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Gibier et Pinot Noir en harmonie – 22 janvier 2011

Restaurant la Taverne Alsacienne, Ingersheim
Depuis plus de 10 ans que j'organise des soirées à la Taverne Alsacienne nous avons servi quelque fois des pinots noirs, mais jamais une soirée ne fut consacrée entièrement à ce cépage. La première soirée consacrée au rouge d'Alsace a permis de découvrir la grande diversité des styles, de terroir et de millésime. Ceux qui pensaient que la soirée serait consacrée à des vins jeunes, très corsés, fortement boisés, et donc naturellement très appréciés par la presse internationale, ont pu se rendre compte que le rouge d'Alsace avait une toute autre dimension.

Pinot Noir 1

Le menu hivernal composé de la base de gibier était tout à fait adapté à un repas de mi-janvier, après les fêtes de fin d'année passée en compagnie de grands vins rouges. La sélection de vins a été faite pour refléter la diversité de style des vins, en fonction de leur terroir, millésime, vinification et élevage, mais aussi en fonction de l’intérêt des accords mets/vins à créer.

En entrée, La Terrine de Gibier

Trois rouges du millésime 2005 ont permis de mieux comprendre les différences de style liées à l'élevage. Entre le rouge de François Schmitt, élevé en cuve inox, et celui de Maurice Schoech, élevé en barrique neuve, la cuvée Harmonie porte bien son nom avec une bonne intégration du fruit et de l'élevage sous bois. Derrière cette simple différence de style de vin, la notion d'accords était très intéressante. La terrine froide rehaussée par une salade de jeunes pousses accompagnée d'une vinaigrette à base de balsamique se comporte différemment sur les trois vins. Si le fruité légèrement confit du vin de François Schmitt enrobé agréablement la texture de la terrine, il manquait cependant un peu de puissance pour ne pas se faire dominer. À l'inverse, la cuvée Arthur de Maurice Schoech se montrait plus tannique sur le plat, la texture de la terrine contribuant à augmenter la sensation tannique. Au final, en dégustation comment l'accompagnement du plat, la cuvée harmonie réalise un superbe accord.

Pinot Noir Rouge d'Alsace 2005 – François Schmitt : Un rouge sans prétention par rapport à son grand frère la célèbre cuvée Coeur de Bollenberg, mais qui se montre délicieux avec un nez intense de fruits rouges légèrement confits, et une bouche très souple agrémentée de tanins fins. Un vin facile à boire jeune. Très Bien

Pinot Noir Harmonie 2005 – Valentin-Zusslin : Cuvée issue du Bollenberg et produite dans les meilleures années, ce 2005 suit et dépasse même le grand 2003 avec un vin mûr, concentré et très souple, qui offre une bouche profonde et pure. Le caractère velouté des tanins laisse une fin de bouche d'une extrême tendresse. Excellent

Pinot Noir Cuvée Arthur 2005 – Maurice Schoech : Des vieux pinots fins sur le lieu-dit Vogelgarten ont donné naissance à cette cuvée parfaitement élevée sous bois neuf, encore marqué par le toasté au nez, riche et profonde en bouche avec beaucoup de pureté. Un vin de grande garde qui doit encore fondre ses tanins. Très Bien

L'Oeuf Surprise poché à la Truffe

A peine avoir débuté la dégustation de pinot noir par des vins de terroir calcaire, assez proche de la Bourgogne, nous bifurquons immédiatement sur les vins de terroirs granitiques, plutôt semblable à ce qu'on trouve dans le Beaujolais ou dans la vallée du Rhône Nord. La différence de style est  flagrante au nez, mais la texture en bouche n'est pas en reste, surtout sur les millésimes à maturité que nous avons la chance de déguster. Le vin du domaine Schoenheitz est malheureusement liégeux, heureusement les deux cuvées du domaine Hurst à Turckheim vont se montrer remarquables, avec des bouchons cirés parfaitement étanches. Le poché avec ses lardons servis sur une purée accompagnée d'une sauce à la truffe noire va se montrer redoutable sur les vins. Avec les vins de Hurst, le millésime 1989 en robe agréablement la purée et crée un bel accord de texture. Le plat fait ressortir le caractère réglissé du millésime 1985, qui se trouvent du coup moins à son aise. Enfin, malgré son liège, le vin de Schoenheitz se montre remarquable sur l'oeuf et la truffe, un accord de textures difficiles à réaliser. Pour comparer ces vins de granit avec un vin du Rhône, nous pouvons un Crozes Hermitage de bonne facture. Si le vin conserve les mêmes arômes de fumé et d'olive que les rouges d'Alsace, il se montre cependant un peu corsé sur le plat, qui domine complètement.

