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Les Riesling Grand Cru 1995 à la Maison du Vin

Dégustation de Rieslings Grand Cru 1995
Maison du Vin  – Mulhouse
8 Mars 2005




A l’initiative de la Maison du Vin à Mulhouse, la dégustation a réuni 12 personnes, amateurs, sommeliers et cavistes. L’idée était de goûter des rieslings grands crus du millésime 1995. Une note du CIVA rappelle que le millésime avait bien commencé avec un été chaud et ensoleillé, mais que septembre avait été pluvieux, avançant la date d’ouverture du ban des vendanges. Les vendanges de fin septembre ont été difficiles car il fallait jouer avec le temps et trier les raisins. La dernière quinzaine d’octobre a en revanche été sèche et ensoleillée, et les raisins récoltés sains avaient une bonne richesse tout en conservant une bonne acidité. Le millésime est donc contrasté, même pour le riesling qui est un des cépages les plus réussis.



Pour moi 1995 en riesling a toujours été synonyme de forte maturité, de présence de botrytis dans les vins, tout en conservant une bonne acidité. En buvant des 95 je recherche justement cette maturité et cette richesse. Je m’attends donc  à goûter des vins marqués par une certaine surmaturité, avec plus ou moins de sucres résiduels, et avec une dose de botrytis non négligeable. Comment ont vieilli ces vins ?


Les participants ont chacun ramené des rieslings grands crus 1995 d’origines diverses, et deux vins non issus de grands crus ont été ajoutés comme pirates. Les vins ont été servis et dégustés à l’aveugle, chaque bouteille étant découverte avant de passer à la suivante.


Les notes qui suivent contiennent mes impressions de dégustation notée sur mon échelle à 5 niveaux (Beurk, Bof, Bien, Très Bien, Excellent). J’ai ajouté quelques impressions d’ensemble lorsque les vins ont été particulièrement discutés.


En mise en bouche, un Riesling du millésime 2000, premier de cette nouvelle cuvée du niveau d’un Grand Cru.


Riesling Stein Clos Eugénie 2000 – Emile Boeckel : un terroir sous le Grand Cru Zotzenberg en direction du GC Wiebelsberg : le nez est moyennement complexe, légèrement évolué, avec des notes de miel, de verveine, de fleurs séchées. La bouche est sèche, assez grasse, acidulée avec une belle amertume en milieu de bouche. La finale est assez puissante. Un vin qui a du potentiel à regoûter dans quelques années. 2000 est le premier millésime produit. Les millésimes 2001 et 2002 doivent être intéressants. Bien


Riesling GC Wiebelsberg 1995 – Remy Gresser  (terroir gréseux) : la robe est jaune paille assez foncée, presque dorée. Le nez est parfumé, semble initialement un peu métallique et fatigué, puis s’ouvre sur des agrumes, de la pêche des vignes, de la cardamome.  La bouche est sèche, avec un coté un peu amer en attaque qui le rend un peu sec, mais la sensation disparaît rapidement. Le milieu de bouche possède une acidité bien marquée, avec des arômes de grillé. La fin de bouche est marquée par du beurre salé et des fruits secs dans un équilibre acide assez prononcé. Le style est assez léger et minéral. Bien


Riesling Grand Cru Kitterlé 1995 – Domaines Schlumberger (terroir gréso) volcanique avec une partie de grauwackes comme dans le Rangen) : la robe est jaune citron assez foncé, avec des reflets dorés. Le nez est assez parfumé, épicé, avec des notes de foin coupé et un peu de caoutchouc. La maturité perçue au nez est un peu plus faible que le vin précédent. En bouche l’attaque est sèche, acidulée avec pas mal de tranchant, puis le vin se développe avec une belle densité et de l’amertume en bouche. Cette amertume fait penser à des arômes d’airelle ou de groseille à maquereau. La fin de bouche est longue, assez monolithique. L’équilibre tient par l’acidité, mais le vin manque un peu de charpente pour être excellent. Je retrouve assez fidèlement le vin goûté en janvier 2005 à la Nouvelle Auberge, certaines personnes en ont un souvenir différent. Bien


