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Vins pour hommes, vins pour femmes

Vins pour hommes, vins pour femmes
11 février 2006, Restaurant La Taverne Alsacienne

Clin d’œil à la Saint Valentin, la première soirée de l’année 2006 était le prétexte  d’une étude par l’exemple des lieux communs sur les goûts respectifs des hommes et des femmes. Vins moelleux, doucereux, fin et élégant contre vins rustiques, secs et tanniques, la séparation existe-elle, et est-elle si claire que cela ? Les 14 participants (6 femmes et 8 hommes) ont goûté et noté 5 paires de vin, chaque paire proposant un vin supposé de style masculin et un vin supposé de style plus féminin. La compilation des notes et indication de préférences a été très instructive… 


Guacamole et Crevettes Marinées aux Herbes
Crémant Brut – Domaine de l’Ancien Monastère
Crémant Extra-Brut – Edgard Schaller


Soupe Chinoise aux Gambas
Riesling Grand Cru Frankstein 1998 – Gilbert Beck
Riesling Réserve Millésime 1998 – Rolly-Gassmann


Dos de Bar grillé sur Lit de Fenouil, Jus de Cresson et Purée de Topinambour
Gewurztraminer Cormier 2004 – Etienne Loew
Gewurztraminer Cuvée Saint Urbain 2003 – Vincent Spannagel


Dos de Skrei rôti, Purée aux Truffes, fondue d’Oignon au Vinaigre Balsamique
Pinot Noir 2002 – Zind-Humbrecht
Rouge de Marlenheim Cuvée Tradition 2003 – Domaine Fritsch


Pomme rôtie, glace citron-gingembre et glace au mimosa
Pinot Gris Sélection de Grains Nobles 1989 – Rolly-Gassmann
Pinot Gris Grand Cru Brand Sélection de Grains Nobles 1989 – Albert Boxler



Remarques sur la méthodologie et la signification des statistiques

Chaque participant a rempli une fiche en indiquant son niveau d’appréciation de chaque vin, et sa préférence pour chacune des cinq paires. Comment exploiter ces données pour déceler d’éventuelles préférences des hommes et des femmes ? Idéalement, et de manière purement théorique,  ce serait parfait si 100% des hommes préféraient un vin de chaque paire dégustée, et 100% des femmes l’autre vin. Mais en tenant compte de la qualité intrinsèque des vins et du goût de chacun, il est beaucoup plus réaliste de s’attendre à des variations plus ou moins grandes dans les préférences de chaque groupe.


Imaginons une paire de vins dans laquelle les préférences pour le premier vin sont de 60% pour les hommes, et 90% pour les femmes. Dans les deux cas en moyenne tout le monde préfère le premier vin, mais on note une préférence marquée pour les femmes. Compte tenu du nombre restreint de participants (8 hommes, 6 femmes), il faut en outre que ces différences de proportion soient bien marquées pour être significative. Sinon, on ne pourra simplement pas conclure quant à une préférence liée au genre.


1er round : les Crémants

L’objectif était de tester l’idée que les femmes préfèrent les crémants plutôt doux et un peu dosés (Domaine de l’Ancien Monastère), alors que les hommes préfèrent les crémants plus vifs et plus secs.


Crémant Brut – Domaine de l’Ancien Monastère (Saint-Léonard) : Une première bouteille est bouchonnée. La deuxième possède une robe or pâle, avec des bulles assez grosses. Le nez est floral avec des notes de réglisse. La bouche est grasse, ample, souple avec du moelleux en bouche. Un crémant issu de l’assemblage de pinot blanc et pinot auxerrois du millésime 2003, qui possède beaucoup de maturité. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-0 Bien-7 Bof-6 Beurk-1


Crémant Extra-Brut – Edgard Schaller (Mittelwihr): La robe est jaune paille avec des reflets dorés. Le nez est parfumé, avec des notes de fleurs séchées et de biscuit. La bouche est sèche, assez vive avec une bonne densité
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-6 Bien-2 Bof-6 Beurk-0


La différence de style est évidente, et les avis du groupe montrent une préférence générale pour le deuxième crémant. 6 hommes sur 8 et 4 femmes sur 6 préfèrent le Crémant Extra Brut de Schaller. Les préférences sont plus marquées chez les hommes, qui trouvent en moyenne le premier crémant moins bon que les femmes, et le deuxième meilleur. Le guacamole maison est toujours un bonheur qui met la bouche en appétit, et le crémant Extra Brut de Schaller s’accorde particulièrement bien.