Pinot Noir Val Saint Grégoire 1989 – Domaine Schoenheitz : originaire des coteaux granitiques au-dessus de Wihr Au Val, le vin est ouvert aromatiquement, avec des notes de fruits noirs, et de fumée. La bouche est tendre avec du gras, une belle harmonie, et des tanins bien fondus. Un vin très élégant, malheureusement entaché par une légère note liégeuse. Bien

Pinot Noir Brand Vieilles Vignes 1989 – Auguste Hurst : le vin est très aromatique, avec des notes de fumée, de suie, et d'olive. La bouche est dense, de bonne concentration avec de la minéralité, évoluant sur un équilibre frais et acidulé. La jeunesse de ce vin est tout simplement incroyable. Excellent

Pinot Noir Brand Réserve 1985 – Auguste Hurst : la robe se pare de reflets tuilée, et après une légère aération, le nez se pare d'arômes très nets de fruits rouges mûrs, avec une pointe fumée. La bouche est charnue, acidulée, possède une très belle fraîcheur rehaussée par une pointe de gaz carbonique encore très présente. Un très grand rouge alsacien qui magnifie le terroir du Brand dont il est originaire. Excellent

Crozes Hermitage 2001 – Alain Graillot : la robe est encore très profonde, le nez ouvert sur la suie, le poivre noir, et le lard fumé. La bouche est ample, concentrée, avec une acidité très présente en fin de bouche. Un vin à maturité qui se conservera encore plusieurs décennies. Très bien

Pinot Noir 2

Le Civet de Biche façon Taverne Alsacienne

Après le passage sur les terroirs granitiques, retour sur des terres marno-calcaires plus argileuses. Et surtout, dégustation de vins d'âges très différents. Le civet de biche et servie de manière très classique en Alsace, avec une purée de céleri, de la confiture d'airelle, et des spaetzlés.

L'intérêt d'un tel plat et qu'il va proposer un accord ponctuel avec chacun des 4 vins proposés. Ainsi les airelles vont permettre un bon liant avec les deux cuvées 2001 du domaine de l'ancien monastère, l'austérité du vin de Léon Beyer sera adoucie par le céleri, quant à la viande et sa sauce sirupeuse, elle convient parfaitement au jeune vin du Marckrain. La cuvée 1985 de la maison Hugel se présente une nouvelle fois magnifiquement bien, et offre une magnifie complexité qui s'accorde avec l'ensemble du plat, à condition de composer des bouchées comprenant tous les ingrédients, et de ne pas trop en prendre à la fois. Même si chaque vin offrait un accord possible, dans la comparaison c'est ce dernier vin qui offrait selon moi ce soir le plus grand plaisir.

Pinot Noir M 2005 – Laurent Barth : Des deux pinots noirs produits au domaine, la cuvée « M » est originaire d’une parcelle sur le grand cru Marckrain. Le 2005 est concentré, très mûr et profond donnant un équilibre fumé et corsé qui rappelle certains grands terroirs de la Côte de Nuits en Bourgogne. Excellent

Rouge de Saint Léonard Cuvée du Grand Chapître 2001 – Domaine de l'Ancien Monastère : le nez est marqué par le bois neuf avec une note aromatique qui rappelle le coca cola. La bouche de concentration moyenne, relativement acidulée, mais se montre encore dominée par l'élevage sous bois. Une garde supplémentaire ne devrait pas permettre de faire revenir le fruit. Bien

Rouge de Saint Léonard Cuvée des vigneronnes 2001 – Domaine de l'Ancien Monastère : fruité doux au nez et une structure tannique en bouche qui lui donne de l’élégance. Le vin pinote, et se boit sans peine avec une évolution lente, mais reste d'équilibre léger. Bien

Pinot Noir Réserve 1999 – Léon Beyer : le nez est ouvert, intense, épicé avec une note de pain grillé. La bouche est dense, acidulée et fraîche, avec des tanins encore bien présents. Un style austère au fruité discret, mais qui possède une capacité de garde supplémentaire de plus de 10 ans. Très Bien

Pinot Noir Réserve Personnelle 1985 – Hugel et Fils. La robe est profonde, rouge tuilé avec un des reflets acajou. Le nez est parfumé, mûr et complexe avec des arômes de fruits mûrs, de fumée et de cuir, de sous bois, évoluant sur des épices et de l’encens. La bouche est souple en attaque, puis dense et profonde avec des tanins fins, mûrs et fondus. La fin de bouche est puissante, longue avec un caractère sec. L’équilibre est magnifique pour ce vin à maturité, qui continue de bien évoluer. Excellent

Pinot Noir 3

Les Fromages de Jacky Quesnot

L'exercice était sûrement difficile d'accorder les rouges au fromage, tant la diversité des grands vins blancs de France permet des accords magnifiques avec la diversité des grands fromages de France. Néanmoins, le pinot noir et ses degrés divers de macération permet de proposer des styles ou tanins discrets voire très mûrs et bien intégré à la structure du vin.

