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Déjeuner du 13 novembre 2022 – « Hier encore j’avais vingt ans »

 

Restaurant la Taverne Alsacienne, Ingersheim, 13 novembre 2022

L’idée de célébrer l’avant-dernier millésime du siècle dernier avait germé alors que je préparais fin 2019 un repas avec quelques amis du vin pour mon 50e anniversaire. Malheureusement l’année 2020 qui avait bien commencée fut rapidement bloquée, reléguant à des jours plus calmes l’organisation de ce fameux repas. De gestes barrières en vaccins, à l’été 2022 la perspective d’organiser ce fameux repas est devenue réalité, et selon la formule habituelle de nos repas gastronomiques, ce sont six couples (et demi) qui se sont retrouvés autour d’une grosse douzaine de flacons à la Taverne Alsacienne. Le repas consacré au millésime 1999 était un petit tour de France centré en Alsace pour les blancs, et a permis de partager quelques belles quilles autour de plats préparés par Alexandre Guggenbuhl. Le menu avait volontairement omis la mention des vins, de manière à permettre à chacun de découvrir chaque cuvée à l’aveugle. C’est une bonne manière selon moi de rendre hommage à un grand vin que de permettre sa dégustation en deux temps, d’abord à l’aveugle pour éviter que l’étiquette ne fournisse un plaisir déjà très grand avant même d’avoir mis le nez dans le verre. L’entreprise est parfois risquée, et n’a pas manqué d’apporter quelques surprises.

Mise en bouche – le millésime 1999

Avant de démarrer le repas, une petite mise en bouche autour d’un premier vin a permis de parler brièvement du millésime 1999. Millésime hétérogène en France, marqué globalement par un hiver humide et une maturation assez tardive par rapport aux standards actuels. Si le bordelais reste en retrait par rapport au grand millésime 2000 qui a suivi, en Bourgogne en revanche le millésime est très réussi en blanc ou rouge, en particulier sur la Côte de Beaune. Dans la vallée du Rhône, la partie septentrionale a produit de très grands vins, la partie méridionale restant sur un très bon millésime. En Alsace, le millésime fut hétérogène à cause de l’humidité, l’état sanitaire des raisins étant un facteur de distinction fort des meilleurs domaines. Ceux-ci ont pu produire de belles cuvées, en particulier grâce aux trois semaines de temps sec et chaud apparu juste avant les vendanges, qui a permis de parfaire les maturités sur une récolte aux rendements réduits par le mildiou. La plupart des vendanges hors crémants ayant commencé en octobre, on est effectivement sur un calendrier propre au XXe siècle, qu’on ne retrouve plus très souvent de nos jours. Les meilleurs vins d’Alsace sont donc souvent très murs, de bonne concentration, et souvent très marqués par leur terroir d’origine. Un premier vin allait nous permettre de constater cela, avec une cuvée du Domaine Vincent Spannagel qui se montre à son avantage, la finesse des granits du Wineck Schlossberg étant particulièrement élégante.

Riesling Grand Cru Wineck-Schlossberg 1999 – Vincent Spannagel : un vin fin et élégant encore jeune. Le nez ouvert, de bonne intensité, marqué par les arômes de fleur d’églantier, de safran, avec une légère note fumée. La bouche est sèche en attaque, de demi-corps, élégante avec une acidité fine, montrant une belle pureté. La fin de bouche possède de la finesse, de la salinité, et un caractère net très agréable. Un vin encore jeune au fruit encore présent, tout en dentelle, caractéristiques des granits fortement désagrégés voir sableux par endroit qu’on retrouve sur le Wineck Schlossberg. Une belle évolution du millésime 1999, pour une cuvée généralement à son apogée auprès 7 à 10 ans de garde. Parfait pour ouvrir les papilles. Très Bien

