L'Oenothèque Alsace

Les 24 heures du Riesling Alsacien 2004

Les 24 heures du Riesling Alsacien 2004
30-31 octobre 2004, Ingersheim

Comment faire découvrir en un week-end un cépage et la manière dont il s’exprime en Alsace? Les expressions sont tellement nombreuses, en fonction des terroirs, des millésimes, des producteurs, des styles de vinification. Et puis en un week-end, on n’a pas le temps de goûter toutes les combinaisons possibles. Et en survolant un échantillon représentatif qui sera forcément partial, on aura d’autant plus de précision que le nombre de flacons sera réduit.


Pas facile de recouvrir l’ensemble de cet univers multidimensionnel en quelques flacons. Autant résoudre la quadrature du cercle. Le parti a été pris de réaliser une Esquisse. Nous avons essayé de trouver quelques lignes, quelques traits qui souligneraient certains aspects d’un ensemble complexe, afin d’en faire apparaître des contours à défaut de rendre compte de toutes ses caractéristiques.




Nous avons ainsi choisi une grande dégustation horizontale sur le millésime 1996, ainsi qu’une dégustation verticale de Riesling Frédéric-Emile. Nous avons également fait deux autres petites dégustations horizontales, sur des vins du millésime 98 et 90. Puis nous sommes allés chercher les vins demi secs, moelleux, puis liquoreux. Le tout avec un éventail de domaines et de millésimes le plus large possible. Quelques stars, quelques producteurs moins connus ont également permis de goûter à des vins dans une gamme de prix très large.


Tout ceci représente un ensemble de 73 flacons. Gigantesque de vouloir goûter tant de vins avec un œil critique. Aussi il faudra bien se souvenir dans les pages qui suivent que la dégustation porte sur le Riesling, que nous avons choisi de faire découvrir au travers des domaines Muré, Trimbach, Humbrecht, des Marronniers, Weinbach, Beyer, Tempé et j’en passe. L’inverse consistant à faire découvrir un domaine, un millésime ou un grand cru par ses rieslings serait également intéressant à organiser, mais ce n’est pas le sujet de notre week-end.


Chacun a pu noter ses préférences sur les vins, en utilisant une échelle simple à cinq niveaux (Beurk, Bof, Bien, Très Bien, Excellent). Une échelle du plaisir très sommaire pour décortiquer des cuvées en détail, mais suffisante pour noter son impression immédiate à la découverte d’un vin. Les importantes variations d’impressions d’un dégustateur à l’autre montrent l’éventail des goûts et des perceptions, et démontre l’inutilité d’une échelle plus précise à cet effet.


Certains vins ont fait l’unanimité. Ils ne sont pas nombreux. D’autres vins ont beaucoup plus à tout le monde. On les retrouvera et on lira leurs commentaires avec plaisir. Certains vins enfin n’ont pas beaucoup plu. Il faudra se souvenir alors que ce ne doit pas être une raison pour disqualifier ces vins. Premièrement, une bouteille peut se montrer défectueuse, à l’image du Riesling Grand Cru Muenchberg VT 1990 d’André Ostertag qui se montrait oxydé et austère lors des 24h du riesling en 2001 (probablement suite à un problème de bouchon), et qui s’est révélé magnifique cette fois. Un flacon d’une bonne cuvée peut se retrouver accidentellement affublé d’un défaut (de mise, de bouchon, de conservation …). En revanche, une cuvée de qualité moyenne ne se retrouve jamais accidentellement « meilleurs que d’habitude ». Quand on trouve bon, c’est que c’est bon. Quand on trouve mauvais, c’est peut-être mauvais. Les certitudes sont ainsi asymétriques… Deuxièmement, l’ordre et la manière de servir les vins ne les ont peut-être pas toujours mis en valeur. Certains domaines recommandent de carafer leurs vins avant le service. Nous avons ouvert les bouteilles environ une heure avant de les servir, mais il était trop difficile d’un point de vue logistique de les carafer.


Le sujet du week-end était le riesling. Les leçons apprises et les conclusions que nous tirerons porteront sur le cépage.


