L'Oenothèque Alsace

OENOALSACE.COM

Masterclass Alsace – Session de Printemps (28/04/12)

La première masterclass de saison comprenait deux thèmes d'actualité. Au moment où les asperges font leur apparition sur les étals, la question de la dégustation du muscat se pose, surtout que les premiers vins du millésime 2011 sont proposés à la vente. Plus qu'un produit de saison, les vins produits à partir du cépage muscat en Alsace proposent cependant une large variété de styles, en fonction de leur terroir, du niveau de maturité, enfin de l'ambition générale de la cuvée, en particulier son potentiel de garde. Sur un autre thème, la question des vins moelleux, et de leur prix de vente en grande surface, fait souvent tiquer le consommateur, qui se rend compte que face à une offre pléthorique dans les linéaires, les vendanges tardives d'Alsace restent vendues à un prix relativement élevé. Un petit tour d'horizon de quelques supermarchés du coin a permis de rassembler plusieurs cuvées permettant de faire un vrai test à l'aveugle, entre l'Alsace et le reste de la France.

Le meilleur âge du muscat

Dans la famille des sept cépages alsaciens, le muscat tient un rôle un peu particulier. Particulièrement aromatique, et d'expression sèche là où d'autres régions françaises proposaient un moelleux à partir de ce cépage, le muscat est également un cépage capricieux qui ne produit pas de gros rendement tous les ans. Il nécessite également un travail délicat en cuverie lors de la manipulation des raisins, pour préserver la délicatesse de ses arômes. Dans la mesure où l'amateur de vin aime bien posséder des repères simples et faciles à expliquer, l'association entre le muscat d'Alsace et les asperges fait partie de ces lieux communs qu'il est de bon ton de connaître lorsqu'on prétend s'intéresser un peu au monde du vin. L'association à de nombreux avantages, parfois loin d'une quelconque résonance gustative. Le principal étant l'association d'un produit de saison, originaire d’Alsace, avec un vin d'Alsace. Ensuite, l'apparition du muscat de l'année précédente en bouteille correspond à celle des asperges sur les étals. Enfin, l'amertume de l'asperge, tout comme celle de l'artichaut ou d'autres plats souvent considérés comme délicats à associer avec un vin, se marie gustativement bien avec le muscat récolté de manière très précoce, qui possède un caractère légèrement végétal, voire herbacé, particulièrement adapté à ce genre de plats.

Loin de cet archétype, les vins produits à partir de muscat connaissent une évolution tout à fait favorable, et on peut même en trouver de très grande garde. En fonction de son âge, on peut identifier quatre et le styles de vin, correspondant à des usages différents :

  • Le muscat primeur, mis en bouteille rapidement après la récolte, qui exhale les arômes fruités du raisin croquant, avec parfois une touche légèrement amylique due à la vinification à froid. A l’instar des blancs de Savoie, les cuvées mises en bouteille le plus tôt dans l’année qui suit la vendange sont généralement destinées à une consommation rapide, dans l’année.
  • Le muscat jeune et frais, dans les quelques années qui suivent la vendange, conserve le caractère croquant du raisin mais sans le coté primeur. Les arômes de raisin frais se complètent souvent de notes d'abricot, de pêche blanche, voire de fleurs blanches. C'est également le moment où les muscats produits sur des grands terroirs expriment parfaitement le caractère et la minéralité de leur origine.
  • Entre quatre et dix ans d'âge, se passe une première bifurcation. Les vins primeurs fatiguent souvent à ce stade, et ceux récoltés avec un peu plus de maturité commencent doucement à prendre leur équilibre, surtout lorsqu'ils sont de noble origine. La proportion de muscat d'Alsace et de muscat Ottonel va également se faire ressentir sur la nature et l'intensité des arômes, et sur la profondeur en bouche.
  • Enfin, pour les millésimes plus anciens, le terroir va bien entendu être déterminant pour la conservation et l'expression du vin. Les cuvées les mieux vinifiées vont évoluer sur des arômes de menthe sèche, typiques du cépage, et l'équilibre se montrera élégant et léger sur les cuvées de terroir banal. En revanche les muscats de Grand cru vont révéler au bout de quelques années une toute autre personnalité, et se montreront particulièrement aptes à la très longue garde, tout comme le riesling. De nombreux exemples illustrent ce point de vue, comme par exemple le muscat Clos Zisser 1945 de Klipfel, le 1961 Cuvée Exceptionnelle de Bott Frères, le 1962 de Léon Beyer, le Goldert 1966 de Zind Humbrecht, ou encore l'incroyable muscat réserve exceptionnelle 1967 de la maison Hugel, originaire du grand cru Schoenenbourg.