Conclusion : Test non concluant, les résultats ne montrent pas une différence de préférence entre hommes et femmes.


2eme round : les Rieslings

L’objectif de cette paire était de tester l’idée que les femmes préfèrent les vins fruités et légèrement moelleux (Rolly-Gassmann), le style plus sec et minéral ayant la préférence des hommes.


Riesling Grand Cru Frankstein 1998 – Gilbert Beck (Dambach la Ville) : La robe est pâle. Le premier nez est discret, puis s’ouvre sur des notes minérales et des arômes de pamplemousse. La bouche est grasse en attaque, dense et assez vive, avec une belle amertume et des arômes de rhubarbe en finale. Un vin sec qui s’ouvre progressivement. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-7 Bof-2 Beurk-0


Riesling Réserve Millésime 1998 – Rolly-Gassmann (Rorschwihr) : Le nez est parfumé, fumé et pétrolé avec des notes d’encaustique, montrant une légère évolution. La bouche est fruitée en attaque, puis grasse avec un léger moelleux, une acidité marquée, et une impression de fruit frais, presque muscatée, qui donne beaucoup de fraîcheur. Un participant croit reconnaître à l‘aveugle la patte de Rolly-Gassmann, cette combinaison de fruit et de fraîcheur qui signe les vins est effectivement la sienne. Un vin qui se montre ouvert et superbe au bout de 8 ans. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-2 Très Bien-6 Bien-6 Bof-0 Beurk-0


Le deuxième vin est à nouveau mieux noté que le premier, tant par les hommes que par les femmes. Le vin de Gilbert Beck se montre très agréable avec les épices de la soupe, la minéralité ressortant fortement. La majorité des participants apprécient le coté sec et frais du Grand Cru Frankstein, et reconnaissent un surcroît de gras et d’acidité dans le vin de Rolly-Gassmann. Le léger moelleux de ce dernier vin ne gêne pas beaucoup de monde. Statistiquement, les préférences sont réparties de la même manière : 6 hommes sur 8 et 4 femmes sur 6 préfèrent le vin de Rolly-Gassmann.


Conclusion : Test non concluant, les résultats ne montrent pas une différence de préférence entre hommes et femmes. La paire de vin choisie ne permet pas de montrer une différence d’appréciation liée au genre.


3ème round : les Gewurztraminers

Le round sur le gewurztraminer va tenter de vérifier s’il existe bien une différence d’appréciation hommes/femmes entre des vins masculins, épicés et secs d’une part (Etienne Loew), et des vins plus féminins, plus parfumés et rond d’autre part.


Gewurztraminer Cormier 2004 – Etienne Loew (Westhoffen) : Le premier nez est grillé, assez discret, puis dévoile des arômes de fruits murs, d’épices et de fleurs, les premiers arômes grillés faisant penser à de l’arachide. La bouche est grasse en attaque, puis dense et légèrement moelleuse avec une acidité ben intégrée et discrète qui rend la bouche constante du début à la fin. La finale est longue avec une grande impression de pureté. Le vin possède presque 30 g/l de sucre résiduels pourtant il se goûte quasiment sec. Un vin un peu sur la réserve, peu exubérant et d’une grande finesse, issu d’un terroir bien mis en valeur. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-10 Bien-2 Bof-1 Beurk-1


Gewurztraminer Cuvée Saint Urbain 2003 – Vincent Spannagel (Katzenthal) : Voilà un vin bien différend du premier vin. Le premier nez est très intense, floral avec des arômes qui rappellent le géranium, le jasmin ou le lys, évoluant avec une intensité constante vers des notes plus fruitées sur le litchi. La bouche est moelleuse, pure, fruitée dans un style assez léger. Contrairement au vin précédent, un peu fermé, ce vin-là est dans sa phase de plénitude et exprime le cépage de manière très intense. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-5 Très Bien-2 Bien-5 Bof-1 Beurk-1


Deux gewurztraminers au profil très différent, qui ne laissent pas indifférents. Le gewurztraminer de Vincent Spannagel obtient de très bonnes appréciations, meilleures que l’an dernier. Il se montre particulièrement bien en ce moment. Initialement prévus sur la soupe chinoise, les gewurztraminer ont été servis par erreur sur le premier poisson, ce qui a permis de constater un bon accord avec les accompagnements : le Cormier appréciant particulièrement le topinambour, et le Saint-Urbain rehaussant le goût du fenouil. Les appréciations des hommes sont bien distribuées avec 4 personnes sur 8 préférant chacun un vin. Chez les femmes, sur les 5 personnes qui ont émise un avis, 4 préfèrent le Saint Urbain.


