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Chronique du 22 août 2011 : Foire aux Vin de Colmar et Grands Vins d‘Alsace sont-ils compatibles ?

La Foire aux Vins de Colmar 2011 a fermé ses portes mi-août, l’occasion de se demander quel est son lien réel avec le vin d’Alsace, et quelles sont les perspectives d’utiliser l’événement pour promouvoir les grands vins d’Alsace. L’initiative 2011 de créer un stand spécifique consacré à des grands vins va dans le bon sens, même si elle reste perfectible pour sa première année.

Une foire pour déguster ou pour boire

La Foire aux vins de Colmar est une foire d’exposition de matériel agricole et viticole, mais aussi foire commerciale avec son lot de vendeurs de salons cuir, de bains bouillonnants et autres gratte-dos aromatique breveté, sans oublier les indispensables camelots qui font la claque du dernier produit pour effacer les tâches les plus diverses ou découper des légumes en mille manières. Si la foire aux vins connaît une forte activité commerciale la journée, la soirée est consacrée à la fête, avec les concerts prestigieux dans le théâtre de plein air qui peut accueillir près de 10000 personnes (aaah, Johnny Halliday…), et d’autres cabarets proposant spectacles et musique. Si les stands commerciaux continuent de faire le plein, coté alimentation on se restaure de croque-monsieur et autres spécialités gratinées, et on boit de la bière ainsi que du vin d’Alsace. Le vin d’Alsace, justement. Présents sous la forme de stands promotionnels des grandes marques les plus visibles de la région (par exemple Wolfberger, Arthur Metz,  Bestheim ou la Cave de Beblenheim, Dopff au Moulin) ou de quelques producteurs plus petits, les vins d’Alsace sont faits pour être consommés et pas souvent dégustés. La célébration des vins de la région se fait par la consommation, parfois exagérée en fin de soirée, certains groupes de jeunes se saoulant à coup de gewurztraminer (quand ce n’est pas du « marc de… »)  bu au goulot de la bouteille.

La difficulté d’une vraie mise en avant des grands vins

Du coup, la promotion de la région par ses grands vins relève du challenge. Les années passées dans un Hall de la Foire on pouvait déguster plusieurs centaines de vins d’Alsace d’origines diverses et variés. La qualité des vins était très hétérogène, et la communication de l’ensemble peu propice à faire venir des amateurs de vin. Cette année la volonté a été de se concentrer sur quelques cuvées de qualité, quitte à être plus sélectif et donc moins consensuel. Les stands syndicaux représentant respectivement les vignerons indépendants, les négociants et les caves coopératives (image passéiste reflétant surtout le peu d’intérêt de la viticulture alsacienne pour le consommateur), ont été remplacés par un stand unique, en forme de feuille de vigne, en tout cas vue d’en haut pour ceux qui ont pu voler au dessus du stand :

Stand Foire

La photo prise montre un alignement de tables entourées par des pancartes aux noms des vins AOC alsaciennes. Probablement que l’aspect esthétique est moins important lorsque le stand est bien rempli et que chacun fait la queue pour remplir son verre, mais  à titre de comparaison, une maison comme Hugel à Riquewihr dispose d’une autre réflexion sur la mise en valeur de ses produits, comme en témoigne le plan de son stand à Vinexpo :

Stand Hugel

A Colmar cette année, une sélection d’une centaine de crus a été proposée à un tarif de 1€, 2€ ou 3€ par verre de 6cl en fonction de la gamme du vin. Une caution de 2€ permettait d’emprunter un verre de dégustation décent, et pour la même somme on pouvait acheter une copie de la liste des vins, pour ceux qui ne voulaient pas consulter le tarif sur place. On pouvait ainsi déguster pour une somme très modique des grands vins référence dans leur appellation, comme le Crémant de René Muré, le Gewurztraminer Grand Cru Furstentum 2008 du Domaine Weinbach, ou des vins rares comme le Riesling Silberberg Sélection de Grains Nobles 2007 du Domaine Pfister. L’amateur de vins d’Alsace avait là de quoi faire une belle dégustation, encore fallait-il l’encourager.

Une grande région viticole réputée combine un grand potentiel avec l’exploitation de ce potentiel. Le potentiel signifie de grands terroirs produisant des vins complexes  et parfois de grande garde. Sur ce point, l’Alsace a tout juste, ses plus grands vins ayant démontré depuis plusieurs siècles qu’elle n’avait rien à envier aux autres régions.
Pour ce qui est de l’exploitation de ce potentiel, elle passe par la reconnaissance des grands vins, par les producteurs eux-même et par les clients amateurs de vin, par des accords mets/vins mettant la complexité des meilleurs crus en avant, et par une mise en avant des vieux millésimes en soulignant leur potentiel de bonification, plutôt que leur simple conservation.
Or en Alsace la reconnaissance des grands vins est quasi nulle, de la part des producteurs qui les connaissent très mal comme de la part des amateurs, qui confondent parfois la grandeur d’un vin à son niveau de sucrosité. Le stand des grands vins était animé par des vignerons dont la plupart n’avaient jamais goûté les vins qu’ils servaient, et étaient tout naturellement incapables d’en expliquer la complexité gustative. A la Foire aux vins, pas facile de voir les flacons,  pas moyen de voir une étiquette, c’est tout juste si la personne responsable du service vous montre la bouteille lorsque vous lui demandez un verre de « numéro 185 ».

Doit mieux faire l’année prochaine

La volonté de faire quelque chose avec la réputation des grands vins d’Alsace est donc bien là, et si les débuts sont timides, il faut l’encourager. Mais cela suppose que les vignerons participent à cet effort de promotion, en connaissant, respectant et valorisant les grands vins d’Alsace même s’ils ne sont pas issus de leur production. Alors plutôt que d’investir dans un stand plus fonctionnel, plus séduisant ou plus lumineux, la priorité devrait être de rassembler des vignerons intéressés par la promotion du vin de grande qualité.
Plutôt que de dépenser de l’énergie à défendre leurs territoires respectifs en cherchant à convaincre les consommateurs de leurs différences, les vignerons indépendants, producteurs négociants et autres coopérateurs feraient bien de commencer par parler de vin d’Alsace, de grands vins d’Alsace, et surtout d’en boire un peu plus.

Thierry Meyer