Profitant d’une qualité exceptionnelle dans les vignobles bordelais et bourguignon, le millésime 2009 en Alsace a été annoncé comme le dernier de la trilogie 2007-2008-2009 avec une estimation qualitative importante. Pourtant, il s’agit de trois millésimes aux équilibres différents, et dans la décennie 2000-2009 ce ne sera peut-être pas celui qu’on retiendra le plus. Si 2007 est marqué par un équilibre mûr physiologiquement mais souvent sain, 2008 plus frais avec de fortes acidités, 2009 est un millésime précoce et sain dont l’arrière saison chaude et ensoleillée a donné des vins fruités. Lorsque le stress hydrique a été trop fort, blocage de maturité ou passerillages ont pu altérer les raisins, donnant un avantage naturel aux terroirs de sols profonds, marneux ou calcaires. Le choix de la date de vendanges était crucial. Le résultat est assez homogène sur l’ensemble du vignoble, avec un niveau moyen globalement bon, mais le déficit d’acidité et de maturité dans de nombreux secteurs a donné des vins de terroir souvent moins aboutis qu’en 2008 et 2007.
Après une dégustation sur fût et cuve d’une centaine de vins au printemps 2010, la tournée de 16 vignerons effectuée avec David Schildknecht en novembre 2010 a permis de comparer 2008 et 2009 en bouteille, et de noter les différences importantes dans le style de ces millésimes qui approchent la perfection par des voies différentes. Si les vins manquent parfois de maturité en 2008, la proportion d’acide malique renforce le niveau élevé d’acidité. Ils supportent du coup un niveau élevé de sucre résiduel, parfois au-delà de 10 g/l, sans que cela ne leur donne un caractère doux. A l’inverse, les 2009 ont été récoltés très mûrs mais souvent vinifiés secs, par volonté ou par simple travail des levures, donnant des vins au niveau d’alcool parfois élevé. Le déficit d’acidité rencontré sur certaines cuvées ne supporte en outre pas un niveau trop élevé de sucre résiduel, a fortiori lorsque la vendange était précoce. Les vins de terroir drainant (granit, grès) dévoile une salinité plus faible qu’en 2008, contrairement aux vins de terroir marno-calcaire ou calcaires souvent plus équilibrés. Dans les deux cas, les vins les plus aboutis sont ceux dont les raisins ont été récoltés à parfaite maturité physiologique, ce qui a parfois laissé le temps au botrytis de se développer en 2008, et au passerillage de concentrer les baies en 2009.
2009 est donc souvent réussi sur les cuvées récoltées tardivement. Sur le sylvaner, cela donne des cuvées élégantes sans surmaturité, qui vieilliront très bien. Les rieslings récoltés trop tôt possèdent un équilibre acidulé qui les rend plaisant à boire jeune, mais sans une parfaite maturité, évolueront certainement rapidement. Tout comme les gewurztraminers au caractère épicé parfois extrême, ce sont au final souvent les vendanges tardives qui possèdent le meilleur équilibre, et qui mériteront d’être conservées pour atténuer leur moelleux. Le muscat est très variable, un millésime comme 2009 étant très favorables aux cuvées contenant une proportion importante de muscat d’Alsace (le même qui a du mal à mûrir dans des années plus froides). Certains muscats réalisés avec du Muscat Ottonel sont déséquilibrés, par manque de maturité qui leur donne un goût végétal, ou par excès de richesse et d’alcool qui les rend lourds. Enfin, 2009 a permis de produire des pinots noirs très colorés, parfois très hauts en alcool. Si une couleur foncée contente ceux dont les vins sont généralement très dilués, il faut s’attendre à la mise sur le marché de 2009 trop extraits, tanniques et hauts en alcool, avec comme seuls arômes le boisé, comme en 2003. Mais le pinot noir d’Alsace n’a à mon avis rien à gagner à chercher à ressembler à une caricature de mauvais carignan du Languedoc. 2008 sera à ce titre plus élégant et permettra plus souvent de retrouver la finesse aromatique et gustative du pinot noir.
