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Les Vieux Muscats de la Confrérie Saint Etienne

Dégustation de vieux muscats au Château de la Confrérie St Etienne
14 mars 2005
Dégustation organisée dans le cadre de la Journée autour du Muscat d’Alsace.

Le Délégué Général de la Confrérie Saint Etienne, Jean Richardin, nous accueille au château de la Confrérie, à Kientzheim. Le cadre est splendide et notre petit groupe de dégustation l’apprécie d’autant plus qu’il est seul à jouir des lieux à cet instant. Il est plus habituel de devoir l’arpenter en se frayant un chemin à travers la foule, lors des journées annuelles de présentation des Grands Crus par exemple, mais cette fois-ci, nous goûtons avec délice au privilège d’avoir le château rien que pour nous.


L’après-midi commence par une visite convergeant rapidement vers la salle du trésor : la cave climatisée de la Confrérie, qui réunit près de 60 000 bouteilles « sigillées » de 1947 à nos jours, ainsi qu’une collection de très vieux flacons de la Collection Méquillet dont les plus anciens datent de 1834. Pour en savoir plus sur la confrérie Saint Etienne et sur le Sigillé décerné par celle-ci, voir le site web du CIVA. Nous prenons ensuite place ensuite dans la salle de dégustation, constellée des portraits de tous les Grands Maîtres de la Confrérie en tenue d’apparat. Ces figures de la viticulture alsacienne auront un œil vigilant et bienveillant sur nous pendant toute la dégustation.





Onze muscats ont été sélectionnés et ouverts à l’avance par Jean Richardin ; ils sont servis à l’aveugle et accompagnés de petits pains au pavot pour les plus jeunes et de petits pains aux raisins pour les plus âgés.


Les commentaires de dégustation de Thierry Meyer (en italique) et ceux de Nicolas Scholtus (en bleu) sont retranscrits en parallèle pour chaque vin. Précisons au passage que dans un élan de masochisme incontrôlé, Thierry a organisé à l’occasion du week-end, une journée portes ouvertes pour de virulents microbes qui en ont profité pour harceler ses voix respiratoires et le priver ainsi d’une bonne partie de son olfaction (difficile de goûter des muscats avec un nez bouché ; en contrepartie, on se concentre beaucoup plus sur la bouche).


La dégustation

Muscat 2003 – Cave de Cleebourg
Honneur au Bas-Rhin et à la plus septentrionale des caves coopératives alsaciennes pour débuter la dégustation.


La robe est pâle. Le nez est floral, assez aérien, avec des traces d’acétate. La bouche est ronde, grasse et mûre, avec beaucoup d’élégance. Très agréable avec une pointe d’alcool en finale. Très Bien


La robe est jaune / verdâtre, très claire. Le premier nez est d’abord légèrement poussiéreux mais évolue très rapidement ensuite vers des notes variétales musquées, tout en sauvignonnant un peu (buis). Au réchauffement, des notes de fruits blancs viennent étoffer le bouquet. La bouche est elle-aussi légèrement herbacée mais agréable du fait d’un équilibre rond, sans sucrosité pour autant, enrobé de beaucoup de gras. La finale, portée par un peu d’amertume, me semble presque tannique.  Bien


Muscat 1998 Dorfbourg – Albert Schoech
Déjà un bond de 5 ans en arrière avec ce vin du millésime 1998.


