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Marcel Deiss (Bergheim)

22 Janvier 2005
(Dans le cadre du Weekend autour du Domaine Zind-Humbrecht)

Sous le Grand Cru Altenberg de Bergheim en entrant dans le village, le domaine Marcel Deiss est situé de manière très visible en bordure de la route des vins. La salle qui sert à l’accueil des visiteurs est située à l’avant du bâtiment qui abrite la cave, et est décorée d’échantillons de terre et de pierres des différents terroirs.

Marie-Hélène Cristofaro nous reçoit pour nous présenter le domaine et nous faire découvrir quelques-uns uns des crus. Le domaine s’étend sur 27 hectares et produit pour moitié des vins de cépage, et pour moitié des vins de terroir. Les vins sont classés en trois gammes, des vins de fruit basés sur les cépages aux premiers crus et grands crus, ces deux derniers étant de plus en plus complantés de différents cépages alsaciens. Les travaux de la vigne font une belle place au travail des sols (labour profond et compost) et au choix des cépages plantés, avec des densités élevées. Les élevages sur les lies en foudre ou barrique donnent des vins minéraux et gras qui ont un petit air de ressemblance avec certains vins de Marc Tempé, Barmès-Buecher ou Josmeyer.

Le catalogue des vins est très détaillé et donne beaucoup d’explications sur les terroirs et les cépages utilisés. Le domaine possède un site Web  qui ne comprend pour le moment qu’une page de garde avec une courte description du domaine. Compte tenu de la masse d’informations disponible au domaine dans le classeur de présentation des vins,  une version en ligne serait tout à fait appréciable et contribuerait à répandre de manière plus large encore les informations sur les terroirs.

En fin de dégustation, Jean-Michel Deiss fait une brève apparition pour renforcer les messages de Marie-Hélène. Le domaine est extrême dans sa recherche de qualité, a beaucoup de détracteurs en Alsace, surtout auprès des vignerons qui font de mauvais vins, et ils sont nombreux ! La résistance s’organise donc en attendant le Grand Soir des Terroirs !

La dégustation va se faire à un rythme très intéressant, chaque vin étant longuement détaillé et décrit avant d’être dégusté et commenté. C’est un exercice intéressant mais dangereux car il est facile de dériver du commentaire sur les conditions d’élaboration vers un commentaire sur le vin et ainsi d’influencer le dégustateur : imaginez qu’on vous tende un verre en vous disant « Tenez, c’est un grand vin qui sent la pomme mure et le miel, qui possède une bonne acidité et une finale épicée » : qu’allez-vous sentir, ou plutôt chercher à sentir ? … Certains domaines tombent malheureusement parfois dans ce travers, de peur que celui qui goûte le vin ne perçoive pas toutes ces caractéristiques ? Ici heureusement ce n’est pas le cas.

Le Pinot Blanc Bergheim 2002 – Marcel Deiss (11€) provient d’un terroir calcaire, est composé d’une majorité de pinot auxerrois avec une contribution de pinot beurrot, pinot noir et pinot blanc. L’élevage en barrique et le bâtonnage lui a conféré un élevage presque à la bourguignonne. Le nez est un peu lacté, encore marqué par des notes de levure et de houblon, puis à l’aération dégage des notes mures de fruits jaunes. La bouche est grasse et fraîche avec un léger boisé perceptible en milieu de bouche et une finale acidulée, donnant une belle sensation d’équilibre. Très Bien

Le Riesling Saint-Hippolyte 2002 – Marcel Deiss (15€) est issu des sols granitiques en contrebas du Château du Haut-Koenigsbourg. Le nez est minéral, un peu fumé, avec une amertume qui rappelle le pamplemousse. La bouche est vive, finement acidulée, avec cette fraîcheur du cépage et du millésime qui donne du croquant au vin. L’équilibre est sec avec le coté presque salin des rieslings de ce village, mais sans être tranchant. La fin de bouche se dessine et se prolonge autour de cette fine acidité. Un régal à boire dès maintenant. Très Bien