Au final 2009 est un millésime de compromis, tant le décalage était grand entre la maturité physiologique et la maturité en sucre. La philosophie de chaque domaine a influencé le style donné aux vins.
Le critère principal à prendre en compte lors de la dégustation des 2009 avant de les acheter est leur date de consommation. Certains pinots blancs, rieslings ou pinot gris d’équilibre sec sont ouverts et faciles à boire dès à présent, idéal pour une consommation immédiate. Ce sont des vins qui ne se bonifieront pas et qui évolueront rapidement après 3-4 ans de garde. A l’inverse, les vins de grande garde doivent être choisis parmi les vins de terroir récoltés le plus tardivement, qu’ils soient vinifiés sec, moelleux ou liquoreux. Leur faible niveau d’acidité n’est pas un handicap à la garde, comme le démontrent depuis des années les dégustations des meilleurs vins produits en 1947, 1959, 1976 ou 1983.
Le log journalier des dégustations tel que posté sur Facebook a permis se mettre en avant quelques vins particulièrement réussis dans les deux millésimes, à boire ou à encaver :
1 novembre
Visite chez Hugel et Fils pour déguster 2008 et 2009. Parmi les vins prêts à boire, le Pinot Blanc Hugel 2009 est la bouteille à ne pas manquer. Des deux pinots noirs Jubilée 2008 et 2009, ne vous précipitez pas forcément sur le dernier millésime car 2008 est également une grande année ici. Buvez le 2008 sur une côte de Boeuf, et le 2009 attendra le prochain civet.
Visite chez Marc Tempé, et après deux 2009 encore en foudre, nous passons à une série de vins en bouteille de 2008 et 2007 à la minéralité affirmée, dont un Rodelsberg 2008 et un Mambourg 2007, deux cuvées d'assemblage de deux cépages qui feront des merveilles à table… Le Gewurztraminer Mambourg VT 2008 est à acheter impérativement par les parents d'enfants nés cette année.
2 novembre
Visite chez Gustave Lorentz, un domaine en pleine évolution depuis le début de sa conversion à l'agriculture biologique. Certaines parcelles en bio depuis 2005 donnent déjà de beaux vins (Pinot Gris Saint Georges 2009 par exemple). Les Altenberg de Bergheim 2008 sont magnifiques sur tous les cépages. En 2009 les VT du même terroir sont plus abouties que les autres, et possèdent plus de fraîcheur.
2008 et 2009 dégustés chez Trimbach montrent une gestion intelligente des deux millésimes. Le muscat 2009 et le pinot blanc 2008 sont magnifiques dès à présent. Les amateurs de vins de garde sauteront (à leur mise en vente) sur le pinot gris réserve personnelle 2008 ou le rare gewurztraminer SGN 2008.
3 novembre
2009 et 2008 dégustés chez Paul Kubler à Soultzmatt le 3 novembre montrent une bonne évolution du style des vinifications, depuis l'abandon progressif des barriques en 2007 pour les remplacer par des petits foudres. Si le Pinot Gris K 2009 sera un très bon vin de tous les jours, les amateurs de grands vins de garde rechercherons le sylvaner Z 2009 issu du Zinnkoepflé, ou le Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé 2008.
Les gammes 2008 et 2009 chez Dirler-Cadé à Bergholz sont très différentes : grand chelem pour les vins du Grand Cru Kessler en 2008, et grande réussite pour les vins du Grand Cru Saering en 2009. Le Pinot Noir 2008 offre un fruité d'une précision et d'une chair remarquable, moins corsé et boisé que le 2009 qui conviendra mieux aux daubes hivernales.