La robe est toujours très pâle. Le nez est un peu végétal, herbacé et citronné. Des arômes  rappelant le bouillon de volaille marquent une légère évolution. La bouche est minérale, très fluide, assez grasse avec une finale mentholée. Très Bien


Le nez, tout d’abord un peu réduit, révèle beaucoup de maturité. Il est plus explosif que sur le vin précédent, avec de la molène, de la rose, le croquant du raisin frais et un petit côté exotique. L’entame en bouche est agrémentée d’une jolie fraîcheur mentholée. La bouche est dense et présente un léger moelleux acidulé qui demanderait peut-être à se fondre davantage avec quelques années de garde supplémentaires. La finale est assez longue, un peu chaleureuse. Bien


Muscat 1997 – Willm


Le nez est muscaté, mentholé, frais avec de légères notes de cire qui se transforment en colle à l’aération. La bouche est sèche, herbacée, avec une acidité un peu crayeuse. L’équilibre parait assez léger avec un peu de dilution. Un vin un peu trop vieux ? Bof


Cette fois-ci, nous ne reculons que d’une année dans le temps, et pourtant, le bouquet de ce vin paraît déjà nettement plus évolué. Le nez est mentholé et présente la patine d’un vin assez âgé, avec de la cire/encaustique. Le bouquet évoluera ensuite sensiblement au cours de la dégustation vers des notes de caramel et surtout de réglisse.  En bouche, je le goûte plutôt sec et herbacé. Je lui trouve une acidité traçante bienvenue, un léger côté minéral en milieu de bouche mais la finale est déséquilibrée sur l’amertume. Bof


Muscat 1993 – Henri Schoenheitz
Henri Schoenheitz exploite avec sa femme un superbe vignoble engoncé dans la vallée de Munster et qui constitue, il me semble, une des extrémités occidentales du vignoble alsacien. Trois lieux-dits, culminant à 450 mètres et installés sur les fortes pentes d’un coteau granitique exposé Sud, sont exploités par le domaine : il s’agit d’ouest en est des Linsenberg, Herrenreben et Holder. Les deux premiers nommés sont surtout plantés en riesling, le troisième en gewurztraminer. Quant à connaître la provenance exacte de ce muscat, il faudrait pour cela poser la question au producteur.


La robe est pâle avec des reflets verts. Le nez est légèrement évolué, avec des notes de basse cour initialement. La bouche a une très bonne tenue, une jolie acidité et une bonne minéralité qui lui donne un superbe équilibre. La finale rappelle la menthe fraîche. Très Bien


Le nez arbore une jolie complexité, avec du foin fleuri, de l’essence de térébenthine, une menthe verte/poivrée très pure et des notes intrigantes de cour de ferme/poulailler. La maturité en bouche est superbe : elle se traduit par un équilibre tout en rondeur, magnifiquement fondu, suave, avec une grande sapidité en fin de bouche (rémanence des arômes perçus au nez).  Très bien


Muscat « Selection Klein »  1989 – Klein aux Remparts


La robe se fait jaune citron, mais reste pâle. Le nez évoque les agrumes, le citron, le cassis et la menthe, avec beaucoup de finesse. La bouche est sèche, minérale, avec une acidité légèrement piquante. Le vin est très équilibré, sec et surtout très aromatique. La finale est un peu chaude. Très Bien


Grand écart maintenant vers une véritable bombe aromatique : sur ce muscat de grande année, la « gamme » du cassis (bourgeon, feuille froissée, bonbon Ricola) brille par son évidence dans le bouquet et est quasi unanimement reconnue par la tablée. Ce nez est entêtant, d’une puissance aromatique et d’une fraîcheur redoutables, un peu « too much » à mon goût. Selon Jean Richardin, on retrouve avec cette bouteille une certaine typicité de l’évolution aromatique d’un muscat au vieillissement. A l’agitation, la menthe et la fraise des bois viennent peu à peu suppléer le cassis. En bouche, l’équilibre a un peu de mal à tirer son épingle du jeu car il passe après l’amabilité du muscat de Schoenheitz : le vin est sec, avec une acidité tranchante un peu revêche qui le fait paraître étriqué ; ça minéralise ensuite légèrement et finit sur l’alcool. J’aurais certainement mieux goûté ce vin en première ou en deuxième position dans la série. Pour moi, c’est Bof.


