3 novembre 2007 – Pourquoi le Grand Cru Rangen fait-il si souvent parler de lui ? Sa situation très au Sud du vignoble alsacien, sa nature géologique marquée par le volcanisme si fréquent dans la vallée du Rhin, et sa notoriété datant de Montaigne et même avant. Pourtant, ceux qui ont découvert le fameux goût des vins du Rangen savent que le style n’est pas forcément apte à plaire au plus grand nombre. Pour comprendre ce qui rend le Rangen si unique, la dégustation a décliné le Grand Cru en plusieurs cépages et producteurs, en ajoutant quelques vins de terroirs comportant du volcanisme pour identifier les ressemblances et différences.
Organisé autour de quatre grands champs de fracture, le vignoble alsacien présente une mosaïque de sols et de sous-sols à faire pâlir d’envie les géologues les plus avertis. Coincées entre le socle primaire de granit et de grès de la montagne vosgienne et les alluvions de la vallée du Rhin, les collines pré-vosgiennes recèlent une grande variété de sols de différentes ères géologique, avec des traces de volcanisme. Le Grand Cru Rangen est le plus réputé des terroirs volcaniques, avec des vins rares dotés d’une typicité très prononcée. On trouve également des traces de volcanisme sur le grand cru Muenchberg à Nothalten (terroir de grès en décomposition avec des dépôts volcaniques) et au sein du Kitterlé à Guebwiller (terroirs gréseux traversé par une veine de grauwacks).
Les vins sont dégustés à l’aveugle série par série.
Mise en bouche
La mise en bouche se fait avec un beau vin, net et droit :
Riesling Cuvée des Seigneurs 2005 – Wolfberger : la robe pâle et brillante aux reflets argentés précède un nez net, marqué par des fleurs banches et un léger fumé. La bouche est droite, légèrement saline avec une belle pureté, sur un équilibre sec. Un vin très recommandable, à consommer dès maintenant. Bien.
Deux vins du Grand Cru Muenchberg, un du Kitterlé.
Le Grand Cru est situé sur la commune de Nothalten, dans une forme d’amphithéâtre orienté Sud-Est. Si la base géologique est gréseuse, des dépôts volcaniques, tufs et cendres se forment en surface, donnant aux vins un équilibre très fin agrémenté de discrètes notes fumées. Le Riesling s’y plait à merveille, et plutôt que de regoûter une nouvelle fois l’excellent Riesling Grand Cru Muenchberg 2005 d’André Ostertag (probablement un des plus grands rieslings Grand Cru produits en Alsace en 2005), nous découvrons deux autres maisons, qui montrent elles aussi une belle typicité avec deux approches distinctes. Le Kitterlé est un terroir gréseux, très pur sur sa partie Est, qui est travers par une veine volcanique sur sa face Sud qui surplombe Guebwiller. C’est là que la maison Schlumberger a planté une partie de ses rieslings, qui prennent un caractère fumé évident. Dans les deux cas, le caractère volcanique des vins s’exprime plus par le coté aromatique que par une salinité propre en bouche.
Riesling Grand Cru Muenchberg 2005 – Willy Gisselbrecht : cette importante maison de Dambach la Ville produit quelques vins issus de grands crus, dont un Muenchberg de bonne facture. Le robe est claire, de nuance or pâle avec des reflets verts. Son nez est encore discret, nécessitant de l’aération pour faire disparaître une légère réduction. La bouche est très précise, fruitée en attaque, puis saline à souhait avec une légèreté agréable, une bonne pureté et beaucoup d’élégance. L’ensemble est sec avec des notes fumées dans une finale nette qui demeure assez courte. La finesse du grès s’exprime bien sur cette cuvée, mais les notes fumées sont encore discrètes. Le 2005 n’est pas encore à la vente mais c’est une cuvée bien née, à attendre. Bien
Riesling Grand Cru Muenchberg 2005 – Armand Landmann : contrepoint de la cuvée précédente, ce vin attaque sa phase de jeunesse par un équilibre marqué par la surmaturité. La robe est plus dense, or blanc avec un disque épais. Le nez est ouvert, net et fruité avec des notes fumées, nécessitant de l’aération pour enlever une légère note d’acidité volatile. En bouche l’attaque est plus tendre, puis le vin se montre finement acidulé et très élégant en milieu de bouche, tout en étant encore enrobée par un léger moelleux. La finale se montre élégante avec des arômes de pamplemousse et de fumée. Une belle cuvée qui ne manque pas de fond à garder. Très Bien.
Riesling Grand Cru Kitterlé 2005 – Domaines Schlumberger : La robe se montre or blanc avec des reflets verts. Le nez est expressif, pas complètement ouvert mais déjà fortement marqué par des arômes de pierre et un note fumée. La bouche est croquante, saline et très pure, avec une sensation minérale très prononcée qui conserve de la finesse. Un vin sérieux qui s’ouvre doucement, très réussi en 2005. Excellent
Trois Riesling Grand Cru Rangen 2005
Après avoir dégusté deux terroirs différents sur des rieslings 2005, la première série de vins du Rangen se fait évidement sur des rieslings 2005. Trois styles différents se présentent, plus ou moins marqués par le caractère très minéral voire tannique en bouche.