  

Dégustation verticale pour illustrer ces quatre âges

Muscat 2011 – Domaine Pfister : tiré de cuve le matin même, le vin présente un nez ouvert, franc avec des arômes de raisin frais, et une légère pointe amylique. L'attaque en bouche se montre sèche mais souples, témoin du millésime 2011, avec une belle pureté. Un vin prêt à être mis en bouteille, délicieux sur son caractère primeur. Bien

Muscat Réserve 2010 – Domaine Weinbach : contrairement à la précédente bouteille dégustée, le nez se montre discret, léger. La bouche est dense, nette et sèche en attaque avec de la vivacité, évoluant sur un équilibre fruité et croquant. La finale se montre plus sèche et plus courte, trahissant peut-être un problème de bouchon. À revoir car ce vin est une bombe aromatique en temps normal. Bien

Muscat 2008 – Maurice Schoech : la robe se montre très pâle, le nez est intense, ouvert et marqué par des arômes de bourgeon de cassis, avec une fraîcheur qui rappelle plus le sauvignon que le muscat. La bouche est légère, acidulée, croquante à souhait, avec une note de buis en finale. À boire. Bien

Muscat Grand Cru Kirchberg de Barr 2008 – E. Klipfel : le nez se montre discret, avec des notes de fleurs blanches et une légère touche de raisin frais. La bouche est ample, profonde en attaque, sèche avec du gras, évoluant sur un équilibre concentré et corpulent, montrant de la concentration. La longueur en bouche est très grande, montrant tout le potentiel de cette cuvée issue d'un grand cru réputé. La comparaison avec le vin précédent est éloquente, sur la différence entre un vin de fruit à boire jeune et un grand vin de terroir. Très bien

Muscat Collection 2007 – Kuentz-Bas : le nez est ouvert et intense, mélangeant des notes de miel, d'agrumes, de citronnelle et de fruits à noyau. La bouche est ample en attaque, riche et profonde avec du corps, du gras, et une longue finale épicée. L'équilibre se montre très pur et le terroir proche du grand cru Pfersigberg est évident sur cette cuvée délicieuse dès à présent, mais taillée pour la grande garde. Excellent

Muscat Cuvée du Banni 2005 – Romain Fritsch : une autre cuvée surmurie, au nez ouvert de pêche jaune, de miel, montrant une légère évolution avec une pointe fumée. La bouche est douce en attaque, pure avec de l'évolution, puis ample avec une finale qui prend des accents mentholés. Une cuvée originaire du grand cru Steinklotz qui masque son origine, mais dont l'équilibre après sept années de garde trahit la noble origine du terroir. Très Bien

Muscat Andlau 2003 – Guy Wach : la robe prend des nuance jaune or. Le nez est marqué par le millésime, avec des notes de miel, de raisin sec et de résine de pin. La bouche est ample, légèrement mentholée en attaque, mais conservant une belle fraîcheur et surtout une belle salinité. Un vin encore apéritif, doté d'une longévité exceptionnelle dans un millésime peu propice au muscat. C’est la grande surprise de la dégustation. Bien

Muscat Herrenweg 2002 – Zind-Humbrecht : la robe est dorée. Le nez est épicé, poivré et citronné, très ouvert mais montrant une maturité moyenne. La bouche possède du peps, avec une attaque sèche, suivie par un caractère sec et épicé, léger. Le terroir du Herrenweg n'est pas propice à un vin de longue garde, mais cette cuvée montre un muscat de soif  qui peut vieillir dix ans sans problème. Très Bien

Muscat Réserve 2001 – Bott Frères : un muscat ample au nez mûr marqué par la pêche et de légères notes fumées. La bouche est complexe, riche en attaque, légèrement moelleuse avec une note de fruits compotés, finissant sur un caractère plus évolué. Le beau millésime 2001 et probablement un beau terroir permettent à cette cuvée de bien vieillir. Ira-t-il aussi loin que son ancêtre de 1961 ? Bien

Muscat 1981 – E. Klipfel : la robe est pâle le nez est marqué par des arômes typiques de muscat trentenaire, avec de la menthe poivrée, de la citronnelle, et une évolution sur des arômes de fleurs séchées et de bouillon blanc. La bouche est nette, ample en attaque, très élégante montre encore un beau fruit avec une légère amertume en finale. Le vin offre une très belle harmonie entre le nez et la bouche. Une cuvée originaire du Freiberg, un coteau juste à coté du Grand cru Kirchberg de Barr. Les millésimes plus anciens ont montré la belle capacité de vieillissement de cette cuvée. Très Bien

Cette petite verticale de muscat montre globalement la courbe d'évolution pour les muscats de fruit, légers et secs, mais aussi pour les muscats de terroir, taillés pour une garde plus longue. Là où le muscat de fruit se montre délicieux dans sa prime jeunesse, et évolue rapidement sur une dizaine d'années pour prendre des arômes de menthe sèche et une bouche plus mince, le muscat de terroir se présente bien déjà à quatre ans d'âge, puis montre une évolution positive sur plus d'une dizaine d'années.

