L'Oenothèque Alsace

Dîner du 9 novembre 2019 – les grandes années en 9 en Alsace

La soirée consacrée aux grandes années finissant par 9 en Alsace a tenu toutes ses promesses, avec des vins plus ou moins jeunes de très haut niveau, et des accords souvent grandissimes avec des plats parfaitement réalisés.


Amuse Bouche

L’entrée en matière a permis de déguster deux vins d’âges différents pour apprécier ce qui fait le caractère principal de ces années en neuf, réputées chaudes. Le sylvaner, cépage souvent perçu comme produisant des vins légers et vifs, est un cépage produisant des vins à l’acidité modérée, et pour peu que le terroir soit bon et les rendements modérés, permet de produire de grands vins secs ayant de l’ampleur et du gras. Le Rosenberg millésime 2009 vinifié par François Barmès a permis de confirmer cela en montrant un vin magnifique d’équilibre et de précision. Face à lui, un muscat probablement originaire de l’Altenberg de Bergheim dans une des années les plus réputées de l’après-guerre, avec 1971 et 1990. Dans les deux cas, l’idée était de montrer que lorsque la maturité physiologique des raisins est obtenue, le vin se montre abouti, bien structuré, et vieillit admirablement bien sans aucun déséquilibre. Côté plat, la mousse de foie gras sur sa compote de figue était le parfait compagnon du muscat et de sa texture veloutée. Le Rosenberg a quant à lui bien résonné sur la bouchée au poisson, sur un équilibre fin et légèrement salé. L’entrée en matière fut grandiose dans les saveurs.

Sylvaner Rosenberg Vieille Vigne 2009 – Barmès-Buecher : un grand Rosenberg dans une année parfaite pour le sylvaner. La robe or claire possède de la brillance. Le nez est délicat, ouvert et d’intensité moyenne, avec des arômes délicats de fleur blanche, de fruits à chair blanche, sans oublier un caractère légèrement toasté provenant de l’élevage en demi-muids. La bouche est sèche en attaque avec du gras, ample et très pur avec une acidité fine et une salinité qui fait saliver. Vin de tension, d’harmonie proche de la perfection. Voilà une très belle bouteille qui n’a pas fini d’évoluer, tant elle se montre encore d’une grande jeunesse. Excellent

Muscat Grande Réserve 1959 – Gustave Lorentz : un grand vin toujours à maturité. Le bouchon commence à faiblir, mais reste néanmoins intact sur cette bouteille. Ce qui est toujours surprenant avec les vins du millésime 1959, c’est la robe d’une couleur or chatoyants, frôlant le fluorescent, avec un bel éclat. Le nez de bonne intensité montre de l’évolution et de la complexité, mais reste agréable avec des arômes de menthe sèche, de cuir, de fumée et une pointe d’épices. La bouche est ample en attaque, de bonne densité avec du gras, sur un équilibre encore frais et jeune. On retrouve en fin de bouche des notes fumées et beurrées, comme on peut en trouver avec de vieux rieslings. Une belle conservation pour un vin dans un millésime de légende, que tout amateur de grands vins d’Alsace devrait connaître. Excellent

Le Cabillaud de Bretagne, Ail noir et Coulis de Potimarron, Jambon Séché

Au restaurant la Taverne Alsacienne, les Guggenbuhl se succèdent en cuisine, et avec Alexandre au fourneau le cabillaud ne pouvait être que magnifique, sa texture pure et charnue témoignant d’une cuisson parfaite. L’idée de présenter de vins de terroir de 10 et 40 ans d’âge était de montrer la nature des accords possibles entre l’ingrédient principal du plat, et ses accompagnements. Né dans une année réputée chaude, le grand cru Osterberg de Louis Sipp se montre équilibré et frais, sans aucune lourdeur ou déséquilibre comme on a pu en voir dans un millésime extrême comme 2003. L’équilibre acide/alcool est similaire à celui du millésime 2005. Le caractère puissant du cru dominait légèrement le cabillaud, et il fallait rajouter sur la bouchée l’ail noir, le jambon séché et le coulis de potimarron pour retrouver un équilibre entre le vin et le plat. Le Hengst de Josmeyer a été récolté vraiment tardivement dans un millésime frais pour une année en neuf. Le millésime faisait suite à une année 1978 de petite récolte, et montrait un équilibre délicat, ainsi qu’une complexité allant parfaitement en harmonie avec le plat, voire le poisson seul. Avec les deux vins, le coulis de potimarron fut un liant extrêmement utile entre la texture des vins et celle du poisson.