Les Amuse-bouche

L’assortiment d’amuse-bouche représentait quasiment un plat à lui tout seul, avec dans l’ordre une panna cotta au foie gras, une raviole au fromage de chèvre sur un espuma de potimarron, et une salade d’épeautre au citron confit et vinaigre kalamansi. Les deux vins servis sont originaires du Bas-Rhin. Ils sont structurés de manière très différente, mais bien marqués par leur origine. À la puissance rocailleuse du terroir de schiste du Kastelberg renforcée par une maturité juste suffisante, la finesse et la salinité du Muenchberg (gréso-volcanique) se révèle sur un équilibre plus riche et plus mûr, la maturité n’enlevant rien de l’acidité constitutive du terroir. Une belle démonstration de l’expression de grands terroirs alsaciens sur des rieslings de 1999. Les multiples combinaisons créées avec les différents amuse-bouche ont montré que les accords de texture peuvent devenir eux-mêmes de véritables révélateurs aromatiques.

Riesling Grand Cru Kastelberg 1999 – Marc Kreydenweiss : un vin racé et frais. Le nez ouvert, net, aux arômes de caillou concassé, de fumée, avec une pointe d’agrumes. La bouche est ample en attaque, fraîche avec une légère présence de tanin, évoluant sur un équilibre dense et fruité, sec et croquant. La longue finale reste marquée par la fraîcheur et une fine amertume. Le vin possède une maturité sans excès, voire un peu juste, mais cela renforce son caractère tendu. Excellent

Riesling Grand Cru Muenchberg 1999 – André Ostertag : un vin tendre et salin. Le nez est ouvert, de bonne intensité, élégant avec des arômes de fleurs séchées et de fines notes fumées. La bouche est ample en attaque, très légèrement douce, puis dense avec du gras, portée par une acidité fine et saline, évoluant sur cet équilibre pur et tendre avec une légère amertume en finale. Un vin de très belle maturité qui évolue parfaitement bien et qui développe une forte salinité après aération. Délicieux à boire pour lui, mais également grand en mangeant. Excellent

Le Tataki d’Espadon, Salade Thaï

Le premier plat était étonnant de puissance et de finesse, avec un espadon enrobé de sésame très brièvement saisi, et une salade délicatement parfumée aux parfums asiatiques. Les deux premiers vins servis se sont montrés comme à leur habitude extrêmement différents dans leur style, le fougueux terroir volcanique du Rangen en opposition avec celui très calcaire du Clos Sainte Hune. En dégustation pure, le charme du Rangen et son caractère caillouteux impressionne beaucoup les amateurs de ce style, face à un Clos Sainte Hune plus fermé sur ce flacon, alors qu’habituellement le 1999 est connu pour son caractère moins austère que d’autres années. En mangeant, si le Rangen fut un compagnon parfait du plat dans son style asiatique, le Sainte-Hune est allé chercher le caractère marin du poisson, amplifiant la note iodée en bouche de façon vraiment spectaculaire. Un troisième vin surprise offert par Jean-Philippe est venu compléter ce duo de choc ; servi à l’aveugle la cuvée Théo et son terroir de graves a impressionné par ses notes florales et sa pureté de texture, à défaut de pouvoir se mesurer au plat coté puissance.

Riesling Grand Cru Rangen Clos Saint Urbain 1999 – Zind-Humbrecht : un vin puissant et riche. La robe dorée est brillante. Le nez est ouvert, de bonne intensité après aération, complexe, marqué par le caillou concassé, la tourbe, la noisette, la fumée. La bouche est ample en attaque, riche et légèrement douce, puis puissante, pure, dense avec une longue finale. Un concentré de Rangen très mûr et encore jeune, facile à boire. Le cépage est peu perceptible. Excellent

Riesling Clos Sainte Hune 1999 – Trimbach : un vin profond et pur. La robe jaune or est intense, brillante. Le nez d’intensité moyenne se montre fermé, avec des notes discrètes de fleurs blanches, une pointe pétrolée et une touchée fumée. La bouche est ample en attaque, puis dense, profonde, nette avec une bonne pureté. La fin de bouche est longue, le vin tapisse la langue avec persistance. Un équilibre en demi-teinte aromatiquement sur cette bouteille, mais bien en place en bouche. Très Bien

