L'Oenothèque Alsace

Les 6 heures du gewurztraminer

Les 6 heures du gewurztraminer
8 décembre 2001, Restaurant la Taverne Alsacienne – Ingersheim 

Après le succès rencontré par le week-end du riesling en août 2001 et la déception de quelques personnes (dont des Alsaciens) de ne pas avoir pu y participer, nous avons renouvelé l’expérience de dégustation sur le thème du gewurztraminer. Qu’y a-t-il derrière le cépage épicé, réputé pour sa douceur ? Pourquoi de nombreuses personnes associent spontanément et presque uniquement gewurztraminer avec «vendanges tardives » ? Y a-t-il une vie en dehors des gewurztraminers moelleux ? A table, y a-t-il des accords mets/vins possibles au-delà du sempiternel fromage de Munster ou de la célèbre tarte aux quetsches à la cannelle ?


Après avoir fait un sans-faute en août dernier, Philippe Guggenbuhl nous a accueilli à la Taverne Alsacienne à Ingersheim pour un repas gastronomique en six étapes, précédé par une dégustation. Ce compte rendu est le résultat de mes notes, rectifiées parfois pour refléter les impressions d’une partie des 20 participants qui a bien voulu m’envoyer quelques impressions plus ou moins détaillées.



1.      Dégustation

La dégustation avait pour but de rassembler quelques flacons d’origines et de qualités diverses, essentiellement apportées par les participants, afin de pouvoir avoir l’occasion de comparer des bouteilles appréciées individuellement avec d’autres bouteilles servies le même soir. Après rassemblement des bouteilles, nous les avons triées par sucrosité et millésime. Les premiers vins sont conformes aux attentes des dégustateurs, et il faut aller chercher les millésimes plus anciens (à partir de 1994) pour commencer à voir des surprises. Surprises d’abord car les vins deviennent secs, ensuite car ils développent une palette aromatique qui exprime souvent le cépage, parfois le terroir, et qu’on découvre des vins complexes, à l’opposé des vins moelleux qu’on connaît.


Gewurztraminer Foeller 2000 – Domaine Klée : Nez discret, rose et litchi, pomme blette. Bouche moelleuse, acidité fine et moyenne, envahie par le fruit, arômes de poire et fruits jaunes, finale un peu chaude.


Gewurztraminer Sigillé 1997 – JB Adam : Nez à la fois floral et exotique, fumé, ananas  lardé. Bouche florale, rose, fruits exotiques, acidité un peu piquante.


Gewurztraminer Grand Cru Kirchberg de Barr Clos Gaensbronnel 1997 – Willm :  Le vin dispose d’une belle rondeur en bouche et d’un coté floral très marqué, malheureusement la bouteille est bouchonnée.


Gewurztraminer Grand Cru Marckrain 1997 – Bestheim : Le nez est discret, un peu réduit. La bouche est moelleuse, marquée par le litchi et quelques épices, mais le sucre semble encore un peu dissocié.


Gewurztraminer Grand Cru Furstentum 1996 Cuvée Laurence – Domaine Weinbach : Le nez est très mur, avec du coing et de la surmaturité. Qui a dit que les millésimes étaient difficiles à reconnaître ? La bouche est moelleuse et très fine, laissant apparaître un mélange de coing, de litchi et une pointe de truffe blanche. La finale est longue et légèrement alcoolique. Le premier grand vin de la soirée. Coup de cœur des dégustateurs.


Gewurztraminer Herrenweg 1994 – Zind-Humbrecht : Le nez est évolué, avec un forte minéralité et de la pierre a fusil. La bouche contraste avec des arômes de rose, une bonne minéralité, et une acidité un peu piquante. Un vin qui a évolué rapidement, François Barmès explique que c’est typique du terroir alluvial du Herrenweg. Des opinions très tranchées. Certains aiment, certains aiment moins.


Gewurztraminer Grand Cru Hengst 1988 – Josmeyer : Le nez est discret et diffuse des arômes de pierre mouillée. La bouche est moyennement corsée, minérale, épicée  avec une pointe de sucre résiduel. Le premier vin sec de la dégustation.


Gewurztraminer Grand Cru Hengst 1988 – Zind-Humbrecht : Le nez est encore assez discret mais plus bouqueté, avec une pointe d’ananas. La bouche est dense et fine, légèrement épicée. La finale est assez longue.