Riesling Grand Cru Osterberg 2009 – Louis Sipp : une cuvée à la robe claire, au nez fruité et fumé encore très jeune. La bouche est sèche et fraîche en attaque, puis concentrée et charnue, avec cette acidité constante et élégante qui accompagne le vin jusque dans la longue finale. Encore fougueux, c’est un vin abouti taillé pour la grande garde. Une première bouteille se montrait légèrement rassie, elle fut vite remplacée par une seconde à l’équilibre parfait. Très Bien

Riesling Hengst Vendanges du 28 novembre 1979 – Josmeyer : la robe dorée est encore bien brillante. Le nez est ouvert, complexe et de bonne intensité, avec des arômes de noisette, de feuilles séchées, de fumée, et de poire compotée. La bouche est complexe, ample en attaque puis sur un équilibre sec et de bonne densité, avec une acidité fine complétée par une légère amertume qui accompagne la fin de bouche. Un vin à maturité qui possède beaucoup de caractère, et un âge qui le rend parfait à table aujourd’hui. Une première légèrement oxydée fut également remplacée, montrant comme ces variations de qualité de bouchage peuvent donner un équilibre plus ou moins frais. Excellent

Les rieslings de récolte tardive réalisés par Jean Meyer sur le Hengst étaient initialement nommés par leur date de vendanges, puis par le nom de cuvée « Saint-Martin », en référence à la fête du 11 novembre. À partir des années 90, cette cuvée prit le nom de Riesling Grand Cru Hengst « Samain ». Produite dans les grandes années, cette cuvée complète dans la gamme le riesling Grand Cru Hengst classique, avec une récolte de raisin plus mur qui se traduit par un degré d’alcool plus élevé, mais toujours avec un faible taux de sucre résiduel. Une vendange tardive façon « Spätlese » allemand, ou « Smaragd » autrichien. Les deux cuvées se dégustent généralement très bien jeunes, mais la cuvée tardive nécessite une garde plus longue pour atteindre une bonne harmonie entre l’ampleur, le gras et la fraîcheur.
Comme le disait Jean Meyer : « Le Riesling Hengst chante, c’est un bon chrétien. Mais le Riesling Hengst Samain prie. Il y a plus de ferveur dans la prière que dans le chant. »

Le Risotto de Homard et Cèpes, Jus de Homard

Après une telle entrée en matière il fallait poursuivre la progression qualitative et au vu des vins et des plats qui allaient suivre, l’ordre du menu présentant initialement le homard avant le cabillaud a été inversé pour permettre une gradation dans la puissance des vins et des plats. Le plat riche en texture et en saveurs, en particulier arrosé de jus de homard, méritait des vins de grande puissance. C’est donc tout naturellement qu’un riesling Clos Sainte Hune été envisagé, dans une année de récolte à forte maturité. Ces années souvent chaudes ont permis des récoltes à parfaite maturité physiologique et produit les millésimes les plus réputés de la célèbre cuvée phare de la maison Trimbach, que ce soient 1959, 1961, 1971, 1983, 1989, 1990 ou encore 1995 voire 2001. Face à cette cuvée, le souvenir passé d’un accord merveilleux entre un gewurztraminer du grand cru Rangen et une bisque de homard a suggéré de renouveler l’expérience avec un plat similaire. En dégustation pure, le riesling se montra fermé, faisant le dos rond autour d’arômes légèrement évolués et d’une texture ample et grasse apparaissant lourde. Face à lui, le Rangen brillait de tous ses feux, avec une concentration, une énergie et une salinité absolument époustouflantes. L’arrivée du plat allait donner une impression inverse. Le riesling de terroir calcaire s’en allait percer au travers du risotto et du jus pour aller à la rencontre de la chair du homard, magnifiant le goût du crustacé. Le Rangen et sa complexité résonnait moins sur le crustacé, se contentant d’un accord harmonieux avec l’ensemble du plat mais sans en amplifier aucune saveur. Dans tous les cas, c’est un plaisir rare que de se permettre de ressentir de telles nuances, tant le niveau du plat et des vins montraient élevés.