Riesling Grand Cru Rangen 2005 – Wolfberger : la robe est jaune citron avec des reflets doré. Le nez est grillé avec une surmaturité évidente, mais reste simple avec une note de champignon. La bouche se montre sèche en attaque avec du gaz, puis plus grasse en milieu de bouche avec un moelleux léger, évoluant sur un caractère acidulé presque piquant. La fin de bouche offre une belle longueur réconfortante. Il s’agit de la première cuvée produite à partir des vignes de pinot gris surgreffées en riesling. Le vin montre un assez bon potentiel, mais il faudra que l’ensemble gagne en netteté après un peu de garde. Bien.
Riesling Grand Cru Rangen 2005 – Martin Schaetzel : la robe se montre intense, orée et très lumineuse. Le nez est ouvert, net et intense avec des notes fumées et grillées qui complètent une base de fruits mûrs et de miel. La bouche est fine, légèrement moelleuse en attaque avec une belle salinité, évoluant sur un caractère plus sec. La longue finale prend un caractère tourbé très avenant. Un style à la fois très expressif et d’une grande pureté, le plus proche de celui de Zind-Humbrecht. Excellent.
Riesling Grand Cru Rangen Clos Saint Théobald 2005 – Domaine Schoffit : La robe reprend une teinte claire bien brillante. Le nez est jeune, net et fruité avec des arômes de fruits à chair blanche. La bouche est ample, sèche et puissante avec une belle maturité qui ne cherche pas le botrytis. La longue finale est marquée par une note fumée. Si le caractère volcanique du cru ne se dévoile que discrètement, le milieu de bouche est impressionnant de concentration, annonçant une belle évolution prévisible. Très Bien.
Trois Pinots Gris Grand Cru Rangen 2002
Après les rieslings 2005, le pinot gris 2002 va permettre de goûter le Rangen au travers de vins botrytisés dans un autre grand millésime. La surmaturité ajoute du fumé et du grillé à la typicité, et propose un équilibre parfois moelleux mais souvent très intense. Des vins qui ne laissent pas indifférents.
Pinot Gris Grand Cru Rangen 2002 – Bruno Hertz : la robe est éclatante, jaune doré profond avec des reflet cuivrés, dans un style très lumineux qui frise le fluorescent. Le nez est ouvert et très aromatique, avec du miel, des fruits secs, du grillé, des notes fumées et une pointe de champignon. La bouche est moelleuse, élégante et de bonne pureté, le caractère à la fois surmaturé et grillé donnant un coté piquant qui relève le goût du vin. Si l’ensemble manque un peu de fond pour rejoindre les meilleures cuvées du cru, voilà une cuvée typée qui ne passe pas inaperçue. Très Bien.
Pinot Gris Grand Cru Rangen 2002 – Wolfberger : La robe de nuance jaune doré conserve une belle intensité. Le nez est également ouvert, net et plus classique avec des arômes mûrs de caramel, d’agrumes confits, évoluant sensiblement à l’aération vers des notes de truffe. L’attaque en bouche est dominée par le sucre, puis le moelleux se mêle aux notes fumées et acidulées pour donner un vin au relief prononcé, possédant une finale de bonne longueur. L’ensemble est expressif mais attention à ne pas tirer vers le rustique. Bien
Pinot Gris Grand Cru Rangen Clos Saint Théobald 2002 – Domaine Schoffit (demi-bouteille) : la robe prends des nuances vieil or, et présente une intensité moins prononcée que les précédents. Le nez est ouvert, net et très pur, avec des arômes de fruits jaunes et d’agrumes confits, sans les notes fumées des deux vins précédents. La bouche est ample en attaque pure avec un moelleux discret qui accompagne une matière concentrée de bonne tenue. La minéralité s’exprime en milieu de bouche et la longue finale possède une légère amertume et une pointe d’alcool. Comme dans la série des rieslings, l’expression du cru se fait plus en bouche qu’au nez, avec une superbe densité. Très Bien
Série de Gewurztraminers
La série de gewurztraminer fut très courte, car le Gewurztraminer Grand Cru Kitterlé 2004 de Dirler-Cadé était malheureusement bouchonné.
Gewurztraminer Grand Cru Rangen 2004 – Bruno Hertz : La robe est jaune pâle, dense mais sans nuances dorées. Le nez est très variétal avec des arômes de rose à la fois purs et intenses. La bouche est nette et pure, ample en attaque puis équilibrée avec un beau fruit, des épices et une finale assez courte. Le terroir est à ce stade complètement absent, tant au niveau aromatique que gustatif, mais le vin est beau. Bien
Lorsque le cépage laisse la place au terroir
Les deux vins étaient choisis pour leur capacité à effacer le cépage pour ne laisser apparaître que le terroir. Le premier était un piège, issu de complantation il a cependant permis de comprendre le point commun dans tous les vins bus précédemment, à savoir une minéralité qui s’exprime en bouche par une amertume très typée, amertume qu’on ne retrouve pas dans les autres crus de type Muenchberg. Le deuxième est une sorte de vin extrême reprenant le caractère tourbé des vins du Rangen dans l’expression qu’en fait Zind-Humbrecht.