Gewurztraminer Grand Cru Furstentum 1986 – Paul Blanck : Le nez est très bouqueté, complexe, avec des arômes de coing, de beurre salé, de fruits jaunes, de miel. La bouche est évoluée mais riche, avec des fruits jaunes et une bonne acidité. La finale est longue. L’équilibre de ce vin est la grande surprise de la soirée. Coup de cœur des dégustateurs.


Gewurztraminer Grand Cru Mambourg Steinigerweg 1995 – Marc Tempé : Apres une série de vins secs, nous recommençons avec des vins plus moelleux. Le nez est bouqueté, avec des arômes de botrytis, sous-bois, pain grillé. La bouche est minérale, légèrement moelleuse, avec une pointe de fruits jaunes et de champignon. Un bel équilibre et un sucre bien fondu. Des opinions très tranchées. Certains aiment, certains aiment moins.


Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé Vendange Tardive 1983 – Seppi Landmann : Le nez est assez bouqueté, épicé avec des arômes de coing. La bouche est assez évoluée, un peu végétale, sèche, avec une bonne rondeur et un bel équilibre. Le premier vin de la soirée avec une forte évolution. La finale est un peu anisée. Le style Seppi dans toute sa splendeur !


Gewurztraminer Grand Cru Markrain 1983 – Cave de Bennwihr : Nez évolué, on sent un léger bouchon. La bouche est en revanche assez fraîche, avec des arômes de rose, d’épices et de truffe. L’acidité est encore marquée, donnant un peu de déséquilibre à l’ensemble.


Gewurztraminer Grand Cru Kessler 1983 – Schlumberger : La robe est dorée. Le nez est intense, avec des arômes de cire et d’encaustique. La bouche est grasse, sur la cire, les fruits jaunes, le champignon et l’acacia. Un vin de terroir.


Gewurztraminer Cuvée des Seigneurs de Ribeaupierre 1976 – Trimbach : Le nez est mentholé, avec une très légère évolution. La bouche est minérale, moyennement corsée, anisée avec une acidité un peu en retrait. La finale est somme toutes assez courte.


Gewurztraminer Les Sorcières 1964 – Dopf et Irion : Servi à l’aveugle par Philippe Guggenbuhl. Le nez est un peu terreux, tourbé, avec une pointe d’épice à l’agitation. La bouche est sèche avec quelques fruits jaunes et de la cire. A l’aération on retrouve des arômes de caramel. La structure est encore bonne malgré une finale un peu courte. C’est vieux, mais le poids des ans ordonne le respect.


2.      Dîner et accords mets/vins

Après cette mise en bouche, le dîner a étendu la dégustation aux accords avec les plats à partir d’un superbe dîner :


Menu

Terrine de foie gras de canard – compressé aux raisins marinés dans le Gewurztraminer
Gewurztraminer Oberer Weingarten 1988 – Rolly-Gassmann


Rougets et St Jacques aux épices, risotto au parmesan
Gewurztraminer Roedelsberg 1998 – Marc Tempé
Gewurztraminer Rosenberg de Wettolsheim 2000 – Domaine Barmès-Buecher


Saint-Pierre au Miel et au citron, purée de topinambour et artichauts au panais
Gewurztraminer Hommage a Jean Hugel 1997 en Magnum – Hugel père et fils


Poitrine de Pintade à l’aigre-douce – fricassée de potimarrons et légumes d’hiver
Gewurztraminer Cuvée des Comtes d’Eguisheim 1990 – Léon Beyer
Gewurztraminer Cuvée des Seigneurs de Ribeaupierre 1990 en magnum – Trimbach


Fourme d’Ambert mariné au Gewurztraminer et déclinaison de munsters, réduction de Gewurztraminer
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1986 – Josmeyer
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1988 – Joseph Cattin


Assortiment de desserts – glace aux épices  (girofle, cannelle et épices à pain d’épice)
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1983 – Trimbach
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1983 – Gustave Lorentz


Enfin pour finir la soirée, quelques vins d’après repas…
Gewurztraminer Grand Cru Mambourg Vendanges Tardives 1999 – Marc Tempé
Gewurztraminer Vendanges Tardives 1994 en Magnum – Hugel père et fils
Gewurztraminer Oberer Weingarten Sélection de Grains Nobles 1994 – Rolly-Gassmann
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1989 – Trimbach


