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Jubilation et Tristesse

A tous ceux qui s’étaient convaincus qu’avec mon caractère bien trempé je resterai un de ces dégustateurs célibataires condamnés à œuvrer seul dans sa chambre d’hôtel entre deux journées de dégustations d’échantillons de vin du Jura, de Savoie ou d’Alsace,  j’ai bien peur de devoir les décevoir en leur montrant la photo de la désormais Madame Meyer !

Mariage Thierry & Emmanuelle
 

Si le banquet gargantuesque du 16 mai 2009, préparé pour l’occasion et d’une main de maître par un Jean Philippe Guggenbuhl en pleine forme fut un grand moment, le déjeuner en petit comité qui a suivi la cérémonie civile une semaine plus tôt fut l’occasion d‘agapes autrement gastronomique, réservées à l’intimité familiale.
La Taverne Alsacienne étant notre lieu de prédilection pour un tel moment, le choix des plats et des vins fut l’occasion de sélectionner quelques coups de cœur passés et de partager en famille les grands accords de notre gastronomie régionale et nationale.

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Crémant 1995 en Magnum – Seppi Landmann
La Petite Salade de Homard
Corton Charlemagne 2003 – Bouchard Père et Fils
Le Filets de Sôle aux Nouilles façon "Pyramide"
Riesling Jubilée 2001 – Hugel et Fils
Riesling Réserve Exceptionnelle 1970 – Hugel et Fils
"Le Filet de Veau aux Champignons des Bois
Les Légumes de saison"
Volnay 1er Cru Santenots 1990 en Magnum – Domaine Buisson-Charles
La Soupe d'Agrumes à la Verveine Citronnée
Riesling Grand Cru Schlossberg Sélection de Grains Nobles 2004 – Domaine Weinbach

Compte tenu de l’importance du moment et de mon échelle d’appréciation, tous les vins cités sont tout naturellement notés « Excellent », même si en d’autres occasions ils auraient eu une appréciation toute aussi élevée. Le lecteur comprendra toutefois la subjectivité volontaire et naturelle de ce compte rendu…

L’apéritif et les amuses bouche furent l’occasion de rappeler que 1995 est une grande année pour le crémant en Alsace. Ce magnum de Crémant 1995 de Seppi Landmann a dormi dans la cave de Westhalten jusqu’en début d’année, et la lente maturation en bouteille lui a donné une robe paille, une bulle très fine, un nez de fruits secs et de biscuit et une bouche de bonne densité avec une mousse compacte et beaucoup de finesse. Le vin a gardé beaucoup de fraîcheur et a très bien évolué. Un flacon qui n’est pas sans rappeler quelques belles cuvées d’une autre région produisant des vins effervescents.

La salade de homard est un met délicat et puissant qui devait exceptionnellement appeler un Corton Charlemagne 2003 de Bouchard Père & Fils. Servie tiède avec une vinaigrette légère rehaussée de balsamique, elle n’a pas peur de se marier avec un vin puissant. Oublions le millésime 2003 sur ce corton charlemagne magnifique car la robe est pâle et le nez d’une grande droiture, dominé par la fleur d’acacia, l’anis et une légère pointe de miel et d’agrumes. La bouche est dense, ample et d’une grande pureté, l’acidité bien présente d’une grande finesse et l’expression minérale du cru remarquable. Sans chercher un gras excessif, cette cuvée est la main de fer dans un gant de velours, la combinaison idéale de puissance et de finesse que j’aime beaucoup dans cette appellation.

