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Accords Mets&Vins autour du Riesling – 20 novembre 2010

Restaurant La Taverne Alsacienne – Ingersheim
Le roi des cépages alsaciens est connu pour être un parfait compagnon de table, sur une grande variété de plats. Acidité, amertume, caractère sec ou liqueur fine sont autant d’éléments qui permettent de trouver le bon riesling à associer avec chaque plat. Pourtant, ce sont bien souvent les terroirs sous-jacents à chaque cuvée qui créent des accords gustatifs, la minéralité du vin soulignant le caractère du plat et vice-versa. Le diner a permis une nouvelle fois de se rendre compte de l’extrême malléabilité des vins produits par ce cépage, et du bonheur qu’on ressent à les accorder à table. La présence de trois vins étrangers de qualité d’Egon Müller en Allemagne, Knoll en Autriche ou le Domaine du Clos des Rochers au Luxembourg a également permis de confronter la production alsacienne à celle de ses voisins, et de montrer qu’un style propre à l’Alsace pouvait exister au-delà de la diversité rencontrée dans la production régionale.

Une belle collection de flacons

Organiser un diner autour du riesling quelques semaines après la fabuleuse soirée prestigieuse de fin octobre tenait forcément du challenge. Mais compte tenu des nombreuses remarques reçues sur le caractère supposé répétitif des maisons connues, je m’attendais à recevoir un certain intérêt en associant le menu à des vins de jeunes talents qui grimpent. En se retrouvant avec six fois moins de participants à ce diner qu’à celui de fin octobre, la conclusion est facile à tirer : quoi qu’on en dise, les vins connus attirent du monde, et les découvertes que tout le monde appellent n’intéressent souvent que les producteurs concernés, et encore…

Les Amuses Bouches et deux rieslings 2009

En amuse bouche, une crème de crevettes, un blini agrémenté de concombre, et un feuilleté à la tomate et aux anchois, qui vont réveiller les papilles au contact des deux vins du dernier millésime. Après deux millésimes 2007 et 2008 à l’acidité importante, 2009 se montre plus tendre avec une maturité physiologique qui a parfois eu du mal à suivre la maturation en sucre des raisins. Les producteurs ont choisi leurs dates de vendange en privilégiant selon leur préférence le degré alcoolique potentiel maximum ou la maturité physiologique parfaite, au risque en 2009 de se retrouver avec des vins riches en alcool ou en sucre résiduel. Les deux vins dégustés sont aux antipodes du style, même s’ils sont tous les deux secs, montrant en passant que le sucre résiduel est une donnée technique liée à la vinification qui n’informe que très peu le niveau de surmaturité d’une vendange.

Riesling Bruderbach Clos des Frères 2009 – Etienne Loew : un nez de fleurs blanches avec une note fumée de grande pureté, une bouche dense, droite et sèche avec du gras et une fine amertume en bouche, c’est un vin sec qui possède l’austérité du riesling jeune sans en avoir l’amertume désagréable des cuvées insuffisamment mûres. Le choix de la date de vendanges était optimal. Très Bien.

Riesling Drei Exa 2009 Paul Ginglinger : le nez est ouvert, très mur avec des aromes de miel et de fruits acidulés. La bouche est ample en attaque, riche avec du gras et une rondeur apportée par l’alcool qui équilibre la fine acidité. La récolte en surmaturité n’a pas empêché de produire un vin sec techniquement, mais l’équilibre reste marqué par la bonne maturité. A garder quelques années pour que l’ensemble gagne en harmonie. Bien

Le Carpaccio de Bar de Ligne, crème épaisse

Plat réputé qui a été remis en menu après la sublime expression de fin octobre, tant ce poisson à peine mariné met en avant la minéralité des vins jeunes. Le poisson seul se marie parfaitement avec le riesling Wolxheim qui lui fait ressortir les notes iodées, mais accompagné de crème épaisse et de pain toasté, il a besoin de l’ampleur et de la richesse du Bollenberg pour retrouver un équilibre parfait en bouche. La présence de toast est intéressante pour absorber la légère douceur du vin, un critère à retenir. Le vin allemand propose un équilibre très différent que les vins d’Alsace, le perlant du vin faisant ressortir l’amertume dans l’accord avec le poisson. Quelques tranches de mangue à la place de la crème auraient certainement permis d’affiner l‘accord…

Riesling Wolxheim 2008 – Clément Lissner : Le nez est franc, floral avec des nuances minérales, très frais. La bouche suit le style annoncé par le nez avec un équilibre sec, acidulé et très salin, qui dévoile une belle complexité (3g/l de sucre résiduel). L’ensemble est sapide et d’une grande précision. Très Bien