Riesling Clos Sainte Hune Vendanges Tardives 1989 – Trimbach : la robe est dorée, brillante avec un disque épais. Le nez ouvert, marqué par les agrumes, le miel, montrant une belle fraîcheur, avec à l’aération des notes de tilleul et de fleurs séchées. L’attaque en bouche est ample, sèche avec du gras, montrant une forte concentration, une grande puissance, sur un équilibre quasi sec avec une grande longueur. Une belle bouteille taillée pour la grande garde, qui mérite de l’aération. Excellent

Gewurztraminer Grand Cru Rangen de Thann Clos Saint Urbain 1999 – Zind-Humbrecht : la robe vieille or est brillante, avec des reflets cuivrés qui apportent de l’éclat. Le nez est parfumé, très intense, épicé, fumé et floral en même temps, avec des arômes tourbés qui apparaissent à l’aération. La bouche est ample en attaque puissante et légèrement douce (28 g/l de sucre résiduel, désormais bien fondu) puis se montre charnue, épicée et puissante avec une longue finale légèrement chaude. Le caractère fruité et charnu de la cuvée est réellement impressionnant, et sa fraîcheur étonnante pour un vin de 20 ans d’âge. Excellent

Les Fromages Affinés

La sélection de fromages de Maître Jacky Quesnot à Colmar comprenait ce soir un Comté 18 mois, une Tomme de Brebis des Pyrénées, un chèvre cendré de Selles sur Cher et un Brie de Meaux à parfaite surmaturité. Présenter un vin rouge dans une soirée en blanc était certainement un exercice difficile, mais on ne pouvait pas dans une soirée consacrée aux années en neuf ne pas goûter un pinot noir, tant les années chaudes ont permis de produire des rouges alsaciens colorés et charpentés. C’était également l’occasion de revenir avec Marc Tempé sur un vin blanc de terroir, qui finit avec l’âge par faire oublier son cépage pour ne laisser qu’une marque de son cru d’origine façonnée par la patine du temps. Dans l’exercice difficile des accords, le Mambourg était superbe sur le comté et dans une moindre mesure sur la tomme de brebis. Le pinot noir, encore jeune et puissant, malgré trois heures de carafe se montra moins à l’aise sur ces deux fromages, mais accompagna le Selles sur Cher dans un équilibre sec et fumé. Le Brie de Meaux, délicieusement coulant et parfumé, aurait probablement mérité un cidre fermier, mais fut une bonne gourmandise de fin de repas accompagné d’un morceau de pain frais

Riesling Grand Cru Mambourg 1999 – Marc Tempé : la robe or jaune est brillante, cristalline, avec un disque épais. Le nez ouvert, intense et complexe, avec des arômes de miel, de citronnelle, d’écorce d’agrumes, d’épices brunes et une pointe fumée. La bouche est ample en attaque, douce et délicatement acidulée, évoluant sur un équilibre charnu et patiné, avec une finale nette de bonne longueur. Un vin de terroir à maturité, puissant et harmonieux, parfait sur le fromage mais également délicieux à boire pour lui seul. Excellent

Pinot Noir Clos Saint Landelin 2009 – Domaine Muré : la robe se montre encore très jeune, rubis profond avec une belle brillance, et des reflets violacés qui confirment une faible évolution. Le nez s’ouvre après aération, avec des notes florales, de la cerise noire, des épices, du poivre, du genièvre et une note fumée. La bouche est franche en attaque, jeune et fraîche avec des tanins bien présents rehaussés par une acidité fine, évoluant sur un équilibre puissant, charnu, avec une finale longue. Un caractère encore austère qui masque une forte maturité, pour ce vin d’une grande jeunesse qui méritera de rester quelques années supplémentaires en cave. Excellent

