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Repas autour des Très Grands Vins d’Alsace – 29 octobre 2010

Avec 60 personnes rassemblées à la Taverne Alsacienne pour célébrer les grands vins d’Alsace et leur parfaite harmonie avec la gastronomie fine, la soirée de fin octobre 2010 était le plus important diner jamais organisé par l’Oenothèque Alsace. Le restaurant était entièrement réservé, et une sonorisation avait été prévue pour parler sans se casser la voix à tous les convives. Si l’élite de la production alsacienne était prévue au menu dégustation, les vignerons sont également venus en nombre, que leurs vins soient au menu ou non. Les dîners de l’Oenothèque Alsace ont souvent fait la part belle aux découvertes et aux jeunes vignerons qui montent, mais les grands vins d’Alsace combinant qualité et notoriété se trouvent souvent parmi les valeurs sûres des grandes maisons. L’objectif était de présenter une sélection des plus grands vins d’Alsace, dans les millésimes récents et plus anciens, qui ont depuis longtemps rejoint les plus grands vins du monde.

Le menu préparé par le chef Jean-Philippe Guggenbuhl a permis de faire de superbes associations avec chacun des deux vins parfois très différents proposés sur chaque plat :

MENU
Crémant d'Alsace Chardonnay 2005 – Domaine René Muré
Le Carpaccio de Bar de Ligne, Crème épaisse et Caviar
Riesling Grand Cru Hengst Samain 2008 – Domaine Josmeyer
Riesling Clos Sainte Hune 1996 – Domaine Trimbach
Le Homard Breton dans une Nage façon Bouillabaisse et Epices Douces
Pinot Gris Grand Cru Muenchberg 2005 – André Ostertag
Grand Cru Mambourg 2005 – Domaine Marcel Deiss
Le Gâteau de Foie Gras sur lit de Pommes caramélisées au Vinaigre de Muscat, truffe noire
Riesling Grand Cru Schlossberg Vendange Tardive "Trie Spéciale" 2004 – Domaine Weinbach
Riesling Cuvée Ernest Sélection de Grains Nobles 2007 – Domaines Schlumberger
Les Fromages affinés de Jacky Quesnot
Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé Vendanges Tardives 1983 – Seppi Landmann
Gewurztraminer Grand Cru Goldert Vendanges Tardives 1989 – Domaine Zind-Humbrecht
Les Figues Fraîches de Solliès rôties à la Cannelle, Coulis de Framboises et Glace Vanille Bourbon
Pinot Gris Altenbourg Vendanges Tardives 2008 – Domaine Albert Mann
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles "S" 1989 – Hugel et Fils

La soirée a débuté par une réception au cours de laquelle fut servie la célèbre cuvée de crémant millésimé de la maison René Muré.  Une cuvée élégante, facile à boire, qui a ouvert les papilles en accompagnant quelques amuse-bouches feuilletés. La cuvée 2005 dégorgée pour l’occasion et non dosée est peut-être un des plus grands crémants d’Alsace produit ces dernières années.

Crémant d'Alsace Chardonnay Extra Brut 2005 – René Muré : Un crémant réalisé avec des chardonnays récoltés sur la partie basse du Clos Saint Landelin à Rouffach, vinifiés et élevés en barrique une année avant d'être tirés et conservés sur lattes pendant quatre années  supplémentaires. Dégorgé le 20 octobre 2010 à l'occasion de ce diner et non dosé, ce crémant 2005 extra brut représente l'excellence des grands Crémants d'Alsace, qui combinent la fraîcheur et la structure d’un noble terroir avec la finesse apportée par un élevage long.

Carpaccio de Bar

Sur Le Carpaccio de Bar de Ligne, crème épaisse et Caviar, plats frais, iodé et puissant, des vins secs issus de terroirs à majorité calcaire s’imposaient.  Des deux vins servis, le premier donnait dans la fraîcheur avec cette pureté cristalline qui caractérise les grands rieslings de terroir. Le carpaccio seul, à peine mariné, créait une symbiose magnifique de texture et de fraîcheur, le goût du poisson et les saveurs minérales se renforçant mutuellement. Si l’évolution du Clos Sainte Hune était un peu trop intense pour le poisson seul, la crème et le caviar allait apporter un liant parfait qui allait permettre au plat et au vin de se marier à merveille, le caviar apportant une puissance et une note iodée qui a permis au Clos Sainte Hune de révéler toutes ses dimensions. Personnellement j’ai plus particulièrement apprécié le vin le plus jeune, les équilibres sur la minéralité étant remarquables.