Riesling Grand Cru Sommerberg (Cuvée Eckberg) 1995 – Albert Boxler (terroir granitique) : la robe est un peu trouble, floconneuse. Le nez est très parfumé, avec des notes de pin, d’abricot sec, de miel. La surmaturité est très présente, avec son compagnon l’acidité volatile qui se sent un peu à l’ouverture de la bouteille. La bouche est très mure, avec une acidité présente très fine et plaisante, avec un moelleux assez perceptible. Des notes de fruits jaunes et de fruits exotiques donnent du parfum, avant une fin de bouche un peu sèche et assez courte. Le vin ne ressemble pas à celui que j’ai bu en Novembre dernier. En particulier, le sucre et l’acidité sont assez dissociés et semblent se neutraliser plutôt que de se fondre, ce qui donne une impression un peu creuse malgré la tension acide/sucre. Bof.


Riesling Prestige 1995 – Domaine Jux : cette maison fait désormais partie du giron du groupe Wolfberger et possède plus de 110 ha de vignes, en particulier sur les alluvions de la Harth à Colmar. La robe est pâle, brillante, avec des reflets verts. Le nez est différents des vins précédents, évoque des plantes (sauge, lierre, vieille menthe, bouillon blanc) avec des notes balsamiques et des notes de champignon. La bouche est assez vivace, évoluée, assez fluette, avec un coté oxydatif qui apparaît en fin de bouche. La matière est fondue, l’acidité est intégrée, mais ce vin provoque de grandes discussions. Certains le trouvent parfait, fondu et à maturité, belle expression du cépage, d’autres le trouvent trop vieux et peu plaisant. Dont moi ! Bof.


Riesling Burgreben 1995 – Marc Tempé (terroir marno-calcaro-gréseux avec du poudingue, sur le ban de Zellenberg à l’Est du village) : la robe se fait à nouveau plus dorée, mais reste assez claire. Le nez est parfumé, minéral, avec des fruits jaunes (abricot) et un peu d’évolution sur des notes d’encaustique et d’hydrocarbures. La bouche est sèche, dense et épicée, assez évoluée, avec une amertume et des tanins assez marqués. L’acidité est forte et surpasse malheureusement la matière dense du vin, donnant au passage une sensation crayeuse en fin de bouche. Le vin a probablement passé son apogée et se montre un peu déséquilibré avec une telle structure acide, ce qui est dommage car la matière semble très bonne. Bien


Riesling Grand Cru Schlossberg 1995 – Albert Mann (terroir granitique) : la robe est franchement dorée cette fois-ci. Le nez est parfumé, avec des notes balsamiques, oxydatives, tout en étant mur avec du caramel (certains parlent de Carambar !) et de la cire. Un air dubitatif envahit la salle… la bouche se montre grasse, beurrée, jeune mais faible en acidité, avec des arômes confits et un léger moelleux. Une légère amertume marque la fin de bouche. Le vin semble terni par un problème de bouchon ou de conservation qui lui donne cet équilibre un peu «cassé». Cela me rappelle un peu les différences d’évolution déjà constatées sur le Riesling Schlossberg 96 du domaine Weinbach. Bof


Riesling Grand Cru Schlossberg Cuvée Sainte Catherine 1995 – Domaine Weinbach (terroir granitique) : la robe est jaune doré, éclatante. Le nez est parfumé, mûr, avec des arômes de pêche, de bouillon blanc, et de légères notes de fraise des bois. La bouche est riche et fondue, avec un peu de gaz perceptible, et se montre très agréable par sa chair, qui fait penser à de la pulpe de fruit. Un vin qui est assurément dense et riche, tout en restant sec. L’équilibre est remarquable. Le vin ne fait pas l’unanimité, certains regrettant qu’il ne possède pas un peu plus de structure acide. Un des plus beaux vins secs de la soirée pour moi. Très Bien.