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Impressions générales et leçons apprises

Un tel week-end  consacré à un seul cépage permet de faire beaucoup de découvertes, mais il faut du temps pour digérer cette expérience, relire ses notes, faire des comparaisons entre les vins du samedi et ceux du dimanche. Plus que jamais les notes permettent de se remémorer les sensations gustatives de chaque vin, et permettent de se pencher après coup sur l’ensemble de la dégustation pour en tirer quelques leçons.


Versatilité

Un des aspects les plus visibles du riesling est son étonnante capacité à produire des vins très différents. Il y a bien sûr la capacité à être récolté tardivement, qui donne des vins riches, demi secs, moelleux et liquoreux. Mais au sein de chaque catégorie les terroirs apparaissent et le style de chaque vin change. En sec la palette est variée. Si certains rieslings sont sur les agrumes (avec des variations citron/pamplemousse), d’autres restent plus sur des arômes de menthe, d’anis et de fleurs blanches. La surmaturité fait apparaître des fruits exotiques (ananas, litchi), avant que les arômes du cépage laissent la place au miel et au pralin dans les vendanges tardives et sélections de grains nobles. En bouche également, la structure acide est souvent la colonne vertébrale du cépage. Acidité malique ou tartrique, les sensations ne sont pas les mêmes. Certains vins sont en outre suffisamment denses pour que l’acidité ne constitue pas la charpente du vin, par exemple le Clos Windsbuhl 99 ou les Clos Ste Hune 99 ont une densité et un gras qui laissent l’acidité un peu en retrait.


Absence de bois et de pétrole

S’il y a des essais d’élevage de rieslings sous bois neuf, nous n’avons pas goûté ce genre de vins pendant notre week-end. De même, le fameux goût de pétrole typique du riesling, dont on parle beaucoup dans la presse, a été le grand absent de la dégustation. Des traces discrètes ont été décelées dans certains vieux Frédéric-Emile, dans certains vins secs de 1990, et dans le fabuleux 1976 de Hugel. Mais jamais avec l’intensité qu’on détecte parfois. Les vignerons suggèrent que le goût de pétrole prononcé dénonce souvent une vendange pas trop mûre, issue de rendements généreux, dans une phase de vieillissement avancée. Une explication à l’identification de cet arôme serait donc le pouvoir de la suggestion. Le fait de savoir qu’un riesling va sentir les hydrocarbures entraîne une sensibilité à cet arôme. Certains peuvent peut-être le confondre avec les notes d’encaustiques, de fumée, de poivre blanc. En particulier ceux qui trouvent des hydrocarbures dans des millésimes aussi jeunes que 2002 ou 2001. Le pétrole n’aura donc pas été le fil conducteur de notre week-end dédié au riesling.


Sucre, liqueur et équilibre des vins

La question du sucre résiduel était forcément présente lors de ce week-end, et les dégustations ont permis à mon avis de se faire une opinion justifiée.


Constituant de la structure d’un riesling, le sucre contribue à l’équilibre total atteint par un vin. Même dans les vins secs, en fonction du millésime il reste toujours une quantité de sucres non fermentescibles (arabinose). Ainsi le Riesling Cuvée Frédéric Emile 2000 titre à 3g/l de sucre résiduel et le 1999 titre à 1.6g/l, alors que les fermentations sont allées jusqu’au bout. Ceci n’est pas un problème, d’une part parce que le seuil de perception du sucre est souvent au delà de 5-6g/l chez de nombreux dégustateurs, et que ce seuil grimpe avec l’acidité. Ainsi les 96 bus donnaient une impression de vins secs, avec des SR autour de 5-7 g/l pour la plupart.


Lorsqu’on monte dans la richesse, le sucre devient plus présent, mais ne se sent pas trop tant qu’il n’est pas dissocié. Les cuvées du domaine Weinbach, Clos Saint-Landelin ou Domaine des Marronniers ont montré un fondu remarquable de la richesse du vin, du sucre résiduel et de l’acidité, qui ne dissociait pas le sucre alors que le SR titrait souvent à plus de 15g/l. Les vins moelleux donnaient également souvent une belle intégration des sucres, comme dans le Rangen 98 de Humbrecht ou le VT 96 de la cave d’Ingersheim. Ces vins ne donnaient souvent pas l’impression d’être face à un vin moelleux. Le sucre résiduel n’est donc pas forcément gênant, et s’associe généralement avec élégance dans les vins riches et denses, en particulier au vieillissement.