Muscat Grand Cru Froehn 1987 – Becker (Zellenberg)
Retour à un breuvage un peu plus civilisé, issu d’un millésime de petite réputation cette fois. Ce muscat sera le seul de l’après-midi à revendiquer l’appellation Grand Cru. Le Froehn est une butte témoin située bien en avant dans la plaine d’Alsace, devant les collines sous-vosgiennes (et notamment le Schoenenbourg). Sur le chapeau de la butte témoin, constitué de calcaire un peu gréseux, s’étire le village de Zellenberg. Les flancs du coteau sont constitués de terrains plus lourds et argileux.


La robe est jaune beurre. Le nez est assez discret, rappelle les bonbons krema au cassis. La bouche est minérale mais avec une amertume assez sensible. L’évolution se fait sentir avec des notes d’encaustiques. Le vin est assez fin mais sur la pente descendante. Bien


Le nez de ce muscat est complexe et reprend de nombreux arômes perçus sur certains des vins précédents : la menthe, les herbes coupées et un côté patiné (cire/encaustique) se rapprochant du 97 de Willm. La bouche paraît d’abord dense à l’entame, puis se fait plus légère, épurée, incisive aussi, sur un équilibre sec. Le vin fait preuve d’une belle sapidité, avec sa grande persistance aromatique et une agréable amertume minérale en finale. Très bien


Muscat 1981 – Klipflel (Barr)


La robe est nettement marquée par des reflets verts. Le nez est réduit, sur des notes de basse cour. La bouche est cassée, oxydée. Un flacon foutu. Beurk


Le nez est terrible, sur la fiente de poule et le fruit pourri. La bouche est effondrée. Le vin est mort. Ce sera le seul de l’après-midi. Beurk


Nous aurons heureusement la chance de déguster en soirée un deuxième représentant autrement plus convaincant du millésime 81.


Nous abordons ensuite les (très) vieux vins avec une série de trois vaillants trentenaires.

Muscat 1973 – Schaffar (Wintzenheim)
Le domaine Schaffar se situe à quelques encablures du domaine Josmeyer, en allant vers Munster. Le millésime est incertain, l’étiquette étant abîmée.


Le nez est marqué par de la pomme blette. La bouche est minérale, racée, équilibrée par une belle acidité. Le vin est peut-être un pu court en finale. Bien


La robe est dorée. Le nez ressemble à celui d’un vieux riesling, patiné et minéral, avec de délicates notes d’herbes aromatiques (aneth, menthe) et de foin. La bouche est pleine, veloutée/fondue et sèche. Elle faiblit légèrement en finale, où la matière s’estompe au profit d’une légère amertume. Un beau vin, digne et racé. Très bien


Muscat N°II 1969 – Louis Sipp


La robe est cette fois jaune dorée. Le nez évoque le sou bois, le champignon, le foin coupé, marquant un âge certain. La bouche est riche, dense et minérale, avec beaucoup de sapidité. Le vin se montre légèrement évolué mais encore très mentholé, avec une acidité et un léger perlant qui lui donnent un superbe équilibre. Excellent


Voici l’aîné de la manifestation. Ce muscat d’Alsace a 36 ans, et il est excellent. Au niveau de la robe, cela commence à dorer sérieusement. Le nez est mûr et frais à la fois, avec des senteurs de foin, de fleurs, et à nouveau cette patine faisant penser à un vénérable riesling. Des notes légèrement champignonnées sont également décelables mais auront tendance à s’estomper à l’agitation. Au réchauffement, la maturité s’affirme ensuite davantage, avec l’apparition de fruits rouges (coulis de fraise) comme on peut en trouver parfois sur certains liquoreux alsaciens ou angevins. La bouche est dense, sèche et tonique grâce à son acidité mûre. La finale est très longue associant un peu d’amertume minérale à une belle fraîcheur mentholée. Un vin superbe et racé. Personnellement, coup de cœur. Excellent