Riesling Grand Cru Hengst "Samain" 2008 – Josmeyer : Situé à Wintzenheim, le Grand Cru Hengst repose sur un sol de conglomérats calcaires oligocènes avec des marnes interstratifiées. Si le gewurztraminer y murit parfaitement, le riesling a besoin de beaucoup de temps pour atteindre sa maturité parfaite, avec une météo clémente pour que les raisins restent sains et permettent de produire un grand vin sec. La SAMAIN est le nom donné à la plus importante fête du monde celtique. Elle avait lieu en Novembre et annonçait la fin des récoltes, le début de la période obscure. Issu de raisins sains récoltés par tris successifs, le Riesling Samain est un vin abouti combinant la profondeur du terroir avec la finesse du riesling. Vin de grande garde, le millésime 2008 présente dans sa prime jeunesse une forte minéralité (6 g/l sucre résiduel). 

Riesling Clos Sainte Hune 1996 – Trimbach : Archétype du grand vin alsacien combinant une réputation de grande qualité depuis plusieurs dizaines d'années avec une notoriété internationale, le Clos Sainte Hune est certainement le seul vin alsacien dont le nom suffit à le caractériser, le cépage et la maison qui le produit étant connus par tous les amateurs de grands vins. Vin de longue garde produit sur le terroir calcaire de Hunawihr, très réussi dans le millésime 1996 grâce à une bonne maturité, il rappelle que les rieslings de terroir calcaire évoluent sur des arômes fumés et de fleurs au vieillissement, en ne prenant que rarement des notes pétrolées.

Homard

Le plat suivant a permis une comparaison de terroirs. Le Homard Breton dans une Nage façon Bouillabaisse et Epices Douces appelait des vins secs et amples à la minéralité affirmée. Le Pinot Gris Grand Cru Muenchberg 2005 d’André Ostertag s’est montré très avenant, la finesse de la nage convenant très bien à l’équilibre du vin. Plus riche et marqué par un moelleux assez sensible en 2005, le Grand Cru Mambourg 2005 de Marcel Deiss n’était pas dénué de finesse mais avait besoin du homard, de sa nage aux épices et des légumes d’accompagnement pour assagir sa puissance. Dans les deux cas, l’élevage sous bois a permis un affinage du vin sans que les notes aromatiques boisées ne viennent perturber l’accord. Je pense que les vins étaient très puissants  et risquaient d’écraser le plat si on en prenait des gorgées trop importantes. Je m’attendais peut-être un plat légèrement plus riche, peut-être qu’une purée de potiron ou un risotto aurait permis de mieux équilibrer met et vins. Avec une légère préférence pour le Muenchberg, j’ai toutefois été séduit par le reste de mon verre de Crémant 2005, qui a constitué l’accord parfait. Terroir, élevage, le plat dans la forme présentée ce soir là aurait bénéficié d’être servi sur le chardonnay du Clos Saint Landelin. Bon à retenir pour un prochain diner.

Pinot Gris Grand Cru Muenchberg 2005 – André Ostertag : Produit sur une partie de ce terroir gréso-volcanique traversée par une veine calcaire, le vin est vinifié et élevé en barrique pendant une année, lui laissant le temps de développer son style si particulier combinant finesse et longueur en bouche. Vin de tension qui ne manque pas de gras, il s’exprime longuement en bouche de l’attaque à la finale. (9 g/l de sucre résiduel)

Grand Cru Mambourg 2005 – Domaine Marcel Deiss : des trois Grands Crus complantés produits par le domaine Marcel Deiss, le Mambourg est le cru produisant le vin le plus sec. La famille des pinots récoltée sur ce cru sur est ici vinifiée et élevée en barrique, donnant un vin ample avec la présence tannique qui marque les vins de ce terroir marno-calcaire riche en fer. Ce 2005 offre une très bonne maturité et un excellent état sanitaire, gages d’un vin abouti. Encore marqué par son élevage sous bois, il laisse cependant déjà apparaître une bouche profonde et de grande longueur, révélant la puissance de ce terroir solaire (17 g/l sucre résiduel).