Riesling Cuvée Théo 1999 – Domaine Weinbach : un vin fin à maturité. La robe dorée est brillante. Le nez est ouvert, pur et net, marqué par les fleurs blanches, les herbes séchées, les fruits secs avec une touche de poire. La bouche est souple en attaque, droite et précise, finement acidulée avec beaucoup d’élégance. Une cuvée aérienne très réussie, qui franchit les années sans fléchir. Très Bien

La Pièce de Bœuf dans le filet, Champignons des bois des coins secrets des Vosges

Le filet bœuf, pièce maîtresse du menu, aller offrir un très bon support aux grands rouges servis en accompagnement. Les deux premiers Bourgogne du millésime 1999 allaient tous leurs chevaux dans une dégustation comparative très intéressante. Le Nuits-Saint-Georges était étonnamment fermé en comparaison des flacons précédemment dégustés. Connaissant les vins servis mais non leur ordre, j’ai initialement confondu le Nuits et le Chambertin. Le Chambertin 1999 de Rossignol-Trapet restera pour moi le vin du repas, avec un équilibre exceptionnel de fraîcheur, de minéralité et de fruits. Enfin de plat, le Volnay 2020 proposé par Patrick Essa viendra réveiller les papilles avec la fougue fruitée de sa jeunesse sur un équilibre remarquablement tendre déjà parfaitement buvable. La tendresse du filet et l’onctuosité de sa sauce forment de bons compagnons pour ces rouges charpentés.

Chambertin 1999 – Rossignol-Trapet : un vin exceptionnel à l’équilibre magique. La robe rubis brillant est lumineuse, intense, profonde. Le nez ouvert, net et intense, marqué par le cassis et les petits fruits noirs, la violette, la fumée, le cuir, sur un fond épicé. La bouche est ample, franche en attaque, dense et charnue avec des tanins gras parfaitement intégrés, évoluant sur un caractère plus épicé. La fin de bouche est longue, suave, avec un gros caractère. Très grand millésime sur une cuvée exceptionnelle parfaitement conservée. Excellent, voire beaucoup plus

Nuits Saint Georges 1er Cru Les Pruliers 1999 – Domaine Lucien Boillot : un vin sombre qui se montre en demi-teinte sur ce flacon. La robe rubis est dense, sombre avec des bords tuilés. Le nez d’intensité moyenne est austère, marqué par la suie, la fumée et les épices, sur un équilibre riche et patiné par le temps. La bouche est dense en attaque, puis profonde, corsée et amère avec des tanins frais bien intégrés, évoluant sur un caractère plus élégant mais qui conserve le dos rond. Le fruit se montre très discret sur cette bouteille, qu’il faudra rapidement regoûter. Très Bien

Volnay 1er Cru Santenots 2020 – Domaine Buisson-Charles : un vin jeune et fruité très élégant. La robe rouge rubis est éclatante, limpide et très lumineuse. Le nez est net, intensément fruité, avec des arômes de framboise, de groseille, et une pointe de cassis. La bouche est dense en attaque, encore jeune, corsée avec des tanins fins, sur un équilibre dense et charnu déjà très facile à boire. La fin de bouche est fraîche et délicieuse. Grande réussite pour un vin déjà très abordable. Excellent

Sélection de la Fromagerie Saint-Nicolas

La sélection de la célèbre fromagerie colmarienne proposait Chaource, Brillat-Savarin, Etivaz, et Comté 29 mois. L’occasion de changer de région côté vin, de faire découvrir un grand Côte-Rôtie à l’aveugle aux convives, et d’ouvrir une bouteille rare d’Arbois Pupillin vin jaune Pierre Overnoy. Bouteille acquise au domaine il y a longtemps, après d’âpres négociations avec Pierre Overnoy, dont la promesse de la partager pour mon 50e anniversaire. Coté accord la sélection de fromages a fait honneur à chaque vin, le Chaource et le Brillat-Savarin se mariant parfaitement avec la texture tendre et crémeuse du Côte-Rôtie, là où les fromages à pâte pressée cuite furent de grands compagnons classiques du vin jaune. Précisons que le millésime 1999 est bien entendu très grand dans le Jura, et que si les vins jaunes de ce millésime étaient forts agréables à déguster dès leur mise en bouteille, ils sont hélas également aptes à une très longue garde, tant qu’il en restera en cave…