La Torche aux Marrons et son Coulis d’Eglantine

Plat emblématique en Alsace, et à la Taverne Alsacienne en particulier, c’est le dessert qui permit la première tentative d’accord avec le fameux Traminer 1959 de la maison Léon Beyer l’année dernière. Je me réjouissais de pouvoir partager cette expérience rare en espérant que la deuxième bouteille achetée aux enchères se montrerait au moins aussi bonne que la précédente, et je n’ai pas été déçu. Le grain du dessert associé à l’équilibre puissant et demi-sec du vin forme un accord très agréable, qui évite de tomber dans l’excès de sucrosité. Le Goldert, récolté en vendange tardive dans un millésime exceptionnel, montre une nouvelle fois à quel point la garde en bouteille est nécessaire sur ce type de grands vins. Pour ses 30 ans, le vin se montre d’une rare jeunesse, d’une fraîcheur éclatante, avec un fruité charnu de grande pureté. Il accompagne la torche aux marrons sans broncher, et bénéficie beaucoup du coulis d’églantine pour créer un liant sur le fruité.

Traminer Grande Réserve Exceptionnelle 1959 – Léon Beyer : la robe vieil or prend des nuances ambrées, avec bonne brillance. Le nez se montre complexe, évolué, très épicé avec des notes de fleurs séchées, de cuir et de miel. La bouche est sèche en attaque, puis dense et épicée avec du gras. L’équilibre mur et riche reste quasi sec, avec une belle ampleur dans la longue finale. Un vin à l’âge vénérable, qui montre le caractère indestructible du millésime 1959 lorsque les vins sont de grande origine. Très Bien

Gewurztraminer Grand Cru Goldert Vendange Tardive 1989 – Zind-Humbrecht : la robe est dorée, brillante avec des reflets cuivrés. Le nez est ouvert, intense et complexe, avec toute la déclinaison des grands vins de botrytis, autour du miel, des raisins secs, de la pêche, de la noisette, des épices avec une pointe beurrée. La bouche est ample en attaque, moelleuse, très charnue et acidulée en même temps avec un équilibre d’une grande jeunesse proche de la perfection. Un grand millésime pour les vins de surmaturité et un grand terroir qui se révèle avec le gewurztraminer au bout de 30 ans. Excellent

Le vin de la fin – pour finir en apothéose

Avant de clôturer ce magnifique dîner, Philippe Blanck nous partage une petite pépite issue de sa cave, également issue du grand millésime 1989, qui nous permet de renouer avec la tradition de partager ces petites bouteilles de vin liquoreux en fin de repas avec les convives. Une magnifique idée pour accompagner les mignardises qui clôturent le repas, pour ceux qui auraient encore faim !

Riesling Furstentum Sélection de Grains Nobles 1989 – Domaine Paul Blanck : une demi-bouteille de concentré de Furstentum. La robe jaune or est brillante, lumineuse. Le nez ouvert, extrême, parfumé et complexe, avec des arômes de safran, de miel, de grain rôti, de noisette, d’écorce d’agrumes et une pointe de thé. La bouche se montre liquoreuse en attaque, très concentrée, équilibrée par une forte acidité, avec une fin de bouche en queue de paon qui reprend les arômes du nez. Un vin extrême qui prend doucement un bel équilibre avec la patine du temps. Excellent

Au Final

Depuis 2001 les repas autour des grands Alsace se sont enchaînés, avec des formats, des thèmes et des plats très variés, et aussi avec des réussites plus ou moins fortes. Le metteur en scène prépare le terrain, ensuite l’alchimie entre les plats, les vins, les convives et les saisons font le reste. Avec plus de 100 dîners au compteur en plus de 19 ans, les déceptions sont rares, mais les grandes réussites comme ce soir marquent forcément les esprits des amateurs. Le format 12 convives – 4 plats – 10 vins est idéal pour une soirée conviviale où chacun peut partager ses ressentis, ses émotions, et repartir en ayant appris sur les vins, les plats, et sur son appétit !

 

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