Foie gras 

Service à la française oblige, le foie gras a été servi juste avant le fromage. Le Gâteau de Foie Gras aux Pommes caramélisées au Vinaigre de Muscat initialement prévu a été modifié au dernier moment pour offrir un assemblage de foie poêlé sur son lit de pommes caramélisées, accompagné de foie d’oie en terrine surmonté de truffe noire râpée. Un plat riche accompagné par deux grands rieslings de terroir à l’équilibre surmuri différent, le Schlossberg provenant d’un terroir granitique et d’une vendange atteinte complètement par la pourriture noble, la cuvée Ernest provenant du terroir gréseux du Kitterlé et d’une vendange passerillée. Complexité du plat et présence de la truffe oblige, le vin de la soirée sera le vin botrytisé de Weinbach, associant pureté et finesse avec une palette aromatique intéressante sur le foie poêlé et les pommes. La cuvée Ernest, d’une pureté aromatique inouïe sur la violette, s’accordait mieux avec la terrine de foie gras seule, et peut-être que la pureté de son fruit appelait un dessert. Deux vins d’exceptions  dans tous les cas qui placent haut la barre des vins de liqueur alsaciens, la pureté aromatique et de texture étant un critère qualitatif bien plus important que la seule concentration en sucre ou en acide.

Riesling Grand Cru Schlossberg Vendange Tardive "Trie Spéciale" 2004 – Domaine Weinbach : Si 2004 fut une année délicate pour produire de grands rieslings sur terroirs calcaires, les terroirs les plus drainant comme le granit du Schlossberg ont permis une bonne maturation du riesling. Phénomène plus rare sur le Schlossberg, le climat a permis le développement rapide d’une pourriture noble de grande qualité, les baies de riesling se colorant en rose de manière rapide et homogène. Un tri tardif sur les plus vieilles parcelles du domaine situées en milieu de coteau a permis cette production unique d’une trie spéciale. Véritable essence de riesling botrytisé, le vin combine une pureté cristalline avec une fine salinité. Un vibrant hommage au premier terroir classé Grand Cru en Alsace (87 g/l sucre résiduel).

Riesling Cuvée Ernest Sélection de Grains Nobles 2007 – Domaines Schlumberger : Cuvée rare réalisée précédemment en 1945, 1971 et 1999, produite en 2007 à partir de raisins passerillés récoltés sur le versant Sud du Grand Cru Kitterlé, c’est un vin qui possède toute la finesse d’un riesling liquoreux produit sur un terroir de grès. L’ampleur du vin et sa pureté en bouche, déjà expressifs sur ce vin jeune sont ici complétés par des arômes d’une complexité et d’une finesse déconcertante. La Cuvée Ernest a tout pour rejoindre le panthéon des grands vins d’Alsace, auprès de ceux qui auront eu la chance de le goûter (102 g/l sucre résiduel).

fromage

La sélection de fromages affinés par Jacky Quesnot (Fromagerie Saint Nicolas à Colmar) fut un grand moment du diner, car Jacky est venu expliquer le choix qu’il avait opéré, en particulier en ayant pu déguster le gewurztraminer Zinnkoepflé de Seppi Landmann. Ont donc été servis :
– Un Chèvre Nature de la Chèvrerie du Bambois à Lapoutroie – un caillé frais de sel d’à peine quelques jours, lactique à souhait et d’une fraîcheur et d’un fondant incomparable
– Du Munster de la Ferme de Mireille et Didier Humbert – Montée du Col des Bagenelles à Sainte Marie aux Mines, fin et subtil, avec les fameuses notes de fleurs séchées qu’on trouve dans les fromages faits au lait de vaches qui paissent en altitude
– Du Comté de Montagne, troisième plateau du Haut Jura – 16 mois d'affinage : fruité et long en bouche, avec du caractère mais sans agressivité
– De la Fourme d'Ambert au lait cru, grasse et crémeuse avec un beau persillage tout en rondeur

Les trois premiers fromages ont créé un accord magnifique avec le Zinnkoepflé, vin sec au profil aromatique exceptionnel de jeunesse, créant des accords de texture mais surtout d’arômes, le vin rehaussant le gout de petit lait de chaque fromage. La fourme était impitoyable sur ce premier vin qu’elle dominait, elle s’est trouvé un partenaire de choix avec le Goldert vendanges tardives 1989. Ample, onctueux, fruité sont des qualificatifs qui convenaient tant au vin qu’à la fourme.

Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé Vendanges Tardives 1983 – Seppi Landmann : Produite sur un terroir calcaire comprenant des inclusions de grès, cette cuvée 1983 est une vendange tardive à l’ancienne, c'est-à-dire une récolte de raisins surmuris qui a donné un vin quasi sec. La qualité du Zinnkoepflé se retrouve dans ce vin à la robe brillante et aux arômes de fleurs encore très présents, mais surtout en bouche avec cette pureté de texture et cette charpente dense qui conserve une bonne structure au vin. Expression typique sans être moelleuse du gewurztraminer de grand terroir, c’est un vin qui est à son apogée et y restera encore longtemps (6 g/l sucre résiduel).

Gewurztraminer Grand Cru Goldert Vendanges Tardives 1989 en Magnum – Zind Humbrecht : Une cuvée très riche récoltée à maturité de sélection de grains nobles, qui exprime toute la puissance des calcaires du Goldert dans une version patinée par le temps. Le miel et les fruits jaunes confits qui dominaient le vin jeune ont progressivement fait place à des arômes plus complexes, la bouche prend une belle fraîcheur sans lourdeur, révélant un vin profond de grand terroir qui arrive doucement à maturité. Malgré l’âge c’est un vin qui se révèle après une aération de plusieurs minutes. Le potentiel de garde reste très important, surtout avec les imposants magnums (88 g/l sucre résiduel).

Les Figues de Solliès 

Enfin, pour terminer en apothéose, le dessert a permis de tester des accords sur des grands vins moelleux. Les Figues Fraîches de Solliès rôties à la Cannelle, Coulis de Framboises et Glace Vanille Bourbon avaient suffisamment de textures différentes pour que chaque vin y trouve son plaisir. Le Pinot Gris Altenbourg Vendanges Tardives 2008 du Domaine Albert Mann possède une pureté exemplaire, et une concentration forte domptée par une acidité importante, qui en ont fait un parfait compagnon des figues, pochées dans le sirop avant d’être rôties. Patiné par le temps, l’extraordinaire Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles "S" 1989 de la maison Hugel et Fils a préféré le caractère vanillé de la glace et du macaron, étant un peu trop loin aromatiquement de la figue seule. Dans els deux cas, les vins se sont parfaitement bien dégustés sur la fin du repas, bus pour eux. Et c’est peut-être là la leçon du repas que de considérer les vins liquoreux comme des desserts à part entière.

Pinot Gris Altenbourg Vendanges Tardives 2008 – Domaine Albert Mann : Si les vins moelleux sont souvent destinés à une longue garde, ils savent également révéler jeune de grandes qualités dans l’expression de leur terroir d’origine. Les remarquables VT et SGN du domaine Albert Mann possèdent une pureté d’arômes et de texture qui les rend déjà équilibrés jeunes, avec sur cette cuvée le terroir argilo-calcaire de l’Altenbourg et la vivacité du millésime 2008 qui aident à préserver une belle fraîcheur sur un vin aussi moelleux. Un tel équilibre ne s’obtient que par une qualité de raisins parfaite au moment de la vendange, et par un terroir d’exception. Parti pour une grande garde, ce vin offre déjà jeune un équilibre proche de la perfection (110 g/l sucre résiduel).

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles "S" 1989 – Hugel et Fils : Le millésime célébrant les 350 ans du domaine a eu la bonne idée d’être très grand pour les vins de botrytis, et les meilleurs gewurztraminers du domaine ont été récoltés en plusieurs passages, créant plusieurs cuvées de sélection de grains nobles, dont cette cuvée « S » de très grande richesse. Elle délivre ici tout le charme des grands vins de terroir récoltés en surmaturité et conservés patiemment en cave, avec des arômes complexes se dévoilant par palier, et une bouche d’une patine et d’une longueur si envoutantes que certains affirment que le meilleur accord reste la dégustation du vin pour lui seul (153 g/l sucre résiduel).

Tours Jumelles

Un diner d’anthologie qui a permis d’étalonner son palais pour de nombreuses années, en confirmant la grandeur des meilleures cuvées alsaciennes. Si le vin d’Alsace connaît un fort succès commercial, étant le vin blanc de France qui se vend le plus cher en moyenne malgré tout, le haut de gamme soufre encore de la concurrence avec l’élite des autres régions, l’Alsace des vins de cépage étant plus souvent associée avec la convivialité des brasseries qu’avec la gastronomie de haut vol.
Un prochain repas autour de très grands vins pourrait faire la part belle aux autres vignobles de France, pour mieux comprendre la qualité et la typicité respective des grands blancs d’Alsace et d’ailleurs.

Merci à Fabrice Dehoche pour les photos, dont une sélection plus complète se trouve sur la page de Facebook de "Thierry Meyer Oenoalsace".

Thierry Meyer