Riesling Grand Cru Furstentum 1995 – Albert Mann (terroir marno-calcarogréseux) : la robe est jaune citron, assez dense. Le nez est plus classique que les vins surmaturés goûtés jusqu’à présent, avec des agrumes confits et un léger pétrole. La concentration semble issue plus du passerillage que du botrytis. La bouche est minérale, fondue avec une légère évolution. Le gras et une certaine douceur associés à une bonne fraîcheur donnent un équilibre demi-sec remarquable. La fin de bouche est longue et complexe. « Un vin de conversation, qui rend amoureux » souligne un participant. C’est vrai que je me vois bien en siroter une bouteille à deux sur un canapé ! Très Bien.


Riesling Grand Cru Mambourg 1995 – Marc Tempé (terroir marno-calcaire avec forte présence de fer) : la robe est jaune foncé avec des reflets dorés. Le nez est réduit au début, puis parfumé avec des notes d’herbes sauvages, de miel, avec une complexité moyenne. La bouche est riche, assez moelleuse, avec un bel équilibre grâce à une bonne acidité et une amertume qui donnent beaucoup de minéralité. Le vin est un parfait exemple de l’équilibre demi-sec des rieslings ayant réussi un fondu entre le sucre et l’acide. Tout le contraire du vin de Boxler bu précédemment. Un vin très équilibré, très sapide, qu’on a envie de boire. Si le nez était du niveau de la bouche je crois qu’il serait « excellent ». Très Bien.


Riesling Grand Cru Kanzlerberg 1995 –Gustave Lorentz (terroir argilo-calcaire, assez lourd) : la robe est dorée avec un disque particulièrement épais. Le nez est parfumé, un peu viandeux, avec des notes de pralin, de cire et d’encaustique. La bouche est grasse et moelleuse, ronde au point de devenir un peu fatigante. Le sucre est trop présent pour moi et donne une impression de sucre glace assez dissocié. La finale est courte et assez simple. Le plus petit des grands crus (3.23 ha, 3 producteurs) donne des vins très typés, et si j’ai apprécié le même vin dans le millésime 1990 l’année dernière, c’est peut-être que ce flacon a encore besoin de vieillir un peu. Bien.


Riesling Grand Cru Schoenenbourg 1995 – Arthur Metz (terroir marno-calcaire): La robe est pâle avec des reflets verts. Le nez est un peu réduit, marqué par des arômes de menthe fraîche et de viande séchée. La bouche est sèche, lactée, maigre, peu mûre, avec des notes de buis et de ferment lactique. Vraiment pas bon. Acheté en grande surface il y a deux semaines, le flacon donne une très mauvaise image des grands crus alsaciens. Il n’évoque ni le riesling, ni le Schoenenbourg, ni le millésime 1995, et est déplaisant à boire. Le manque de maturité et la maigreur ne semblent malheureusement pas pouvoir être la marque d’un mauvais bouchon ou d’une mauvaise conservation, comme dans le cas du Schlossberg de Mann. Beurk


Riesling Grand Cru Eichberg 1995 – Gérard Schueller (terroir marno-calcaire) : le vin laissait présager une belle matière en bouche mais est malheureusement bouchonné.


Riesling Grand Cru Moenchberg 1995 – Remy Gresser (terroir limono-argileux) : la robe est dorée, brillante. Le nez est assez parfumé, fumé et floral, avec des notes de cire. La bouche est assez acide avec une amertume marquée, et des traces de gaz carbonique. La fin de bouche est assez courte. Même si le vin a beaucoup de race, son équilibre fin et minéral ne m’interpelle pas. Je ne le goûte pas bien, contrairement à d’autres participants qui aiment beaucoup ce style. Bof.


Riesling Grand Cru Kitterlé 1985 – Domaines Schlumberger (terroir gréseux avec une partie de grauwackes comme dans le Rangen) : La robe est jaune paille assez foncée mais moyennement dense, avec des reflets dorés. Le nez est épicé, presque boisé, avec des notes grillées, de la cire et de l’encens. La bouche est assez évoluée, sèche et dense avec un peu de gras, et développe des arômes de fleurs séchées en fin de bouche. On pourrait presque penser à un vieux bourgogne blanc en fin de bouche, l’acidité en moins. Difficile de juger ce vin en pensant goûter un 95, les sens sont réglés sur ce millésime et le vin détonne avec ses 10 années de plus. Impression mitigée du coup. Bof.


