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Chronique du 9 octobre 2011 : la convivialité des Alsace, ennemi de la notoriété des meilleurs ?

Le vin d’Alsace a une bonne réputation auprès des consommateurs : vin de soif, vin plaisir, dont la bouteille aux formes allongées rappelle le long cou des cigognes emblématiques, et avec elles, toute l‘imagerie touristique qui fait le charme de la Route de Vin. En France, l’affection du public d‘après guerre pour le retour au pays de l’Alsace a également contribué au renforcement de la forte notoriété culturelle de la région. L’Alsacien est sérieux et travailleur, c’est aussi un bon vivant qui se régale de charcuteries et autres spécialités à base de chou et de pomme de terres. Si le vin d’Alsace, nommé par son cépage est qualifié de « bon p’tit vin », l’autre compliment associé à la convivialité concerne l’accueil des vignerons, souvent chaleureux et en phase avec l’image de la région. Si ce positionnement permet de vendre du vin d’Alsace ordinaire dans le Grand Est de la France pour majorité, et jusque loin dans le reste du monde, ne nuit-il pas au développement de la notoriété des grands vins, et donc de leur succès commercial ? Un point de vue développé après ce constat fait que l’élite de la viticulture alsacienne reste décidément très accessible à l’amateur connaisseur. Mais est-ce vraiment bénéfique ?

Le grand vin possède des qualités organoleptiques indéniables, mais il est souvent également entouré d’une notoriété, d’un prix, d‘une étiquette qui contribuent à sa réputation. Alors que les Châteaux Bordelais les plus réputés ou les maisons prestigieuses de Champagne ne font pas de visites gratuites, et que dans les meilleures domaines bourguignons le visiteur doit montrer patte blanche pour se voir ouvrir la grille du portail, de tels comportement sont parfois critiqués, mais souvent acceptés par une clientèle qui comprend le caractère exclusif des rencontres. Le vigneron alsacien est trop authentique pour développer un tel snobisme, même si certains ont développé une fâcheuse tendance à juger de la qualité d’un visiteur – et de l’intérêt qu’on lui portera » à la plaque d’immatriculation de son véhicule. Dans tous les cas, pour être exclusif il faut pouvoir  ne pas répondre à une forte demande, et donc il faut se faire désirer.

Deux erreurs de positionnement historiques ont à mon avis contribué à diminuer l’intérêt des amateurs pour les grands vins d’Alsace. La première est celle du développement expansif des grands crus, qu’il a fallu délimiter et mettre en œuvre rapidement. Face à un vignoble alsacien qui peinait à segmenter la qualité d’un offre souvent uniquement présentée par son cépage, mais sans indication de région, de village ou de lieu-dit, la catégorie Grand Cru a permis  de séparer le riesling « Premium » du riesling générique. Les premières règles drastiques qui avaient été imaginées, empêchant un grand cru refusé à l’agrément de se replier en AOC Alsace générique, ont bien vite été supprimées. Avec 24, Puis 50 et désormais 51 lieu-dit entrant dans l’appellation Grand Cru, l’absence de références claires à des villages ou a des régions a rendu complexe la compréhension de ces grandes références. Je suis personnellement en faveur d’une mention Grand Cru similaire à celle utilisée à Saint Emilion, sans référence de lieu-dit, qui permettrait de distinguer le vin de cépage premium de l’ordinaire. Est-ce que cela empêcherait une certaine viticulture productiviste de venir brouiller le message des vins de terroir ?
La deuxième erreur a été de promouvoir à outrance les vendanges tardives et sélections de grains nobles. Présentées par les instances communicantes comme « Au sommet de l’appellation », le message a doucement imprimé dans la tête des consommateurs que plus un vin était sucré, meilleur il était. D’ailleurs, il suffit de voir les tarifs de certains grandes maisons pour s’en rendre compte : les cuvées de chaque cépage sont énumérées, de la cuvée réserve à la cuvée médaille d’Or, puis le lieu-dit, le Grand Cru, la vendange tardive, et enfin, la sélection de grains nobles. Avec une échelle de prix qui suit cette liste, comment imaginer que le grand cru puisse être le meilleur vin de la série ? Ceci a particulièrement été le cas pour les pinots gris et gewurztraminer grands crus, qui peinent à se vendre quand ils sont trop secs, pour n pas parler du refus d’agrément.
Au final, l’Alsace met sa convivialité en avant, et le grand public vante l’Alsace et ses bons ptis vins, ou alors l’Alsace et ses « VéTés ». Et quand il s’agit d’aller chercher du bon vin, l’amateur sérieux achète du Bourgogne et du Bordeaux.

Quelles pistes pour s’en sortir ? Certains vignerons idéalistes pensent que le dur labeur finira par payer, et qu’à force de vendre de grands vins à 14€ départ cave les clients finiront par reconnaître la qualité intrinsèque du vin, et son incroyable rapport qualité-prix. La vérité est qu’un vin à 14€ restera un vin à 14€, et ne sera dans l’esprit de nombreux amateurs jamais au niveau d’un vin à 140€. La Maison Trimbach a certainement compris ce phénomène, en vendant son Riesling Clos Sainte Hune plus de 130€ la bouteille départ cave, le vin est positionné plus cher que les VT et SGN qui sont pourtant également de très grande qualité. Résultat, elle n’en produit pas assez pour répondre à la demande. Sa qualité n’est pourtant pas perçue comme significativement différente de celles des Rieslings Grand Cru Rosacker de maisons comme Agapé, Mader, Mittnacht-Klack ou Sipp-Mack, vendus moins de 20€ et facilement disponibles. Mais voilà, d‘un coté il y a la référence, rare, chère, non disponible à la dégustation au domaine pour n’importe quel quidam de passage. De l’autre, des vignerons accueillant et qui font tout goûter. Quelle cuvée est la plus attirante ?

Même si l’effort peut paraître contre-nature à certains, il faut rendre le caractère exclusif aux grands vins d’Alsace, et les mettre en avant au niveau de leur qualité réelle. C’est à dire les réserver à des moments d’exception, les mettre en scène comme on le ferait avec d’autres grands vins. Et ne pas les servir à tout le monde. Les prix suivront à la hausse une fois la spirale vertueuse démarrée, il faut juste que les vignerons croient en leur vin.

Thierry Meyer