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Légende surfaite ou simple bouteille défectueuse, évitons les conclusions hâtives…

La grande qualité des vins de légende est leur capacité d’émouvoir l’amateur tant sur le plan aromatique et gustatif que sur le plan culturel et intellectuel, chaque bouteille apportant son lot d’histoire et de notoriété. En Alsace, s’il y a une cuvée que tout amateur se doit d’avoir goûté une fois dans sa vie, c’est bien le Clos Sainte Hune, riesling emblématique de la Maison Trimbach. Malgré tout ce qu’on peut en lire, la dégustation récente de deux demi-bouteilles s’est malheureusement montrée décevante.

Ste Hune

Ste Hune 

Première bouteille à droite, deuxième à gauche

La première bouteille, au bouchon humide et légèrement noirci, annonce une mauvaise nouvelle, vite confirmée par sa robe vieil or. Un Clos Sainte Hune doré à ce point n’existe pas, même pas les très veux millésimes ou les vendanges tardives des millésimes 1983 ou 1989. Le nez confirme la robe avec une oxydation prononcée, des arômes de cire et de pomme cuite que seul un effort intellectuel important ferait passer pour de la minéralité. La bouche est une déception encore plus grande, car derrière l’oxydation du vin on sent le gras et le corps du vin ainsi que la bonne maturité de cette cuvée dans un millésime réputé difficile pour la production de grands rieslings secs sur des sols calcaires.

La deuxième bouteille est tout aussi abimée quoique différente. La robe possède un peu plus d’éclat, mais reste trop dorée pour être parfaite. Le bouchon est pourtant parfait dans sa forme, il est imbibé sur 5mm seulement. Si le nez est moins oxydé que celui du premier vin, il reste altéré, mais cette fois prend une forte note liégeuse plus facilement détectable pour le néophyte. La bouche une fois de plus conserve les qualités d’un grand Sainte Hune, masquées partiellement par le liège et l’oxydation.

Ste Hune 

Première bouteille en haut, deuxième en bas

La consolation fut apportée par un Riesling Grand Cru Rosacker 1996 du domaine Sipp-Mack, finement pétrolé au nez avec une bouche ample dotée d’une acidité mûre. Conséquence de la forte maturité comme souvent chez Sipp-Mack, le vin présentait un léger moelleux dans sa jeunesse, mais ce moelleux est désormais fondu et l’équilibre quasi sec.

Deux réflexions que je tire de cette mauvaise expérience:

La première est que les demi-bouteille de Clos Sainte Hune sont visiblement sensibles à l’oxydation, une expérience similaire sur un 2000 m’avait déjà mis la puce à l’oreille. Est-ce la raison pour laquelle la Maison Trimbach a arrêté de produire des demi-bouteilles de Clos Sainte Hune ?

La deuxième est plus préoccupante. C’est l’avis que peuvent avoir des personnes qui découvrent un vin rare et souvent inaccessible comme le Clos Sainte Hune à l’occasion d’un repas au restaurant, ou lors d’un cadeau qu’ils reçoivent ou qu'ils s'offrent pour une occasion spéciale. Que vont-il penser du vin qu’ils découvrent pour la première fois si le flacon est endommagé ? Vont-ils se rendre compte que la bouteille est défectueuse ? Connaissant les raccourcis régulièrement employés par les plus vindicatifs des internautes bloggeurs, il n’y a qu’un pas à franchir pour que la capacité de vieillissement des vins d’Alsace soit remise en cause sur une seule bouteille, mais surtout les dénigrements peuvent pleuvoir d’autant plus rapidement que la cuvée dégustée possède une forte notoriété. Les descentes en règle sont généralement adressées par certains amateurs à toutes les cuvées réputées, accusées de manquer de l’authenticité et de la sincérité sensées caractériser les cuvées moins médiatisées. Et aux meilleurs auteur de sortir le jugement définitif qui servira de référence dans les discussions des 15 prochaines années : "j'ai goûté, j'ai été déçu, le vin est très surfait".

S’il y a avait une leçon à retenir d’une telle dégustation, c’est que si un bon vin peut accidentellement se présenter moins bon, un vin moyen ne sera jamais accidentellement grand. Une asymétrie qui incite à la prudence face à des cuvées décevantes, qu'elles soient réputées ou non. Si vous avez l’occasion de boire un Clos Sainte Hune à l’occasion des fêtes, un 1999, un 1992, un 1985, ou pourquoi pas un jeune 2001 ou un tout jeune 2002, j’espère que le flacon sera au niveau de sa qualité intrinsèque. C’est tout le bonheur que je peux vous souhaiter car le moment est exceptionnel.

Thierry Meyer