Riesling Rosenberg Pfleck Vendanges Tardives 1995 – Albert Mann : la robe est jaune citron, légèrement dorée. Le nez est marqué par des arômes fermentaires, des agrumes, du citron confit, un peu de miel. La bouche est moelleuse, vive avec un peu de gaz, riche est dense avec des arômes de mirabelle. La finale est assez longue, sur des fruits exotiques. Je suis friand de ce style de vins qui correspond à mon avis à l’image d’un riesling demi-sec dans le millésime 1995, et cette cuvée est une grande réussite dans ce style. J’ai pensé initialement au Brand VT 95 de Humbrecht. Excellent.


Riesling Grand Cru Brand Vendanges Tardives 1995 – Zind-Humbrecht (terroir granitique) : la robe est jaune doré, avec beaucoup de viscosité. Le nez est très mûr, marqué par de l’abricot, de la figue, des herbes de Provence. La bouche est liquoreuse, acidulée, avec du gaz, et reprend les arômes d’abricot du nez. La  sensation liquoreuse est complétée par une sensation crayeuse en bouche qui s’associe à merveille à un support acide puissant et mûr. On pense à une sélection de grains nobles plus qu’à une VT, et je ne reconnais pas le vin goûté en 2002. Excellent.


Riesling Cuvée Antoine 1995 – Albert Mann : la robe est un peu trouble, foncée et dorée. Le nez est très complexe avec des notes de caramel, de pralin, de miel, ainsi que des notes de citron confit, d’abricot, de datte et de figue. La bouche prend un équilibre acidulé /liquoreux avec des notes d’abricot et de zeste d’orange. Un vin extrême, au niveau d’une sélection de grains nobles, qui garde beaucoup d’élégance. Très Bien.


Conclusions

Plus de deux heures pour goûter et commenter ces 17 vins à 12 participants, le format est bon pour une dégustation de qualité. En guise de conclusion, cette dégustation a montré des vins en pleine forme 10 ans après la vendange, marqués souvent par une forte maturité sans pour autant être moelleux. La minéralité des crus s’exprime assez fortement et l’acidité joue un rôle de relais pour exprimer le terroir des grands crus. Malgré cela, l’origine des vins reste difficile à prédire en dégustation à l’aveugle.


Si les vendanges tardives et autres vins demi-secs s’expriment bien et montrent un équilibre remarquable ainsi qu’une grande garde, les vins secs n’ont pas dit leur dernier mot non plus. Il faut tout de même laisser le temps aux vins de s’aérer un peu à l’ouverture, en particulier lorsqu’il y a de la réduction ou de l’acidité volatile.


Il y a bien entendu bien d’autres flacons du millésime 1995 qui auraient fait bonne figure dans cette dégustation, malheureusement il n’était pas possible de tous les goûter. Dans les secs, parmi les vins dégustés récemment, je pense au quatuor des producteurs négociants (Rieslings Jubilée de Hugel, Clos Sainte Hune et Frédéric-Emile de Trimbach, GC Altenberg de Bergheim de Lorentz, Comte d’Eguisheim de Beyer), mais aussi aux beaux flacons de la Cave de Ribeauvillé (GC Schoenenbourg) et de Pierre Koch (GC Muenchberg) bus l’année dernière. Les demi-secs ne sont pas en reste, avec le GC Kastelberg Vieilles Vignes de Guy Wach, le GC Hengst VT 95 de Josmeyer, le GC Schlossberg Vieilles Vignes de Blanck et bien d’autres encore. La liste est très longue.


Merci à la Maison du vin pour l’organisation de cette dégustation. Une dégustation similaire sur le millésime 1996 en 2006 devrait être tout aussi intéressante. A suivre…


Thierry Meyer