24 juin 2016 – A l’heure où le Brexit repose la question d’une construction européenne à plusieurs vitesses par des cercles concentriques de membres, l’association Alsace Crus et Terroirs tente une nouvelle approche pour valoriser les grands vins d’Alsace, et par la même occasion de tirer toute la région vers le haut. Initiée par Marc Rinaldi, l’homme d’affaire colmarien reconverti dans le vin, à l’origine du salon Millésime Alsace et désormais propriétaire du Domaine Martin Schaetzel, l’association créée fin 2015 a profité du salon Millésime Alsace 2016 pour organiser le 12 juin dernier une dégustation de quelques grands vins au Musée Unterlinden. L’association regroupe des domaines réputés présélectionnés sur base de leur classement dans les différents guides, mais aussi sur base de leur prix de vente moyen réel, soit le chiffre d’affaire des ventes de bouteilles rapporté au nombre de flacons vendus. 19 des 28 domaines initialement présélectionnés sont tombés d’accord sur une charte et choisi de mettre leurs efforts en commun pour promouvoir les grands vins d’Alsace, d’une manière élitiste assumée et à l’image du VPD allemand.

 

Cette initiative est une opportunité pour la région, à plus d’un titre. Elle vise d’abord à focaliser l’attention sur les grands vins, leur complexité, le caractère de leur terroir, leur univers culturel, sans parler de sucre résiduel, de soufre ou de tout autre aspect non lié à la qualité et au caractère du vin. Elle se différencie en cela des associations et syndicats de promotion ouverts à tous selon leur origine ou leurs conditions de production, indépendamment de leur niveau de qualité. Deuxièmement, l’association considère sans honte et comme critiques les aspects économiques entourant le vin : prix, image, notoriété, caveau, gastronomie font partie de sa charte. En bref elle rejoint l‘univers familier des consommateurs de grands vins, la Ferrari de Marc Rinaldi donnant le ton. Côté prix, l’association peut se targuer d’avoir dès la création un prix moyen supérieur à celui des domaines allemands membres du VDP. Mais c’est une conséquence de la présélection plus qu’un premier succès de la démarche. Ceux qui seraient tentés de rejoindre l’association en espérant bénéficier de la notoriété de ses membres font probablement une erreur de jugement ; aujourd’hui c’est la notoriété des membres qui se met au service de l’association, pas l’inverse. 

De nombreuses embûches se trouvent sur la route de l’association, parmi lesquels le plus important est certainement l’envie de parler trop souvent d’environnement et de viticulture bio. Les efforts à la vigne et en cave sont légitimes et pertinents mais ne doivent pas être le cheval de bataille de l’association ; d’autres appellations font la promotion du bio comme produit d’une consommation engagée, avec parfois un universalisme loin de l’univers des grands vins. Le refus de faire du commerce est le deuxième écueil à éviter. En se focalisant sur l’image de marque et la notoriété, ne pas oublier que le marketing ne sert qu’à générer des opportunités de ventes, qu’il faut concrétiser par une approche commerciale professionnelle, à la mesure des prix et des marchés convoités. Ceux qui attendent encore devant leur perron que la notoriété fasse venir les acheteurs au caveau en seront pour leurs frais. La vente demande de la technique, pour connaître et gérer son réseau de client, et convertir les prospects en client. L’univers des grands vins est très concurrentiel, et les clients prêts à mettre 50€ dans une bouteille (300€ le carton de 6 pour donner l’image) sont de redoutables acheteurs. Enfin, l’association sera un échec si les vignerons ne jouent pas collectif et se contentent de mettre leurs tables les unes à côté des autres lors des dégustations. Il faudra une connaissance et un respect mutuel de tous les vins produits, qu’ils émanent de producteurs ou de producteurs-négociants, protestants ou catholique, du Bas-Rhin comme du Haut-Rhin, qu’ils soient produits en bio certifié ou pas.

Le succès de l’association se mesurera à toutes les étapes de son développement.

A court terme, on sera attentif à la capacité des vignerons membres de déguster et de parler des vins et des terroirs de leurs collègues. On vérifiera que la notion d’accord mets&vins est une réelle recherche gustative d’accord, et pas uniquement la mise en scène de plats gastronomiques alléchants avec de belles étiquettes. Et on sera content de voir les grands vins d’ACT servis aux côtés de grands vins des autres régions du monde. Une ouverture d’esprit nécessaire pour bien comprendre les qualités intrinsèques des terroirs alsaciens. Faire une dégustation à 19 domaines est facile, quand il faudra préparer un repas dégustation à 4 plats, ce sera difficile de conserver 19 vins différents. Le court terme se mesurera donc dans la capacité à gérer le quotidien, par-delà les effets d’annonce déjà bien relayés dans la presse. 

A moyen terme, ce serait bien de voir les vignerons assister à des repas ACT lors desquels leurs propres vins ne sont pas servis. De voir une dynamique commerciale se mettre en place qui améliore le prix de vente réel au départ du domaine. De créer une visibilité nationale et internationale au travers d’un logo sur l’étiquette ou la capsule des bouteilles. Et pourquoi pas d’accueillir quelques domaines supplémentaires qui associeront leur force à celles de l’association.

Enfin, à long terme l’association sera un vrai succès si elle contribue à aligner la demande et les prix des grands Alsace sur ceux des grands vins des autres régions, et à générer une hausse de la demande pour des entrées de gamme de qualité.

Le VDP allemand a mis 20 ans pour commencer à faire disparaître l’idée d’un riesling allemand bon marché, doucereux et faible en alcool, au profit d’un Riesling Grand Cru sec commercialisé à 45€ la bouteille. Espérons qu’à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux un petit groupe de vignerons alsaciens mette moins de temps que cela. 

C’est tout le succès que je leur souhaite !

Thierry Meyer

Liste des Domaines membre :

• Domaine BARMES-BUECHER, 
• Domaine BOTT-GEYL, 
• Domaine Albert BOXLER, 
• Domaine JOSMEYER, 
• Domaine André KIENTZLER, 
• Domaine Marc KREYDENWEISS, 
• Domaine LOEW, 
• Domaine Albert MANN, 
• Domaine MEYER-FONNE, 
• Domaine du CLOS SAINT LANDELIN, 
• Domaine OSTERTAG, 
• Domaine Martin SCHAETZEL, 
• Domaines SCHLUMBERGER, 
• Domaine SCHOFFIT, 
• Domaine TRAPET-ALSACE, 
• Domaine TRIMBACH, 
• Domaine WEINBACH, 
• Domaine ZIND-HUMBRECHT, 
• Domaine Valentin ZUSSLIN