Un repas d’une telle importance ne pouvait pas se concevoir sans notre plat fétiche, le Filet de Sôle aux nouilles « Pyramide » façon Fernand Point, spécialité que Jean Philippe a repris de son temps passé aux cotés de Philippe Gaertner au  restaurant d’Ammerschwihr « Aux Armes de France ».
Les filets charnus de grande qualité cuits à la perfection, accompagné d’une sauce hollandaise et de réduction de vieux riesling, le tout gratiné au four avant le service, est un plat difficile à faire tant les approvisionnements en poisson sont parfois délicats. Ici ce fut une grande réussite, et pour accompagner le plat fétiche, une cuvée mythique de riesling du Schoenenbourg déclinée par la maison Hugel allait nous transporter au paradis. Le Riesling Jubilée 2001 est un vin encore jeune qui a déjà franchi un premier palier, pour offrir des notes finement naphtées et fumées sur un fit encore jeune. La bouche est d’une grande minéralité, dotée d’une acidité mûre très pure qui donne une impression de finesse et de longueur impressionnante en bouche. Oublions  le grand cru puisqu’il n’est pas revendiqué, et parlons tout simplement d’un grand riesling, comme le font les anciens. Ce 2001 ira loin, avec une garde prévisible de 40-50 ans au moins. Son grand frère le millésime 1970 est une cuvée exceptionnelle qui s’appellerait aujourd’hui Jubilée, récoltée en forte maturité de manière tardive dans un millésime peu réputé pour sa chaleur. Cette fausse vendange tardive offre aujourd’hui un bouquet d’une grande complexité, dominé par le fumé et les épices nobles, mais surtout présente un toucher de bouche similaire au 2001, la patine et l’élégance en plus. On ne se lasse pas de humer le verre, de goûter une gorgée, de prendre un morceau de poisson et quelques nouilles au beurre trempées dans la sauce, et c’est la symbiose avec le vin qui vient enrober le poisson sans dominer la sauce. Evitons de saucer trop avec du pain, car il reste un plat de viande.

L’appétit est toujours là, et pour accompagner le filet de veau, j’ai retrouvé le magnum que Patrick Essa m’avait offert pour mon anniversaire en 2002 et que j’avais réservé pour une occasion spéciale. Ce Volnay 1er Cru Santenots 1990 en magnum du Domaine Buisson-Charles est un des grands flacons de la Bourgogne, combinait une robe claire d’une couleur tout à fait exceptionnelle sur les tons rouge cerise à peine tuilés, et un bel éclat. Le nez se libère après quelques minutes d’aération, et se montre grandiose avec des arômes de cerise noire et de violette et quelques nuances fumées et réglissées. En bouche, le vin glisse, tapisse, persiste, les tanins sont murs et parfaitement fondus, offrant un équilibre magique comme seule la Bourgogne sait offrir. Le filet de veau possède ce qu’il faut de matière pour accompagner le vin de manière subtile, formant un mélange élégant et fin.

Après de tels mets, on oublie le fromage et on passe au dessert. Foin des crèmes pâtissières et des biscuits, le plaisir sera frais et aérien avec cette soupe d’agrumes qui servira de prétexte à un Riesling Sélection de Grains Nobles 2004 d’anthologie. 2004 est une grande année sur le Schlossberg qui a fait fi des pluies d’octobre et permis une bonne maturation du riesling, avec en prime un développement très rapide de la pourriture noble qui a permis de produire des SGN d’anthologie. L’essai fut naturellement transformé avec succès par le Domaine Weinbach qui maîtrise ce type de vin à la perfection, et c’est une fin de repas en feu d’artifice qui a égayé notre palais : la déclinaison d’agrumes se fait au niveau des arômes du vin , complétées de fines notes florales très fraîche, et la bouche est d’une pureté cristalline remarquable, proposant une finale interminable. La soupe d’agrume au moelleux modéré vient rehausser les amers nobles du vin et allonger encore la finale.
La table et ses plaisirs offrent vraiment des occasions unique de célébrer de grands moments comme celui-ci, et les chefs comme les vignerons à l’origine de tels plaisirs doivent être remerciés à leur juste valeur.

Tout ce déballage de bonheur est cependant légèrement terni par une triste nouvelle.
A l’heure où j’écris ces lignes,  je me rends compte que je n’aurai pas l’occasion de remercier Jean Hugel pour ses formidables vins qui ont accompagné une telle sélection, en particulier ce magnifique riesling 1970 qu'il m'avait généreusement sorti de sa cave l'année dernière pour arroser une "heureuse occasion à venir". Jean vient de nous quitter emporté – selon l’expression pudique employée – par la Maladie, avant que nous lui ayons le temps de lui faire parvenir un compte rendu à son hôpital. Il reste dans les caves de très nombreuses manifestations de son génie, et nous aurons heureusement encore longtemps l’occasion de lui rendre hommage un verre de vin d’Alsace à la main.

Respect.

Thierry Meyer