Conclusion : Enfin un test assez concluant, qui montre une différence d’appréciation marquée entre les deux vins. A noter que vis-à-vis du groupe, quand on observe l’intervalle des appréciations on déduit que le vin de Loew parait beaucoup plus consensuel que le vin de Spannagel.


4ème round : les Pinots noirs

L’idée sur le pinot noir était de vérifier si les femmes aiment le goût boisé des pinots noirs (Zind-Humbrecht), et si les hommes préfèrent les vins plus fruités.


Pinot Noir 2002 – Zind-Humbrecht (Turckheim) : la robe est claire, de nuance pelure d’oignon avec des reflets tuilés, marquant une bonne évolution. Le disque est épais et le vin est assez visqueux dans le verre. Le nez est  parfumé, subtil avec des notes boisées, grillées et des arômes de cerise et de cuir. La bouche est assez sèche, vive avec une matière moyennement mure, mais bien enrobée par le gras de l’élevage en fût. La barrique bourguignonne est ici de très noble origine avec une longue chauffe moyennement intense. La qualité du boisé est ici sans aucune mesure avec toutes les cuvées « fût de chêne » qu’on peut trouver ailleurs. Avec une meilleure matière première, le vin serait parfait ! Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-6 Bof-3 Beurk-0


Rouge de Marlenheim Cuvée Tradition 2003 – Domaine Fritsch (Marlenheim) : la robe se fait rouge rubis avec des reflets violets. Le premier nez est fruité, sur des fruits rouges frais et de la violette, gagnant en intensité à l’aération avec des notes lactées et des arômes de fraise et de bonbon anglais. La bouche est souple en attaque, puis plus sèche et dense avec des tanins qui e font un peu plus sentir. L’ensemble est très plaisant, facile à boire, mais gagnerait à avoir un peu plu de complexité. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-3 Bien-9 Bof-2 Beurk-0


Les deux pinots offrent à nouveau un style très différent, et si la moyenne des appréciations est sensiblement la même (centrée autour de « Bien »), le vin de Zind-Humbrecht est un peu moins consensuel avec plus de « Bof » et de « Très Bien ». Le vin de Zind-Humbrecht accompagne bien la fondue d’oignon au vinaigre balsamique, là ou le vin de Fritsch se montre très avenant avec la purée aux truffes. Dans les deux cas les tanins des vins ne sont pas en conflit avec la chair très souple de ce superbe poisson. Coté différenciation maintenant, c’est la première paire de vin de notre soirée qui montre une différence de préférence. Les hommes préfèrent le vin de Fritsch à 5 contre 1, alors que les femmes préfèrent le vin de Zind-Humbrecht à 5 contre 1


Conclusion : On dit souvent que le boisé du vin rouge plait aux femmes, ce test va dans le même sens. Ceci dit, le coté consensuel du vin fruité le rend plaisant à tout le monde, dans un style un peu « passe-partout »


5ème round : les Vins liquoreux

Indépendamment des vins plus ou moins sucrés, une différence d’appréciations entre hommes et femmes était apparue l’an dernier sur des vins de styles différents. Les femmes semblaient préférer un style fruité et pur dans les grains nobles (Rolly-Gasmann), là ou les hommes préféraient les vins très botrytisés avec des arômes de pralin et de miel très prononcés. Le dernier round allait nous permettre de vérifier cette hypothèse


Pinot Gris Sélection de Grains Nobles 1989 – Rolly-Gassmann (Rorschwihr) : La robe est jaune citron, avec des larmes qui collent au verre et descendent très lentement. Le premier nez est marqué par la truffe, et gagne en intensité à l’aération avec des notes de fleurs, de coing et de pralin. La bouche est grasse en attaque, moelleuse avec beaucoup de pureté, dans un style très fruité. La finale est très longue et l’arrière bouche très complexe. Un vin à maturité, encore très jeune et doté d’un équilibre remarquable. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-5 Très Bien-7 Bien-2 Bof-0 Beurk-0


