L'Oenothèque Alsace

24 avril 2010 – Les grands muscats de terroir à table

Si le muscat est souvent synonyme de vin d’apéritif ou d’accompagnement idéal des asperges au printemps, il revêt une toute autre personnalité lorsqu’il des cultivé sur les grands terroirs d’Alsace. Il se présente alors comme un cépage apte à produire de grands vins de terroir, capable d’une très grande garde. Son caractère aromatique évolue lentement au vieillissement et contribue avec la minéralité propre de chaque terroir à créer des accords magnifiques à table. Le menu concocté par Jean-Philippe Guggenbuhl a fait la part belle aux produits de saison et a été conçu pour créer avec chaque terroir des accords gustatifs, que ces soit sur les jeunes muscats de 2009 et 2008, ou sur les millésimes plus anciens come cette superbe de série de vins de 1969, 1967 et 1962.

En Amuse Bouche, Soupe froide de Petits Pois à la menthe

Deux expressions de muscat variétal mais d’âge différente permettent d’appréhender le style propre du muscat, le fruité laissant la place à l’évolution aux notes d’herbes sèches. Le muscat de Beyer se montre délicieusement printanier, contrairement à celui de Barmès Buecher plus austère, que l’évolution a rendu plus sec encore que dans sa prime jeunesse. La Soupe froide est un plat délicieux en début de repas. Si le vin de Léon Beyer se montre plaisant et ample avec la menthe, la texture du petit pois accroche bien au vin de Barmès Buecher.

Muscat Réserve 2009 – Léon Beyer : un muscat très aromatique au nez de fruits mûrs et d’herbes, sec et charnu en bouche. Un superbe équilibre entre la fraîcheur aromatique et le coté juteux du fruité, qui évolue malheureusement assez rapidement dans le verre. A boire. Très Bien
Muscat Ottonel 2004 – Barmès-Buecher : un muscat léger marqué par des arômes d’ortie et de menthe sèche, sec en bouche avec une légère évolution. La fin  de bouche est marquée par une pointe d’alcool (13.9% quand même, pour moins de 2g/l de SR). Bien

Déclinaison autour de l'asperge

L’assiette à elle seule valait le détour : une brouillade d’œufs aux pointes d’asperges, une crème d’asperge aux morilles, et des asperges blanches au jambon cru, accompagnées de dés de saumon cru mariné. Les deux vins de 2008 représentent une bonne approche des muscats de terroir, en particulier le grand cru Kirchberg de Barr de Klipfel qui a créé une très bonne surprise par sa grande qualité. Le Muscat de Ginglinger-Fix trouve sa place en accompagnement du saumon et de la crème de morille, mais manque légèrement de puissance pour tenir tête à la brouillade ou aux asperges avec le jambon cru. Le Kirchberg de Barr de Klipfel, plus ample et plus concentré, s’accommode de la texture crémeuse de la brouillade, et ne rechigne pas sur le jambon cru qu’il équilibre parfaitement. La bonne maturité physiologique de cette cuvée permet d’éviter l’amertume qu’une telle association aurait pu créer. Bien plus que des accords aromatiques, on entre de plein pied dans la gastronomie et dans les vins de terroir.

Muscat 2008 – Ginglinger-Fix : une cuvée de muscat Ottonel originaire pour moitié du Hatschbourg et vinifié sec (moins de 2g/l de sucre résiduel), c’est un muscat aromatique, croquant et avec de la profondeur. Très Bien
Muscat Grand Cru Kirchberg de Barr 2008 – Domaine Klipfel : produit par du muscat d’Alsace, c’est un vin tendre qui possède de l‘ampleur, de la chair et de la minéralité. D’une grande sensualité et remarquable de pureté, c’est un grand vin de terroir déjà abordable jeune, les arômes du muscat s’associant très bien à la texture en bouche. Très Bien

La Lotte vapeur, Nage de Langoustines et Herbes Printanières

La lotte vapeur et sa nage de langoustine est plat puissant qui appelle des vins charpentés. Issus des meilleurs terroirs alsaciens, les deux vins présentés sont issus de millésimes à maturité. Le Kirchberg de Ribeauvillé se montre très puissant, au point de dominer le poisson seul. Le riz doit compléter chaque bouchée pour créer un accord équilibré, l’acidité du vin apportant à ce moment une fraîcheur bienvenue. L’Altenberg et sa texture plus souple s’accorde bien avec le poisson et la sauce, renforçant la complexité aromatique. Deux exemples d’accords gastronomiques qui démontrent l’intérêt des muscats Grands Crus.