La sélection de Jacky Quesnot comprenait un Brillat-Savarin, un Bertschwiller, un fromage de Fribourg et un de Neuchâtel. Quatre vins étaient proposés, du plus léger et plus souple au plus corsé et tannique. Ce fut également l'occasion de déguster de vins du millésime 2003 réputé grand en Alsace pour le pinot noir. Le pinot noir Albé propose un style clairet et fruité tout à fait adapté aux Brillat-Savarin, tout comme la cuvée les Terres Rouges au style onctueux. Le vin de Romain Fritsch, plus serré en bouche, convient mieux aux Fribourg, mais méritera certainement quelques années de garde supplémentaire. Plus corsé, plus sec également, le fameux Burlenberg rajouté au dernier moment écrase les fromages, qui lui font ressortir ses tanins. Il aurait fallu le servir sur un « brin d'amour », fromage de brebis corse roulé dans la garrigue. Au final, c'est peut-être le pinot noir Albé du domaine du Rempart qui aura procuré le plus de plaisir sur ce plateau de fromages.

Pinot Noir Albé 2006 – Domaine du Rempart : un vin clairet élevé en barrique, au nez de petits fruits avec une touche boisée, ample et souple avec une belle matière. Une belle réussite dans un millésime délicat. Bien

Pinot Noir Tradition 2003 – Romain Fritsch : discret au nez, dense et sec en bouche avec du gras, une belle profondeur, mais se montre encore fermé. Ben

Pinot Noir Les Terres Rouges 2003 – E. Boeckel : fruité au nez, doux avec une bonne profondeur en bouche, mais surtout un caractère épicé qui souligne le terroir de cette parcelle aux argiles riches en fer. Un grand pinot noir alsacien qui arrive doucement à maturité. Très Bien

Pinot Noir Burlenberg 1995 – Marcel Deiss : le nez est très épicé, tirant vers des arômes d'herbe sèche et de garrigue. La bouche est très corsée, marquée par des tanins secs très présents, au point d'assécher la finale et de la rendre courte. Les amateurs de ce style nous consoleront en nous disant qu’on a certainement bu ce vin trop tôt, ou trop tard, ou pas à la bonne température, ou un jour de mauvaise lune, qu’il aurait fallu le carafer, le monter lentement en température ou l’ouvrir deux jours avant. Battons notre coulpe, ce soir ce vin réputé grand sera resté incompréhensible, et peu agréable à la dégustation. Bof

Pinot Noir 4

La Poire Comice pochée au Vin Rouge, Glace aux Fruits de Berawecka

Tant qu'à faire un repas complet au pinot noir, il fallait bien sûr tenter quelque chose sur le dessert. Le plat en tant que tel était préparé au vin rouge, et la sélection de vin particulièrement éclectique a permis de découvrir quelques curiosités. Le blanc de noirs de Pierre Frick est un vin plutôt rosé, à boire sur son fruit. Il passe particulièrement bien avec la poire pochée. Le vin de René muré et corsé, ample, avec des tanins gras qui sont maintenant patinés, mais encore trop présent pour accompagner le dessert. Enfin, la cuvée de noirs de noir de Clément Lissner a été préparée avec des raisins passerillés, ce qui lui donne un caractère épicé très particulier. Le vin fait ressortir le caractère d'un vin chaud du dessert.

Pinot Blanc de Noir 2009 – Pierre Frick : mis en bouteille sans soufre, c’est un vin rosé au fruité pur, souple en bouche avec du gras. Un vin superbe à boire frais. Bien

Pinot Noir Cotes de Rouffach 2003 – René Muré : La robe est éclatante, rubis avec des traces un peu violettes. Le nez est parfumé, fruité avec des arômes de cerise noire et de petits fruits rouges. La bouche est ronde et très élégante, avec des tanins présents en milieu de bouche. La finale est nette et de bonne longueur, mais reste encore marquée par les tanins. Très Bien

Pinot Noir de Noir 2002 – Clément Lissner : issu de raisins passerillés récoltés fin octobre, tant une partie a été vinifiée en blanc, et l'autre en rouge corsé, en récupérant lors de la macération les mares de la première cuvée. C'est un vin sec et corsé au nez de cacao, de cannelle et de muscade, riche et corsé en bouche avec des tanins serrés. Bien

Pinot Noir 5

En définitive

Une belle première soirée consacrée rouge d'Alsace, qui a montré par exemple que par-delà les différents styles d'élevage, le choix du millésime et du terroir permet de réaliser des accords intéressants à table, pour peu qu'on s'intéresse aux accords de texture et non aux accords aromatiques.Le pinot noir et son acidité a sa place à table, que ce soit sur des mets acidulés ou peut-être même parfois sur des poissons, lorsque les tanins sont peu marqués.Plutôt que de s'extasier sur les cuvées les plus riches et les plus corsées produites en Alsace, sur les terroirs du Bollenberg, du Grand cru Hengst, ou sur les coteaux autour de Sigolsheim, il était intéressant de chercher à comprendre quelle était la concentration idéale du vin pour produire un accord intéressant avec chacun des plats. Une fois de plus, les vins d'Alsace ont montré leur grande capacité à vieillir correctement, sur plus de 20 ans, tout en conservant une structure remarquable lorsque le terroir est de noble origine.

Lire le compte rendu de Stéphane Wasser

Thierry Meyer

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