Le Muscat Bergheim 2003 – Marcel Deiss (15€) est le seul vin de ce millésime actuellement à la vente. Dans un style typique des autres muscats 2003 goûtés à ce jour, le nez est très parfumé, avec des notes de fleurs aromatiques (lilas, jasmin), des notes de raisin frais et une pointe de menthe poivrée. La bouche est fruitée et ronde, avec cette douceur (relative quand même, on est sur un muscat d’Alsace) qui en font un vin déjà agréable à l’apéritif. Un vin très élégant, qui explique certainement le fait que le millésime 2002 soit épuisé depuis longtemps ! Très Bien.

Le Pinot Gris Bergheim 2000 – Marcel Deiss (21€) est issu d’un sol calcaire propice au développement de la minéralité dans ce cépage. Le nez est fumé, un peu grillé, avec des notes de pourriture noble mélangées à des arômes de pêche. La bouche est très élégante, parfumée et souple, finement acidulée. Le milieu de bouche laisse penser un instant à un vin relativement léger, mais les quelques 30 g/l de sucre résiduel sont masqués par la belle minéralité et les arômes de pêche et d’amande grillée reprennent le dessus dans la longue finale. Le vin doit être aéré pour être bu en ce moment, et gagnera à être gardé quelques années. Très Bien

Le Gewurztraminer Bergheim 2001 – Marcel Deiss (23€) complète la série des vins de fruits. Le nez est parfumé et assez complexe, marqué par des notes variétales de litchi et de rose. La bouche est ronde, parfumée, grasse et élégante avec un coté floral assez marqué. Le botrytis se fait sentir en milieu de bouche, et la finale se développe sur des notes d’agrumes confits. L’acidité est peu perceptible mais est bien là et aide à équilibrer les 60 g/l de sucre résiduel qu’on ne sent que comme une légère sucrosité ! Bien

Les vins dégustés de cette série sont tous purs et fins, taillés au ciseau avec des finales souvent longues et très expressives, soutenues par l’acidité. La longueur en bouche est distinctive de la matière très importante  des vins, même si l’impression en bouche est plus fine grâce à l’acidité. Petit coup de cœur personnel pour le Riesling St Hippolyte.

Les vins suivants sont des lieux-dit en cours de hiérarchisation par l’INAO. Ce sont souvent des parcelles connues mais qui ne répondent aujourd’hui pas toujours à des critères géographiques précis ni à des conditions d’élaboration particulières (en particulier au niveau de la limite des rendements).

Burlenberg 2000 – Marcel Deiss (22€): Le seul rouge de la série, pour rester dans la gamme terroir on ne parle plus du « Pinot Noir Burlenberg » mais du « Burlenberg ». La complantation de Pinot Noir (majorité) et d’un peu de pinot beurrot est pourtant la même. La robe est aussi colorée et dense qu’un bourgogne de la Cote de Nuits.  Le nez est corsé, parfumé sur des arômes de ronce, de cassis et de mure, avec des arômes de poivron, des notes grillées et des épices qui apparaissent à l’aération. La bouche est sèche, avec des tanins présents et un boisé pas encore complètement fondu.  La cerise griotte revient en milieu de bouche, avec une acidité assez marquée. Si le nez peut rappeler la bourgogne du Nord de Beaune, la bouche est typique de nombre de pinots noirs alsaciens, avec un petit surcroît de concentration. Un vin à attendre encore quelques années pour que l’ensemble se fonde un peu. Bien.

Engelgarten 2001 – Marcel Deiss (22€) : Le premier vrai vin de terroir est l’Engelgarten, un terroir de graves complanté à majorité de Riesling (60%), et par du pinot gris, du pinot noir, du pinot beurrot, et du muscat. Le nez est minéral, marqué par des arômes de citronnelle. La bouche est assez ronde, minérale avec beaucoup de finesse dans les arômes d’agrume. La fin de bouche donne une impression de gras. Très Bien.