Pinot Gris Grand Cru Brand Sélection de Grains Nobles 1989 – Albert Boxler (Niedermorschwihr) : La robe se fait plus brillante, jaune doré très profond avec des reflets ambrés. Le premier nez est marqué par une acidité volatile assez élevée, puis laisse place à l’aération à des arômes de figue et de miel. La bouche est moelleuse en attaque, avec une forte concentration, et une liqueur très dense et un peu sèche. La finale est longue et dévoile des arômes de chocolat et d’abricot sec. Un vin dans un style très corsé, un peu plus évolué, qui dispose de beaucoup de puissance. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-5 Très Bien-6 Bien-3 Bof-0 Beurk-0


Les deux vins ont des équilibres très distincts. Au niveau du groupe ils obtiennent les meilleures appréciations, et la pyramide des notes est presque la même. Mais dans les deux, cas, l’accord avec la chaire de la pomme et les parfums des glaces est très intéressant Si on en restait là, on conclurait que ce sont deux vins assez semblables. Mais de nouveau des écarts hommes/femmes vont se manifester de manière importante : d’abord les femmes ont nettement moins apprécié le vin de Boxler que les hommes, avec plus qu’un niveau d’appréciation d’écart en moyenne. Ensuite, les hommes préfèrent le vin de Boxler à 5 contre 3, alors que les femmes préfèrent le vin de Rolly-Gassmann à 4 contre 1.


Conclusion : on ne peut pas nier l’existence d’une préférence des hommes et des femmes pour un style spécifique de vins liquoreux.


Analyses des résultats

Voilà un bon début de saison avec ce dîner très convivial. La diversité des thèmes et des régions d’origine des vins ainsi que la présence de quelques couples de vignerons ont permis des discussions très intéressantes. Parmi les commentaires hors thème de la soirée, on peut souligner la très bonne impression faite par deux vins à maturité de Rolly-Gassmann. On reproche souvent un moelleux trop important dans les vins jeunes, nous avons goûtés des vins équilibrés et fruités sans aucune lourdeur. L’autre remarque concernait les 4 paires de vin qui comprenaient un vin du Haut Rhin et un vin du Bas Rhin. Hormis le cas des rieslings, le groupe n’a pas pu détecter l’origine départementale du vin.


Toutes les idées sur des préférences hommes/femmes n’ont pas été vérifiées. En particulier la critère du sucre résiduel n’est pas très probant : les femmes n’aiment pas plus les vins doux que les hommes. En revanche l’attirance des femmes pour le boisé vanillé et pour les gewurztraminers aromatiques, ainsi que celle des hommes pour les vins liquoreux puissants est confirmée par cette dégustation.


J’ai cherché à comprendre s’il y avait de l’influence possible entre les participants.


D’abord j’ai regardé s’il y avait des similitudes de préférences sur les cinq paires entre les membres d’un même couple. Les 14 personnes étant constituées de 6 couples plus deux individus, c’était intéressant de voir si les avis convergeaient, le préjugé à tester étant bien entendu que Madame suit l’avis de Monsieur. J’ai donc compté le nombre de fois que chaque couple avait une préférence similaire parmi les 5 rounds. Les résultats ne sont pas affolants : 3 couples ne sont d’accord que 2 fois sur 5, 1 couple a 3 préférences communes, et seuls 2 couples sont d’accord sur toutes les paires  (dont votre serviteur, et pourtant je n’ai pas influencé ma femme je le jure 🙂


Ensuite j’ai regardé si en tant qu’animateur de la soirée, j’avais une influence telle que j’arrivais à faire converger le groupe vers mon propre avis, involontairement cela va de soi. J’ai donc comparé mes préférences à celles du groupe et compté le nombre d’avis similaires. Le résultat est proche de la perfection, la distribution du nombre de similitudes est homogène.




  • Même avis que moi 5 fois sur 5 : 1 personne


  • Même avis que moi 4 fois sur 5 : 4 personnes


  • Même avis que moi 3 fois sur 5 : 2 personnes


  • Même avis que moi 2 fois sur 5 : 2 personnes


  • Même avis que moi 1 fois sur 5 : 3 personnes


  • Même avis que moi 0 fois sur 5 : 1 personne

Animer une dégustation c’est donc bien s’assurer que chaque participant puisse se faire sa propre idée sur les vins qu’il boit, avec éventuellement un complément d’information sur les raisons qui expliquant certaines préférences. C’est tout l’intérêt des dégustations de l’Oenothèque Alsace.


Les prochaines dégustations porteront en mars sur les vins de Marcel Deiss et sur le millésime 1976.


Thierry Meyer


 


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