Riesling Bollenberg 2008 – François Schmitt : Les agrumes mûrs forment un nez plus confit que le vin précédent, en gardant une belle pureté. La bouche est ample en attaque, charnue avec une belle salinité, le caractère acidulé très pur est renforcé par une légère douceur pas gênante du tout. Les calcaires du Bollenberg donnent une profondeur intéressante, différente qu’à Wolxheim (9g/l de sucre résiduel). Très Bien

2008 Scharzhofberger Riesling Kabinett 2008 – Egon Müller : premier étranger  de la série, et quelle étiquette ! Malgré ses 8.5% d’alcool ce Kabinett joue dans la cour des vins plutôt secs avec une acidité importante qui équilibre voire compense la douceur. La réduction initiale du nez laisse place après une forte aération à des arômes d’agrumes frais, de sauge et de pierre à fusil. La bouche est droite, légère et cristalline avec un perlant sensible, évoluant sur un caractère minéral et légèrement moelleux éclipsé en finale par un retour acide très citronné. Le caractère léger, croquant et salin des vins de la Moselle se retrouve dans cette cuvée qui méritera quelques années de garde. Très Bien

Le Cabillaud Sauvage, Endives braisées et Beurre d'Agrumes

Magnifique recette de fin d‘automne qui met en avant trois saveurs complémentaires, dignes de donner du répondant aux vins complexes. Le poisson possède la texture nacrée des cuissons parfaites, l’endive apporte une touche d’amertume et le beurre d’agrumes tout comme la purée de carotte assemble les deux avec une touche d’écorce et un léger moelleux. Les trois vins se comportent très différemment sur le plat. L’Engelberg, grand seigneur puissant et très minéral domine la discussion, son acidité structure la bouche en domptant l’amertume de l’endive. Le vin laisse une bouche nette, au risque d’écraser un peu le plat et de rendre le poisson trop discret sans ses accompagnements. Le riesling de Knoll possède le caractère aromatique et la douceur pour s’associer au beurre d’agrumes et à la carotte, mais manquant de puissance il se fait un peu écraser par la complexité et la richesse du plat. Le riesling du Domaine du Clos des Rochers possède peut-être l’équilibre le plus facile à accorder avec les différentes composantes du plat, en particulier une belle association avec le poisson qui vient en partie du coté pétrolé du vin. Trois associations très différentes dont le niveau va finalement dépendre de la composition des bouchées. Et quel plaisir de les tester et retester !

Riesling Grand Cru Engelberg 2007 – Domaine Pfister : un vin ouvert au nez de fleur d’acacia et de pierre concassée, profond en bouche avec du corps, du ras et une tension minérale qui allège le tout et forme une longue finale. Magnifique structure en bouche où tous les éléments sont en place, et une cuvée qui se boit facilement à ce stade, même si on aimerait la regoûter à 15 ans d’âge. Excellent.

Loibner Riesling Smaragd Trocken 2004 – Weingut Knoll (Wachau, Autriche) : Le nez montre une légère évolution, avec des arômes de zeste, d’agrume, de cire, de marmelade d’orange et de fumée. La bouche est tendre, très mûre avec une bonne pureté, manquant de vivacité pour garder une finale fraîche. Un équilibre intéressant en dégustation simple, plus fragile à table. Très Bien

Riesling Ahn Palmberg 2003 – Domaine du Clos des Rochers (Luxembourg) : produit une année chaude sur un des plus grands terroirs calcaires des rives de la Moselle, mais du coté du Grand Duché de Luxembourg, voilà un vin remarquable qui montre le potentiel du vignoble luxembourgeois lorsque les rendements sont maîtrisés. Le nez est ouvert, dominé par les hydrocarbures et la fumée, laissant place à une bouche ample qui possède du gras. La finale est sèche malgré les 8 g/l de sucra résiduel, et la patine du temps lui donne une belle complexité. Très Bien

Les Fromages de Jacky Quesnot

La sélection du maître fromager comprenait un chèvre frais, un chaource, du reblochon fermier et un comté de 6 mois. Le 1981 est le vin le plus sec, il forme un accord de texture magnifique avec le chèvre et le reblochon, mais ne possède pas le botrytis parfois nécessaire pour accompagner le comté. Le 91 plus tendre se marie harmonieusement avec la texture crémeuse et encore légèrement farineuse du chaource, et arrive à donner le change sur le comté sans le sublimer. La règle qui préconise d’accorder les fromages frais avec les vins jeunes et les fromages affinés avec les vins plus âgés est certainement  valable pour les accords aromatiques, mais les textures jouent énormément aussi, et le niveau de surmaturité du vin  aura son importance.