Pour ce qui est l'accord avec les asperges, la résonance se fera en fonction du type de préparation. Les grosses asperges blanches flotteuses appellent un muscat … jeune et flotteux. Accompagné de jambon cru, on hésitera pas apprendre muscat légèrement plus âgé, dans un style très fruité voir surmuri. Les amateurs d'asperges gratinées au jambon cuit seront heureux d'associer un millésime plus mûr, comme les 2005 ou 2007 dégustés. Enfin les vins de terroir s'accorderont en priorité avec le plat de prédilection, que ce soient des poissons, des crustacés ou des viandes blanches, même s'il n'est pas interdit de rajouter quelques pointes d'asperges vertes en accompagnement. Le fameux feuilleté aux morilles fraîches et aux asperges vertes de L’Auberge de L’Ill sera magnifique avec un muscat de grand terroir d'une trentaine d'années.

Ces différents styles de muscat appellent également une stratégie d'achat bien particulière. Le muscat de fruit s'achète selon sa consommation, en quantité limitée de manière à ne pas le stocker. Compte tenu de leur bouchage souvent adapté à la consommation rapide, ce sont des vins à ne pas laisser traîner dans la cave, et à déguster au bout de deux ou trois ans s'il vous reste un carton entamé. Pour ce qui est des grands crus et autres muscats de grands terroirs, les achats doit se faire conformément aux autres crus, et si les vins se conservent parfaitement bien il est toutefois conseillé de les déguster autour de sept années d'âge, pour vérifier s'ils sont bien aptes à une garde supplémentaire. Les vins plus moelleux, vendanges tardives ou rares sélections de grains nobles, n’ont pas de règles particulières à respecter : ils suivent simplement les deux règles liées aux terroirs. Une vendange tardive issue d'un petit terroir sera donc à consommer rapidement, alors qu'un vin plus riche originaire d'un grand terroir sera plus apte à une longue garde.

Vendanges Tardives et autres vins moelleux de France : l’Alsace est-celle compétitive ?

La création de la mention officielle vendange tardive dans l’Appellation Gaillac a été d’autant plus facile que l’Alsace a eu peine à défendre l’exclusivité qualitative de sa mention, au vu des prix bas pratiqués sur certaines cuvées. Est-ce vraiment le cas ? Plutôt que de tenir des propos théoriques, le meilleur moyen fut de me rendre dans plusieurs supermarchés de la région et d'acheter des cuvées vendues à bas prix, en essayant de compléter par certaines vendanges tardives. Premier constat, les vendanges tardives alsaciennes sont vendues à un prix relativement élevé en grande surface, qui n'a rien à voir avec les vins sucrés d'autres régions et d’appellation parfois moindre. Même si le Sauternes à moins de 10 euros est une réalité. Cela peut en étonner certains, mais compte tenu des conditions d'élaboration des vendanges tardives d'Alsace, un prix plus élevé peut éventuellement se justifier.

Le reste de l'offre est très hétérogène, avec des prix démarrant très bas et restant ancrés autour de cinq à sept euros la bouteille. J'ai donc rajouté à la sélection un gewurztraminer non issu de vendanges tardives, mais correspondant à cette même gamme de prix.
L’exercice de dégustation à l'aveugle pouvait se transformer en un massacre, dès lors que les participants étaient convaincus qu'ils allaient boire des vins d'entrée de gamme et de bas prix. Aussi, pour essayer d'avoir un jugement le plus neutre possible, nous avons essayé d'identifier les qualités et les défauts de chacune des cuvées avant de faire un bilan et de comprendre quelle était la qualité de chacune des cuvées.
Voilà les notes de dégustation récoltée après discussion, suite à une dégustation à l'aveugle partiel, les bouteilles étant masquées mais leur forme étant visible. L'origine et le prix de chaque cuvée sont indiqués.

Sainte Croix du Mont 2010 – Pierre Chanau (4,59€, Simply Market) : le nez est agréable, avec des arômes d'abricot, de tabac, et une note de pain grillé. La bouche est fraîche en attaque, puis moelleuse tout en gardant une bonne buvabilité. On regrettera la faible intensité du nez, une présence d'acidité volatile assez sensible, et un équilibre somme toute relativement simple, ainsi qu'une finale courte. Au final, une belle bouteille de bon rapport qualité-prix, sans plus. Bien

Coteaux du Layon 2010 – Elysis (6,79€, Simply Market) : le nez est assez intense avec des arômes de miel, et la bouche possède suffisamment d'acidité pour équilibrer la charge en sucre qui semble importante. Malheureusement, le nez possède également des notes de champignon blanc assez désagréables, ainsi qu'une bouche qui se montre dissociée. Sans grand intérêt. Bof

Gewurztraminer 2010 – Rebman (5,45€ Leclerc) : le vin se montre équilibré, avec un nez de belle intensité, floral et marqué par des notes de réglisse. La bouche est aérienne, net et doté d'une belle acidité. Malgré tout, on ne retrouve pas le caractère de vendange tardive, ce qui est normal sur un
gewurztraminer de cette nature. L'ensemble reste toutefois léger avec une finale courte. Bien

Loupiac 2007 Château Saint Valentin (4,11€ en 50cl Leclerc) : la robe est foncée, le nez marqué par une forte acidité volatile, et la bouche se montre complètement bouchonnée. Défectueux.