Si les grands 2008 sont déjà tous vendus chez Agathe Bursin visitée le 3 novembre, trois vins majeurs dominent la gamme 2009 et sont à rechercher en priorité : le Sylvaner Eminence (originaire du Zinnkoepflé) d'une forte minéralité, le Riesling Zinnkoepflé VT, et le Gewurztraminer Zinnkoepflé SGN. Les 2009 sont malheureusement peut-être déjà épuisés au domaine, il faudra surveiller l’arrivée des vins en bouteille chez les cavistes.
4 novembre
Goûter 2008 et 2009 chez Zind-Humbrecht est un plaisir mais aussi une tâche énorme… Après avoir regoûté les 2008 avec plaisir, les 2009 possèdent un style radicalement différent, ce qui n'exclut pas les magnifiques vins. Les cuvées « riesling calcaire », « gewurztraminer calcaire » ou « pinot gris calcaire » seront les hits de 2009, et les amateurs de grands vins de garde profiteront des vins du Windsbuhl ou du Rangen.
En goûtant 2008 et 2009 chez Albert Mann, on attendait bien sur les rouges 2009 au tournant. Goûtés sur fut avant mise en bouteille, ils semblent prometteurs, mais les 2008 n'ont pas dit leur dernier mot : fruité plus frais, belle intégration de l'élevage sous bois, leur équilibre pourrait finalement être beaucoup plus plaisant que les 2009.
Déguster les 2008 et 2009 chez Marcel Deiss en compagnie de la famille Deiss est un moment intense au cours du quel on refait le monde tout en dégustant les vins de terroir très complexes. Je prends le pari que Gruenspiel, Schoffweg et Schoenenbourg seront plus grands en 2009 qu'en 2008.
6 novembre
De 2008 et 2009 dégustés chez Paul Blanck en compagnie de Frédéric, 2009 signe assurément une très grande réussite dans le secteur, à commencer par le simple riesling classique fermé en capsule à vis. Les coteaux en sortie de vallée de la Weiss, du GC Schlossberg au GC Mambourg en passant par l'Altenbourg et le GC Furstentum, ont donné des vins raffinés et parfaitement équilibrés.
Plusieurs cuvées ont été déclassées chez Bott-Geyl en 2008 et 2009. On se régalera donc du Riesling Les Eléments 2008 ou du Gewurztraminer Les Eléments 2009. Mandelberg, Schoenenbourg et Sonnenglanz ont produit de grands vins en 2009, sans oublier les somptueux VT/SGN 2008 qui arriveront doucement à la vente.
8 novembre
Des 2008 et 2009 dégustés chez Etienne Loew on retiendra les magnifiques sylvaners 2009 et les très francs rieslings 2008, faciles à boire dès à présent. Les grands crus sont taillés pour la grande garde dans les deux millésimes, et doivent être conservés quelques années.
Après un grand millésime 2008, le Domaine Weinbach signe un très bon millésime 2009, de style moins grandiose jeune que les deux précédents sur les grands crus, mais exceptionnel sur les vignes du Clos des Capucins. Tant qu'il en reste, ne pas manquer le savoureux Sylvaner Réserve 2009, ni les rieslings cuvée Théo 2009 et gewurztraminer cuvée Théo 2009.
Si 2008 est très réussi sur tous les cépages et crus chez Frédéric Mochel, 2009 est plus hétérogène avec des équilibres plus doux ; c'est sur le Gewurztraminer Grand Cru Altenberg et le gewurztraminer SGN qu'il faudra se tourner pour goûter un grand vin. Le Pinot Gris 2009 d'équilibre demi-sec se boit très bien dès à présent. Le nouveau caveau de dégustation mérite à lui seul une visite !
Des 2008 et 2009 dégustés au Domaine Pfister, on retiendra la belle fraîcheur des 2008, que ce soit sur le savoureux pinot noir ou le sublime riesling grand cru Engelberg. 2009 demandera de la patience, en rouge comme en blanc, avec un pinot gris Tradition 2009 sec et déjà équilibré. Il faudra regoûter le prometteur pinot noir barriques 2009 après la mise en bouteille !
Thiery Meyer