Engelgarten 2000 – Marcel Deiss : pour comparer le terroir sur deux millésimes, Marie-Hélène nous fait goûter le même vin dans un autre millésime. Le nez se fait plus citronné, avec un surcroît de maturité. La bouche est encore un peu perlante, et donne une impression d’être plus jeune que le 2001. L’équilibre est plus sec mais le vin me semble «entre deux eaux », moins défini que le millésime 2001 à ce stade. Bien

Rotenberg 2001 – Marcel Deiss (30€) : Ce Rotenberg est de Bergheim, pas de Wintzenheim, comme chez  Zind-Humbrecht. Le terroir est calcaire, complanté de riesling et pinot gris. Le nez est parfumé, doux mélange d’agrumes et de fruits jaunes faisant un peu penser à de l’orange confite. La bouche est ronde et fine, sur des fruits jaunes avec un léger moelleux. La complantation de deux cépages acidulés présentant des fruités différents donne un équilibre intéressant dans ce vin. Il faut une fois de plus laisser le vin se développer en fin de bouche  pour voir apparaître des notes grillées et fumées. Le terroir n’est jamais loin, il suffit de le laisser venir. Très Bien

Malheureusement à force de discuter terroir et vinification l’heure tourne. Grasberg, Burg et autres terroirs seront goûtés une autre fois. Nous goûtons encore deux Grands Crus avant de prendre congé de notre hôte, pressé par le rendez-vous au restaurant.

Grand Cru Mambourg 2001 – Marcel Deiss (57€, épuisé au domaine) : Le grand cru argilo-marno-calcaire offre une maturité précoce est des vins riches et minéraux. L’ensemble des pinots est complanté en vignes basses à haute densité sur ce terroir. Le nez est complexe, avec des notes de café, de torréfaction, de fruits rouges, de fleurs séchées… La bouche est tout aussi déroutante, avec des notes de kirsch et de prunelle, dans un équilibre moelleux et fin qui n’exclut pas une dose de tanins et une note de bois neuf.  Le vin est déroutant, surprenant, il faudra le regoûter, le mettre en perspective avec d’autres millésimes ou d’autres crus du Mambourg pour sentir ce qui fait le relief du terroir. Face à un tel style, on aime beaucoup ou on  n’aime pas du tout. Pour moi, ce sera Très Bien.

Grand Cru Schoenenbourg 2001 – Marcel Deiss (51€) : Anciennement étiquetée Riesling GC Schoenenbourg, le riesling est effectivement majoritaire mais on trouve également des plants de chasselas, sylvaner, muscat, pinot noir, traminer dans cette vigne. Le nez est mur, alcoolique et complexe, avec initialement des notes de réduction. La bouche est minérale, finement acidulée, ronde et grasse avec beaucoup de maturité. Il y a parait-il 50g/l de sucre résiduel dans ce vin, mais ils doivent être bien cachés car on ne les sent pas beaucoup. Le temps devrait fondre les arômes et affiner encore la structure du vin. Très Bien.

 

 

Photo : l’Altenberg de Bergheim et le château du Haut Koenigsbourg

Les impressions de dégustation font apparaître une forte homogénéité dans le plaisir ressenti, les « Très Bien » étant fortement majoritaires.  Dans les discussions sur le terroir, on parle beaucoup du sol, peut-être pas assez du climat. Une visite des parcelles serait peut-être instructive pour comprendre le rôle des vents, des brouillards et des expositions qui sont important dans la constitution du terroir.

Une dégustation et une visite qui donnent sans aucun doute l’envie d’en savoir plus, mais surtout de continuer de goûter chez les uns et chez les autres pour traquer toutes les évolutions favorables des vins d’Alsace dans le sens d’une expression plus juste de leurs terroirs. La spécificité de la région n’est pas de produire des vins de cépage, mais bien de mettre en valeur la mosaïque des terroirs qui fait sa richesse. Olivier Humbrecht est évidemment d’accord avec cette approche…

Thierry Meyer

Voir le Site Web pour les coordonnées du domaine

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