Le sucre ne charpente donc pas un vin, et en particulier un vin maigre et dilué reste un mauvais vin, avec ou sans sucre. Un vin sucraillon est donc un mauvais vin à cause de son manque de matière, pas à cause de son sucre résiduel, qu’il soit issu de surmaturité ou de surchaptalisation. Je mettrais cependant un bémol à cette dernière remarque en précisant que, même si nous n’en avons pas fait l’expérience durant le week-end, un riesling maigre et dilué n’est pas forcément déplaisant à boire, la sensation rappelant celle d’une eau minérale citronnée. Le sucre en revanche fait un très mauvais cache-misère, et tant qu’à boire un blanc de qualité médiocre, je le préfère sec.


A l’opposé, il faut également dénoncer le biais de la surmaturité qui fait voir des sucres résiduels à certaines extrémistes, alors qu’il n’y en a pas. A force de se concentrer sur  ce seul aspect, on finit toujours par ressentir ce qu’on cherche à ressentir, un peu comme pour le goût de pétrole. Exemple avec le riesling Clos Windsbuhl 1996. Lorsque le vin a été servi dans l’horizontale de 1996, la robe dorée tranchait avec tous les vins précédents. Dans mes notes j’écris « Le nez est mur, mielleux, grillé, pain grillé. La bouche est sèche et grasse, finalement acidulée, reprend les arômes de pain grillé du nez ».  J’imagine que beaucoup ont pensé à un vin moelleux, ou au moins doux, à la vue et à l’odorat. Pourtant ce vin est complètement sec. Méfiance donc et attention aux préjugés olfactifs. Un nez en surmaturité n’annonce pas forcément un vin moelleux. L’opposé est aussi vrai, en particulier dans le style allemand, avec des rieslings qui sont muscatés au nez avec des notes de menthe poivrée, et qui sont moelleux voire liquoreux en bouche.


Des producteurs reconnaissables à l’aveugle

Parmi les 30 producteurs goûtés ce week-end, nous avons eu la chance de boire plusieurs vins de certains domaines : Trimbach, Zind-Humbrecht, Domaine des Marronniers, René Muré, Domaine Weinbach, Marc Tempé ont été représentés par 3 flacons ou plus.  Le style et la maturité des vins du domaine Zind-Humbrecht (même sans sucre résiduel !) tranche naturellement avec celui, plus neutre de Trimbach. Le fondu de l’équilibre des rieslings du Clos Saint-Landelin, et la minéralité des vins du Domaine des Marronniers semblent inimitables, pourtant lors de la petite horizontale 1998 du dimanche il était difficile de reconnaître les deux cuvées, même pour Guy Wach et Thomas Muré ! Même après avoir dégusté 75 rieslings, je me garderais bien de tirer des conclusions quant aux résultats de prochaines dégustations à l’aveugle. Les styles se ressemblent parfois et les producteurs n’ont pas forcément une patte très reconnaissable.


Terroirs présents mais difficiles à classer

Si les producteurs ne se distinguent pas de manière définitive, on pouvait s’attendre à une belle leçon sur les terroirs, surtout que le riesling est connu pour refléter les terroirs. En plus, cela aurait été très intéressant d’apprendre à reconnaître les familles de terroirs : les calcaires sont acides, les granitiques sont floraux, les gréseux sont sur les agrumes etc…  Malheureusement, rien de tout cela ne transparaît dans les notes de dégustation. Beaucoup de vins ont une forte minéralité, souvent très distincte d’un  vin à l’autre, mais à part les notes iodées du Rangen c’était difficile de trouver des ressemblances entre les vins d’un même cru, voir d’une même famille de terroir. Nous confirmons donc ce que Serge Dubs annonçait déjà dans son livre sur les Grands Crus d’Alsace !



Thierry Meyer