Muscat Grand Cru Kirchberg de Ribeauvillé 1985 – André Kientzler : un vin avenant, de robe claire, au nez d’épices et de menthe sèche, évoluant par papier à l’aération sur des notes fumées. La bouche est ample avec du gras, sapide avec une belle fraîcheur. Un vin charpenté à maturité, qui se conservera encore longtemps. Très Bien
Muscat Réserve Altenberg 1969 – Gustave Lorentz : La robe est dorée, brillante. Le nez est ouvert, sur la menthe fraîche, l’encaustique et l’arachide grillée. La bouche est ample, profonde avec du gras. Le terroir imprime sa patte sur ce vin issu d’un grand millésime pour le muscat. L‘une des deux bouteilles se montre plus fatiguée, de robe plus foncée avec une légère oxydation. Très Bien

L'Agneau de Lait des Pyrénées, jus à l'Ail des Ours, Carottes Confites et Petits Légumes à la Mélisse

Oser un muscat grands cru sur de l’agneau était certainement la tentative la plus originale du diner, mais avec l’architecture du plat et les terroirs puissants proposés, la dégustation fut des plus intéressantes. Les deux millésimes de Goldert proposent les tanins propres marquant tous les vins issus de ce terroir, la différence de millésime se traduisant par une différence dans la surmaturité. Si le 91 est botrytisé et donc très aromatique, le 90 est sain et présente un nez plus discret. Les deux Goldert se marient bien avec la texture fondante de l’agneau de Lait et des carottes confites ; c’est sur les petits légumes à la mélisse que les différences vont apparaître, le 91 se fondant au plat alors que le 90 marque sa différence et reste dissocié du plat en bouche coté arômes. L’Altenberg de Bergbieten de Mochel se déguste admirablement bien, et aurait certainement fit merveille avec tous les plats précédents. Sa fraîcheur tranche avec la texture de l’agneau, et l’assortiment de légume met en avant de manière intense la salinité du vin. Un accord tout en contraste très intéressant.

Muscat Grand Cru Goldert 1991 – Zind-Humbrecht : La robe est claire, de nuance or blanc. Le nez est ouvert, de bonne intensité, avec des arômes de réglisse, de menthe sèche, et une pointe de mélisse.  La bouche est ample, saline avec une acidité très présente, donnant un relief particulier à la cuvée. Un vin exceptionnel à parfaite maturité. Excellent
Muscat Grand Cru Goldert 1990 – Zind-Humbrecht : la robe claire laisse place à un nez aromatique, d’une grande jeunesse, autour d’arômes de bourgeon de cassis, de fruits mûrs avec des notes poivrées à l’aération. La bouche est ample, profonde sur un équilibre sec qui possède du gras. Un vin puissant qui arrive à son plateau de maturité, qui restera certainement encore très longtemps à son apogée. Excellent.
Muscat Grand Cru Altenberg de Bergbieten 1988 – Frédéric Mochel : une cuvée 100% muscat Ottonel. Le nez est complexe, net et d’une grande jeunesse, avec des arômes de menthe poivrée, d’épices, d’encaustique avec une pointe fumée. La bouche est ample, pure avec du gras, à la façon d’un chablis grand cru de grand millésime. La finale est longue sur la sensation minérale. Un couple cépage/terroir idéal et un vin minéral marqué par l’Altenberg de Bergbieten parti pour une très longue garde. Excellent.

Les Fromages de chèvre affinés par Jacky Quesnot

Le muscat jeune est le compagnon idéal des fromages frais et autres chèvres secs. La sélection de notre repas comprenait du Crottin de chèvre fermier,  de la Buche de chèvre affinée, une Pyramide de chèvre cendrée, un Reblochon de chèvre, et du Grataron d'Arèches, une tommette de chèvre à croûte lavée. L’affinage croissant des fromages allait permettre de trouver un bon équilibre sur les muscats de millésimes anciens. Le programme initial a été modifié car l’une des deux bouteilles de muscat 1967 était couleuse et oxydée, une bouteille de muscat 1962 de Léon Beyer a du coup été ouverte. Contre toute attente, le 2008 mais aussi le 1962 sont très bien passés sur le crottin, la buche et la pyramide, le 67 s’accommodant plus facilement de la texture plus crémeuse et compacte du reblochon et du grataron. Muscat de millésime ancien ne signifie donc pas vieux muscat.