Riesling Linsenberg 1991 – Henri Schoenheitz : la robe est pâle, le nez ouvert avec une légère évolution qui laisse passer le caractère légèrement surmuri de la vendange : miel, fleur d’acacia, tilleul, cire forment un bouquet complexe très agréable. La bouche est ample en attaque avec une légère douceur, évoluant sur une belle structure délicatement acidulée, qui termine sur une longue finale saline. Une belle cuvée qui vieillit avec grâce. Très Bien

Riesling Cuvée de l’Amitié 1981 – Roger Jung : après une première bouteille malheureusement liégeuse, la seconde se montre initialement assez fermée, avec des notes terreuses qui vont disparaître à l’aération pour laisser place à de la menthe séchée, des épices, et des fruits secs. La bouche est ample, puissante, sèche avec du gras, évoluant sur un équilibre de plus en plus. L’impression initiale de vin desséché laisse progressivement place à un vin ample et long, d’origine probable du Sporen. Très Bien

L'Ananas rôti à la Vanille, Sorbet Mandarine

Les rieslings issus de surmaturation offrent lorsque la pureté est là un équilibre magique, qui joue entre la légèreté de texture et la finesse du moelleux. Plus encore que les onctueux gewurztraminers ou pinot gris en vendange tardive ou sélection de grains nobles,  le riesling sait offrir ce subtile mélange d‘agrumes à l’amertume noble tout en restant dans l’acidité du citron confit. Si certaines cuvées surmuries évoluent favorablement au vieillissement, et sont de formidables partenaires des poissons préparés en sauce crémeuse, les cuvées plus jeunes sont adaptées aux desserts exotiques. L’ananas est un fruit particulièrement plaisant lorsqu’il est rôti, le sorbet mandarine se chargeant d’apporter la touche d’amertume qui rehaussera l’équilibre du plat. Le Riesling de Ginglinger Fix manque de ce coté simple, sucré et acidulé à la fois, qui font les vins de desserts faciles à boire. L’évolution le fait renter dans la catégorie des vins de grande gastronomie, aptes à accompagner des saint jacques au beurre blanc, ou une lotte rôtie accompagné d’un risotto crémeux à la truffe blanche. Le Sommerberg de Boxler possède toutes les qualités gustatives idéales du vin de dessert, ces mêmes caractéristiques qu’on peut lui reprocher lorsqu’il accompagne des poissons de manière trop exubérante. Malgré tout la légère amertume est amplifiée par la mandarine qu’il faudra éviter, et l’ananas se retrouve déshabillé face à tant de puissance. Faire rôtir l’ananas avec du miel permettrait de donner le change de manière plus équitable.  Le Sommerberg VT se déguste finalement très bien seul.

Riesling Vendanges Tardives 2004 – Ginglinger-Fix : originaire du Goldert ans en mentionner l’appellation Grand Cru, c’est un vin puissant, ample et de grande pureté, la minéralité lui apportant un caractère onctueux et gras. Sans avoir la touche acidulée qui en ferait un vin de desserts guilleret, c’est un vin qui possède une discrète amertume dans la longue finale. Très Bien

Riesling Grand Cru Sommerberg Cuvée "E" Vendanges Tardives 2005 – Albert Boxler : ouvert au nez avec des notes d’épices, de miel et de zeste d’agrumes, le vin possède une liqueur fine en bouche, une grande pureté et une acidité importante qui lui donne une longue finale.  Excellent

Deux étiquettes qui restent sobres 

On termine avec quelques mignardises sur un dernier vin allemand servi à l’aveugle après le dessert :

Piesporter Domherr Riesling Spätlese 1994 – Reinhold Haart (Mosel-Saar-Ruwer) : le terroir du village de Piesport offre de belles parcelles propices à la production de vins tardifs come ceux qui grand millésime 1994. Les parcelles de Domherr étant situées au dessous du fameux Goldtropfchen. Le nez est un savant mélange de notes pétrolées d’agrumes confits  et de fruits jaunes qui évolue sur une note fumée intense à l’aération, la bouche est moelleuse mais équilibrée par le gaz carbonique et une certaine amertume. Longue finale sur le beurre et la fumée. Très Bien

Un diner presque parfait que le riesling rend très digeste. Si souvent les critères de choix d’un riesling sont le sucre résiduel et l’âge, il faut noter que le terroir a son importance, mais qu’indépendamment du sucre, la présence de botrytis joue également un rôle important dans les accords de texture.  Il reste décidément encore un grand nombre de sujets à traiter à table autour de ce cépage…

Thierry Meyer

Lire aussi le compte rendu en texte et en images de Stéphane Wasser

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