Le début du repas était surprenant, avec un gewurztraminer « non VT » sur du foie gras. Malgré cela, la densité est là, et le sucre est fondu, ce qui donne une grande finesse à l’ensemble, ainsi qu’un bel accord avec le plat. Pierre Gassmann en a profité pour expliquer comment des vins de grande garde pouvaient apparaître très sucrés dans leur jeunesse, mais finissent par obtenir un bon équilibre au bout de quelques années de garde. Le premier poisson donne un bon accord sur les épices avec le vin de François Barmès, le parmesan se liant mieux avec le vin de Marc Tempé. Le deuxième poisson reçoit une sauce au miel et au citron très appropriée. Le miel lie le vin de Hugel dans un millésime chaud, et le citron redonne de la fraîcheur à l’ensemble et évite ainsi de devenir trop pâteux. L’accord surprend au début mais quand on fait abstraction de l’étiquette du vin, en bouche c’est parfait. La pintade aura droit à deux vins du millésime 90 connus pour être secs. Si la pintade et le potimarron se marient bien avec le vin de Trimbach, la potée aux choux trouve son accord naturel avec le vin de Beyer grâce aux lardons qui  la composent. C’est très intéressant de voir comment l’accompagnement peut changer un accord. Josmeyer inaugure les grains nobles de la soirée sur le fromage. Ensemble avec le vin de Cattin, c’est surprenant de voir des structures acides si bien conservées, ce qui donne des vins avec beaucoup de fraîcheur et de caractère. Deux beaux accords réalisés sur la sélection de fromage. Le dessert va fournir un accord sur les épices, et malgré la fatigue de fin de repas, le vin de Trimbach se montre magnifique d’équilibre. L’après repas va permettre de goûter quelques vins supplémentaires, bus pour eux-mêmes, dont un grains nobles d‘anthologie de Rolly-Gassmann.


Les notes de dégustation

Gewurztraminer Oberer Weingarten 1988 – Rolly-Gassmann : Robe jaune dorée. Le nez est complexe, marqué par le coing, la mangue. La bouche est moelleuse anisée, avec du litchi et du coing, une belle acidité très fine, un sucre parfaitement intégré, et une longue finale. 13 ans après la vendange, l’équilibre est superbe.


Gewurztraminer Roedelsberg 1998 – Marc Tempé : Nez floral et minéral. La bouche est minérale, avec une acidité assez marquée. La finale est florale. (Orientation Ouest, au sommet du Mambourg, terrain calcaire avec de l’oxyde de fer).


Gewurztraminer Rosenberg de Wettolsheim 2000 – Domaine Barmès-Buecher : Robe jaune pale, nez de rose et de nougat. La bouche est minérale, moelleuse, très fine, avec une bonne acidité. (19.5 g/l de sucre résiduel, sur terroir argilo-calcaire siliceux, exposition Est Nord-Est).


Gewurztraminer Hommage à Jean Hugel 1997 en Magnum – Hugel père et fils : Robe jaune pale, dense. Le nez est bouqueté, avec des épices douces, du miel, une pointe de citron. La bouche est riche, acidulée, épicée, ce qui lui donne une belle structure. La finale est longue. Une réussite dans ce millésime difficile.


Gewurztraminer Cuvée des Comtes d’Eguisheim 1990 – Léon Beyer : Robe jaune aux reflets dorés. Le nez est fin et complexe, légèrement évolué, avec un coté caramel salé. La bouche est équilibrée, grasse et ronde, avec des arômes d’écorce d’orange. L’acidité est bonne et la finale est longue. Le vin est toutefois très évolué pour le millésime.


Gewurztraminer Seigneurs de Ribeaupierre 1990 (magnum) – Trimbach : La robe est jaune avec des reflets dorés. Le nez est moyennement bouqueté, minéral avec de la pierre a fusil. La bouche est minérale avec une pointe d’agrumes équilibrée, fine et épicée, avec du gras en milieu de bouche. La finale est longue. Paraît plus jeune que le vin de Beyer.


Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1986 – Josmeyer : Robe jaune citron. Le nez est discret, avec du coing confit, du miel, une légère évolution. La bouche est parfumée et acidulée, mielleuse, avec une finale épicée. Un vin très fin, a parfaite maturité.


Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1988 – Joseph Cattin : Robe jaune dorée. Nez assez simple, légèrement épicé, avec des arômes de rose. La bouche est moelleuse et moyennement acide. La finale est épicée et un peu chaude.


Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Réserve Personnelle 1983 – Trimbach : Robe jaune citron, dense. Le nez est bouqueté, très fin, un peu fumé, avec du caramel et de l’églantine. La bouche est ronde sans être trop sucrée, subtile et très longue. Coup de cœur des dégustateurs. (Origine GC Osterberg).


Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1983 – Lorentz : Robe jaune dorée, nez moyennement bouqueté. La bouche est fleurie, mielleuse, avec une acidité un peu en retrait et une finale assez courte. Un vin qui a vieilli plus rapidement que celui de Trimbach.


Gewurztraminer Grand Cru Mambourg Vendange Tardive 1999 – Marc Tempé : Le nez est épicé et doux, encore un peu marqué par le fut (mise avril 2001). La bouche est botrytisée, moelleuse, avec un peu de caramel et une bonne acidité. La finale est assez longue. La surmaturité dans un style sec très plaisant.


Gewurztraminer Vendange Tardive 1994 en Magnum – Hugel : Robe jaune pale légèrement dorée. Le nez est mielleux avec des arômes d’ananas. La bouche est mielleuse, avec des arômes de pralin (noisette grillée, chocolat). Belle longueur en finale.


Gewurztraminer Oberer Weingarten Sélection de Grains Nobles 1994 – Rolly-Gassmann : La robe est jaune dense avec des reflets dorés. Le nez est très fin et bouqueté, avec des fruits exotiques (fruit de la passion, mangue), du coing, une touche d’agrumes. La bouche est sucrée, botrytisée, avec une acidité fine et des arômes de fruit de la passion. L’équilibre commence à être superbe, et malgré les 100gr/l de sucre le vin montre une grande fraîcheur. Un modèle de Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles. Pas encore à maturité selon Pierre, et pas encore en vente au domaine. Un très grand liquoreux issu d’un magnifique terroir (le petit frère du 1989 goûté l’été dernier, voir notes précédentes). Coup de cœur des dégustateurs.


Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1989 – Trimbach : Robe jaune dorée. Nez bouqueté, marqué par le botrytis et le fruit de la passion, la mangue et un peu de miel. La bouche est moelleuse et fruitée, mais le sucre est encore un peu dissocié. Encore très jeune, un exemple de vin de longue garde. Rejoindra certainement l’équilibre du 83 dans 6 ans…


3.      Conclusions et impressions générales de la soirée

Je vais commencer par l’impression la moins positive. Après avoir goûté près de 30 gewurztraminers, la bouche et l’esprit, on ressent une certaine lassitude. Les 6 heures du gewurztraminer se sont transformées en marathon du gewurztraminer, et si le dîner a su démontrer qu’il est possible de faire un dîner complet sur ce cépage, la richesse des vins fatigue le palais.


Pour le reste, quelle soirée ! Pour de nombreux participants, en particulier les Alsaciens, il s’agit d’une découverte étonnante d’un cépage qu’ils croyaient connaître. Non seulement les vins ont démontré qu’ils pouvaient vieillir à merveille, mais les grains nobles se sont montrés dignes des plus grands liquoreux.


Coté vins, plusieurs remarques. La première concerne les caractéristiques générales. On trouve généralement de la rose, des fruits exotiques, des épices dans le gewurztraminer : les vins dégustés ont souvent montré une partie de ces arômes. On trouve aussi parfois des arômes de fraise et de kiwi, mais aucun des vins bus ce soir n’avait cette caractéristique. Les vins des millésimes 86 et 96 sont marqués par des arômes de coing, très fréquents dans ces années pour plusieurs cépages. Enfin, la découverte de vieilles sélections de grains nobles a permis de découvrir que les vins taillés pour la garde sont capables de digérer leur sucre et à près de 20 ans d’âge montrent un équilibre fabuleux. Un encouragement à garder quelques bouteilles pour le long terme. Les grandes surprises de la soirée concernent les vins du domaine Trimbach, domaine qui a produit deux très belles sélections de grains nobles, ainsi que Blanck qui a produit un superbe Furstentum 86.


Coté producteurs, la présence de Pierre Gassmann, François Barmès et Marc Tempé a été très instructive, chacun présentant un aspect qui lui tient à cœur. Pierre a mis en avant l’équilibre atteint par un long vieillissement pour certains vins. Marc a souligné que la surmaturité n’est pas toujours liée au sucre.  François a complété les deux autres en soulignant l’équilibre entre densité et maturité dans les vins plus jeunes. Un grand merci aux vignerons présents qui sont venus avec quelques beaux flacons, et ont apporté des explications sur leurs propres vins ainsi que des commentaires plus détaillés sur les autres vins. Un merci tout particulier aux maisons Hugel et Trimbach qui ont généreusement offert quelques bouteilles en sachant que le groupe allait se réunir.


Thierry Meyer – 6 mars 2002