Muscat 1970 – Fernand Stentz


La robe est jaune beurre pâle. Le nez est discret, avec une légère déviation un peu réduite. La bouche fait vieux vin, mentholée et amère, avec un peu de fraîcheur qui relève l’équilibre. La finale se montre à nouveau amère. Le vin marque son âge mais a de beaux restes. Bien


Le cadet direct du muscat de Louis Sipp aura un peu moins de chance. Le nez est herbacé, poivré et présente un côté déviant assez proche de celui perçu sur le vin de Klipfel (notes de « poulailler/cour de ferme »), moins intense toutefois et beaucoup plus supportable (avec un peu d’imagination, je me dis que cet arôme récurrent pourrait éventuellement résulter de l’évolution du musc initial). Le vin est plus convaincant en bouche car il apparaît encore bien structuré. L’équilibre est sec, plutôt dense mais s’effrite tout de même en finale pour ne reposer quasiment plus que sur une amertume prononcée, façon réglisse/gentiane. Bof


Muscat 1988 – Jean Paul Ecklé


Le robe est jaune citron assez dense. Le nez évoque la pomme façon cidre bouché. Un problème de bouchon ? La bouche est sèche, minérale, très équilibrée, et ne fait pas du tout son âge. Un meilleur nez en aurait fait un vin excellent. Bien


Dernier opus de l’après-midi, et un vin à nouveau très différent de ce que nous avons pu goûter précédemment. La robe est intense, jaune et brillante. Le nez est d’abord assez fermé puis s’ouvre franchement, fruité et évolué, avec du coing, du miel, de la pomme au four et un peu d’encaustique. La bouche est moelleuse, friande, à point. On sent un petit poil d’oxydation en finale. Je trouve ce muscat un peu typé vieux chenin. Bien


Impressions sur la dégustation

Cette première approche du muscat est basée sur un sondage finalement assez aléatoire de la vinothèque de la Confrérie, dans la mesure où Jean Richardin, responsable du choix des bouteilles, ne connaissait quasiment aucun de ces vins au préalable. La sélection de producteurs est hétéroclite, faisant cohabiter une cave coopérative, des vignerons réputés et d’autres nettement moins connus. De même, les millésimes représentés vont du millésime d’anthologie, comme 89, à d’autres de moins bonne réputation (87, …).


La dégustation a surtout permis de balayer de façon concise quatre décennies et de commencer ainsi à appréhender les multiples facettes de ce cépage au fil du vieillissement.


La qualité moyenne des vins est très bonne. Elle reflète peut-être le bon niveau qualitatif du Sigillé décerné par la Confrérie.


Les muscats les plus anciens ont pour la plupart harmonieusement vieilli, atteignant des équilibres élégants et racés : secs, minéraux, denses, fondus, avec un peu d’amertume en finale. Ils ont conservés pour certains une magnifique fraîcheur, conférée par leur colonne vertébrale acide intacte et par la rémanence des arômes mentholés. La structure du muscat semble faire preuve d’une robustesse redoutable ! Le 69 de Louis Sipp en est un éclatant exemple et nous a procuré une vive émotion.


Aromatiquement, le muscat tient ses promesses puisque dans l’ensemble, il nous offre des bouquets très parfumés, comme par exemple l’explosif 89 de Klein aux Remparts. Le panel important de millésimes visités se traduit par une assez grande diversité des arômes perçus. Les vieux vins sont, sur cette sélection, moins flatteurs que leurs jeunes congénères mais plus complexes : tout en gardant un reliquat aromatique qu’on pourrait qualifier de variétal, avec notamment ces fameuses notes de menthol, ils développent une patine et des notes d’évolution (cire, foin coupé, …) non dénuées de noblesse, parfois proches de celles d’un vieux riesling. Des arômes de réduction (poulailler) apparaissent aussi plusieurs fois : ils étoffent le bouquet sans être gênants dans le cas du 93 de Schoenheitz, mais sont trop marqués sur d’autres vins, et deviennent dès lors dérangeants.


Thierry Meyer & Nicolas Scholtus