin plaisant, à boire au dessert sans tarder. Très Bien
Muscat Clos Saint Landelin Vendanges Tardives 2007 – René Muré : la robe est intense, dorée. Le nez est ouvert, très mur avec des arômes de chocolat, de menthe et de miel, de raisin de Corinthe, offrant une belle complexité. La bouche est riche en attaque, ample et moelleuse, soutenue par une belle acidité, terminant sur une légère note de sous-bois. Un vin très complexe, à garder et à réserver pour le milieu du repas plutôt que sur le dessert. Excellent
Pinot Gris Altenbourg Quintessence de Grains Nobles Cuvée d'Or 2008 – Domaine Weinbach : un vin très concentré à la robe claire qui signe la pureté du botrytis. Le nez est marqué par des arômes d'abricot sec, de miel, d'agrumes confits, avec une pointe d'acidité volatile bien présente, qui renforce leur intensité. La bouche est à la fois très liquoreuse est fortement acidulée, ce qui crée un contraste très puissant mais permet de garder un équilibre tout à fait digeste. Ne pas hésiter à le boire jeune rien que pour lui seul. Exceptionnel
En définitive
L'organisation des vins pour ce repas a utilisé la même stratégie que pour le précédent, à savoir rechercher les accords avec les vins de terroir calcaire directement sur la chair du homard, et tenter de décliner les autres vins en fonction de leur équilibre alcool/acide/sucre/concentration pour optimiser leur accord avec les différents ingrédients de chaque plat. Nouvelle réussite sur le Chablis et la bisque ainsi que sur le Hengst et les pinces en tartare. Grosse révélation pour le riesling Grand cru Florimont de Claude Weinzorn, qui prend ici enfin toute sa dimension, au risque de surprendre Claude lui-même, le calcaire du Florimont étant souvent occulté dans la gamme par les vins de granit du Sommerberg. Enfin même si le homard n'était pas au dessert, l’exercice d'accord avec trois vins moelleux de styles différents a montré qu'il y a également du travail à faire sur les accords en fin de repas, et que les vins les plus liquoreux ne sont pas forcément les plus difficiles à accorder.
Une fois de plus, les grands vins d'Alsace n'ont rien à envier aux autres grands vins blancs de France, et si leur prix ne reflète pas encore cet état de fait, c'est tout bénéfice pour les amateurs qui peuvent encaver de très grands vins sans subir les hauts et prix que connaissent d'autres régions.
Le restaurant La Vignette s'est montré tout à fait adapté à un repas de ce style, et c'est avec grand plaisir que nous allons prévoir d'autres repas au cours de l'année.
Thierry Meyer