Muscat Tradition 2008 – Hugel et Fils : peu macéré en 2008, le muscat est plus que jamais croquant, aromatique et frais, avec un équilibre frais en bouche. Bien
Muscat Cuvée Exceptionnelle 1967 – Bott frères : un vin très mûr légèrement évolué, avec une note de sous bois au nez. Le nez comme la bouche gagnent en netteté à l’aération, le vin prenant un équilibre gras, acidulé et pur, avec une finale sur les fruits à noyau. Bien
Muscat 1962 – Léon Beyer : un muscat de presque 50 ans qui a conservé une fraîcheur aromatique remarquable, sur le raisin frais et la menthe sèche. La bouche manque un peu de fond pour être un grand vin de terroir, mais a conservé un bel équilibre sec et frais. Très Bien

La Soupe de Fraises à la Menthe et Poivre Noir, Jus au Balsamique Vieux

Si le muscat d’Alsace détonne dans le paysage mondial du muscat généralement axé sur les vins doux, quelques cuvées issues de surmaturation produisent des muscats moelleux et liquoreux d’exceptions. Gardant la fraîcheur du fruit à l’instar d’un muscat du Cap Corse (sans en avoir l’alcool), ou prenant des notes plus confites rappelant les muscats de Frontignan, Mireval ou de Baumes de Venise, les muscats alsaciens doux ne soufrent que de leur rareté, due à a difficulté de les produire. Si le terroir granitique du Brand réussit particulièrement bien sur le dessert à cause de son équilibre acidulé, fin et cristallin, le muscat de Muré soufre d’un surcroit de puissance et d’une manque de fraîcheur aromatique pour accompagner le dessert. Sur l’agneau en revanche, il aurait certainement été un bon compagnon. En fin de repas, le muscat SGN 2008 de la Cave de Ribeauvillé vient couronner un repas fabuleux.

Muscat Grand Cru Brand Vendanges Tardives 2001 – Armand Hurst : la robe est or pâle avec de légers reflets verts. Le nez est ouvert, délicieusement fruité avec de l’abricot, de la fleur d’oranger, de l’écorce d’orange. La bouche est moelleuse en attaque, puis acidulée avec de la chair, présentant un équilibre frais et moelleux (37g/l de sucre résiduel). La fin de bouche est très longue et complexe, avec de la fraise et une légère amertume qui rappelle la peau des mirabelles au sirop. Le vieillissement a apporté une complexité aromatique et une texture patinée remarquables. Excellent
Muscat « d » 2002 – René Muré : le muscat du Clos Saint Landelin récolté en VT a finalement été déclassé en muscat générique doux. Le nez est aromatique, très riche avec du pralin, du miel, de la citronnelle et une touche de sous bois moins nette qui trahit une qualité imparfaite de la pourriture noble. La bouche est riche et épicée, avec un moelleux encore très présent qui masque la minéralité du terroir à ce stade. On est loin du fabuleux Muscat Clos Saint Landelin VT 2004, et le vin qui se buvait bien sur sa fraîcheur jeune devrait être terminé sans tarder. Bien

Muscat Sélection de Grains Nobles 2008 – Cave de Ribeauvillé : petite surprise de fin de repas offert par la cave qui a produit 80 litres d’un vin liquoreux exceptionnel en 2008, après un tri sévère des baies botrytisées dans toutes les parcelles de la cave. Seules deux cuvées de muscat SGN ont été revendiquées en Alsace en 2008. Le nez est très pur sur l’abricot frais, évoluant sur la menthe fraîche, la mangue et le miel. La bouche est onctueuse, très pure avec une acidité importante qui donne une légèreté. Le vin possède un équilibre liquoreux (11.8% alc, environ 100 g/l de sucre résiduel) mais se boit très facilement. Un tour de force. Excellent

Un repas remarquable qui a permis de découvrir les terroirs alsaciens au travers d’un cépage généralement réservé à une consommation rapide. Moins connus que les autres cépages dits nobles, les muscats de Grand Cru produisent des vins tout autant taillés pour la grande garde dès lors que leur origine est noble. Si les vieux muscats peuvent rappeler les vieux rieslings, leur caractère plus épicé et leurs arômes d’herbes sèches permettent parfois de les distinguer.
Les muscats grand cru étant généralement moins recherchés, ils représentent en outre de bons rapports qualité prix avec de bonnes disponibilités, pour peu qu’on se positionne rapidement dès la mise en vente des cuvées.

Thierry Meyer

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