Blanc Moelleux IGP Comté Tolosan 2010 (1,49€ ALDI) : la robe est claire, presque pâle, et le nez se montre net, avec des arômes de buis qui rappellent le sauvignon. La légèreté de la robe se confirme en bouche, avec une matière diluée, une acidité désagréable et une forte amertume, qui suggère que le sucre résiduel et du à l'interruption de la fermentation alcoolique sur un vin de maturité plus que moyenne. Ce n'est pas cher, mais le caractère moelleux de la cuvée provient exclusivement que de son sucre résiduel. Autant acheter un blanc sec de mauvaise qualité et rajouter de morceaux de sucre dans le verre. Beurk

Pinot Gris Vendanges Tardives 2007 – Eblin Fuchs (16,15€ Leclerc) : la robée dorée, le nez est net est discret, avec des notes de miel qui évolue sur un caractère lacté et des arômes de caramel. La bouche est franche avec un moelleux très très intense qui devient presque sucraillons, rendant l'équilibre lourd malgré une acidité bien présente. Un vin décevant compte tenu de son origine, une fermentation malolactique peut-être inattendue ayant certainement déséquilibré la cuvée. Est-ce ce qui explique que le vin soit vendu en grande surface ? Bof

Côtes de Bergerac Moelleux 2010 – Fonduroc (2,43€ Leclerc) : une robe assez claire mais une nouvelle fois un vin bouchonné tant au nez qu'en bouche. Défectueux

Gewurztraminer Vendanges Tardives 2009 – Albert Schoech (17,00€ Leclerc) : le nez montre un joli rôti derrière des arômes floraux marqués par la pivoine, la rose, le liait blanc. L'aération fait apparaître des notes fumées et torréfiées, avec une certaine complexité plutôt issue d'un État sanitaire pas complètement parfait. La bouche est ample, onctueux et gras avec une jolie liqueur, mais à nouveau derrière le caractère sain de l'équilibre le sucre domine un peu trop, laissant l’acidité en retrait. Bof

Premier constat derrière cette série très moyenne, la notion de vin moelleux n'est pas forcément liée à celle d'un vin issu de surmaturité. En effet, interrompre la fermentation d'un vin blanc sec avant qu'il est fermenté tous ses sucres permet d'obtenir un vin avec du sucre résiduel. Ce qui semble être le cas avec quelques blancs dits « moelleux » bas de gamme.

Deuxième constat, la qualité du bouchage semble laisser à désirer, au vu du nombre de bouteilles défectueuses. Peut-être que le stockage en linéaire est en partie responsable, même si les bouteilles achetées n'étaient pas particulièrement chargées de poussière.

Une belle surprise avec le vin de la marque Rebman, qui correspond à une cuvée de gewurztraminer sélectionnée par les acheteurs des magasins Leclerc, qui trouvent auprès de la maison de négoce Henri Ehrart d'Ammerschwihr de quoi créer une bien jolie cuvée. Ayant goûté plusieurs vins de cette maison, je pense même que cette cuvée Rebmann représente le plus joli rapport qualité-prix produit par la maison. Une référence à garder en tête, pour le jour où vous serez loin de chez vous et que votre seule source d'approvisionnement en vin sera un Leclerc…

Pour terminer, un dernier vin sorti de la cave de l’Oenothèque Alsace étalonnait le palais vers une qualité supérieure. La vendange tardive 2005 produite pour la cave de Turckheim montre un grand saut qualitatif avec les vins précédemment dégustés, prouvant qu’il y a vraiment un monde entre ce qu’on trouve en grande surface et ce que les amateurs peuvent trouver au domaine.

Gewurztraminer Vendange Tardive 2005 – Cave de Turckheim : le nez montre un vrai caractère de vendange tardive, avec des notes d'abricot, de miel, de grain rôti, et une pointe de pralin. La bouche est riche en attaque, moelleuse et intense avec une très belle pureté, relevés par des notes d'abricot qui allonge la finale. Bel équilibre entre l'acidité et le sucre résiduel, pour une cuvée partie pour une longue garde. Très Bien

Thierry Meyer

Pour connaître la signification des appréciations (Bien, Très Bien…) et des notes chiffrées, cliquer ici