Harmonie R 2005 – Maurice Schoech : un vin issu de complantation de riesling, gewurztraminer et pinot gris sur le Rangen, dont c’est la première récolte. Le nez est net, ouvert et de bonne intensité, avec des arômes de fruits à chair blanche et une pointe iodée. La bouche est fine en attaque, sèche avec une salinité prononcée soutenue par une pointe de gaz carbonique. La finale est longue, renforçant la finesse de la salinité du vin. Un vin qui possède un bon potentiel. Très Bien
Gewurztraminer Grand Cru Rangen Clos Saint Urbain 1996 – Zind-Humbrecht : la robe est jaune dorée très intense, foncé et brillante. Le nez est très intense, typé par le terroir avec des arômes de tourbe, de fumée et de cuir, évoluant à l’aération vers des notes de lard et de truffe. La bouche est dense, sèche en attaque avec un caractère tourbé, prenant de l’ampleur en bouche avec une grande pureté et une amertume prononcée en finale. Un vin hors norme à l’équilibre surmuri : 15.4% alc, 17g/l de sucre restant. Le cépage est invisible, on entre plutôt dans la famille des single-malt whiskies avec ce vin très atypique, à ne pas mettre entre toutes les mains. Ce flacon semble toutefois plus évolué que les précédents bus. Le millésime 2004 propose un caractère similaire, qui s’est révélé excellent dans le passé en accompagnement d’un vieux comté. Très Bien
Expression sur les vins moelleux
Le Rangen est réputé chez les producteurs stars pour ses vins moelleux et liquoreux. Si leur caractère typé est souvent occulté par le moelleux dans leur jeune âge, la dégustation de millésimes à maturité permet de se rendre compte de leur évolution.
Pinot Gris Grand Cru Rangen Clos Saint Urbain Vendanges Tardives 1998 – Zind-Humbrecht : la robe est intense, dorée et brillante. Le nez est très botrytisé, avec des arômes de miel, de fruits rouges, de moka et de fumée. L’attaque en bouche est moelleuse, rapidement soutenue par une bonne acidité qui donne à l’ensemble beaucoup d’élégance. La finale est très longue, fine avec des notes de pierre à fusil. Le caractère volcanique du vin est évident dans ce vin, le minéral et l’acidité rendant les 115g/l de sucre résiduel très digestes. Excellent
Gewurztraminer Grand Cru Rangen Clos Saint Théobald Sélection de Grains Nobles 1994 – Domaine Schoffit : la robe est intense, jaune doré avec des reflets cuivrés. Le nez est intense, confit avec des arômes de thé, de fumée, de citronnelle qui signent un passerillage prononcé plus qu’une fort botrytis. L’attaque en bouche est liquoreuse, puissante, puis le vin se montre fluide, élégant, le fruit étant très concentré en bouche. Une légère amertume en finale signe l’origine du vin, mais l’ensemble est encore difficile à identifier comme un Rangen. Le Pinot Gris Rangen SGN 1996 bu l’année dernière s’était montré déjà plus typé. Une cuvée de grande garde. Excellent
Après tant de vins d’un seul terroir dégustés, la question se pose naturellement de la typicité du Rangen. Des caractères différents sont exprimés par des producteurs différents. Une partie de l’explication vient peut-être de l’emplacement des parcelles dans le Rangen. L’amphithéatre du Clos Saint Urbain, situé sur la partie Ouest du cru et orienté Sud / Sud-Ouest, possède un climat et un sol différent des parcelles de la partie Est du cru, d’orientation Sud / Sud-Est. La hauteur des vignes par rapport à la rivière Thur qui coule en contrebas influence également le développement de la pourriture noble. En plus de l’emplacement, le style propre de chaque vinificateur donne des expressions très différentes. Si les densités en bouche sont impressionnantes chez Schoffit, signant des vins concentrés qui apportent une bonne présence en bouche, les matières sont plus légères chez Bruno Hertz avec parfois des expressions aromatiques plus typées. Chez Zind-Humbrecht, la recherche de l’expression la plus prononcée du caractère volcanique donne des équilibres parfois difficiles à apprécier par un public non initié, le caractère tourbé de certains vins étant assez inhabituel. Lorsqu’on sait qu’Olivier Humbrecht est un grand amateur et un expert reconnu du monde des single-malt whiskies, cela n’a rien d‘étonnant. Ainsi, si de nombreux amateurs se ruent chaque année sur les cuvées de Rangen les mieux notées par la critique internationale, d’autres reconnaissent ne jamais en acheter et n’en boire que très peu. Une affaire de goût en quelque sorte.
Thierry Meyer
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