Côte-Rôtie La Turque 1999 – E. Guigal : un grand vin dans un grand millésime. La robe est dense, profonde, sombre et légèrement tuilée sur les bords. Le nez ouvert, parfumé, racé avec des arômes de lard fumé, de violette, de petits fruits noirs, une pointe fumée et une touche épicée. La bouche est ample en attaque, très dense, charnue avec des tanins gras, évoluant sur un équilibre à la fois doux, profond et intense. La fin de bouche est longue, pure, avec beaucoup de charme. Excellent

Arbois Pupillin Vin Jaune 1999 – Pierre Overnoy : un vin jaune magnifique de pureté et de salinité. La robe jaune or est brillante, relativement claire. Le nez ouvert, complexe, marqué par les arômes de morille, de mine de crayon, de crème fraîche, avec une pointe épicée. La bouche est franche en attaque, ample et concentrée, nette avec du gras, une acidité très fine, dévoilant une fine salinité, avec une finale longue et très nette. Un vin minéral très bien né, qui évolue lentement, doté d’un équilibre remarquable. Excellent

La Torche aux Marrons et son Coulis d’Eglantine

La première idée était bien entendue de servir des rieslings de surmaturité sur le dessert, mais face à une torche aux marrons de saison, dessert irremplaçable à Ingersheim en automne, difficile de résister à la tentation de remettre un vin du Rangen, version surmûrie cette fois-ci. L’accord fut bien entendu magnifique, la richesse du plat enrobée par la puissance du vin donnant un ensemble quasi parfait. La rare cuvée Ernest 1999, troisième millésime produit depuis 1947 et 1971, a permis de faire la transition avec la fin du repas en offrant cet équilibre frais et salin que seuls les grands rieslings de surmaturité savent offrir. Bien entendu comme le vin est originaire du grand cru Kitterlé, on retrouve la puissance de feu de ce terroir gréseux volcanique.

Pinot Gris Grand Cru Rangen Clos Saint Urbain Vendanges Tardives 1999 – Zind-Humbrecht : un vin ample et puissant. La robe topaze brillant et éclatante, tirant sur le cognac. Le nez ouvert, intense, avec des arômes de noisette torréfiée, de fruits jaunes, de vanille et une pointe. La bouche est ample en attaque, moelleuse et saline, développant rapidement un caractère charnu rehaussé par une fine acidité. Un équilibre remarquablement pur doté d’une longue finale très nette. Un pinot gris de surmaturité qui arrive à exprimer aussi facilement sa noble origine mérite toute l’attention des amateurs de vins de terroir, même si ces derniers limitent parfois trop souvent leur attention aux rieslings secs. Excellent

Riesling Cuvée Ernest Sélection de Grains Nobles 1999 – Domaines Schlumberger : une cuvée pure et de grande finesse. La robe dorée est brillante, restée claire. Le nez est ouvert, de bonne intensité, patiné par le temps, marqué par les fruits exotiques, les fruits secs, l’écorce d’orange, la fumée, avec une pointe de grillé et une touche de safran. La bouche est liquoreuse en attaque, finement acidulée, dense et précise avec des arômes d’écorce d’agrumes qui reviennent en finale. Un vin racé qui possède du fond, à l’évolution lente. Excellent

Le café et les mignardises qui l’ont accompagné ont permis de faire le traditionnel tour de table, où chacun peut exprimer son ressenti, ses coups de cœur, et peut-être aussi ses déceptions avec tous ces grands vins initialement dégustés à l’aveugle. Les commentaires honnêtes sont souvent rares dès que l’étiquette brille, surtout au moment des fêtes, et c’est à mon avis un avantage pour l’amateur de vin que de pouvoir découvrir une grande cuvée par la dégustation. Dans un tel repas, l’ordre des vins recommandé doit généralement faire en sorte que les vins suivants ne fassent pas regretter les précédents, je pense que cet objectif a été atteint. Même si après un grand Chambertin, on pouvait se demander ce qui pourrait suivre. Le Grand Cru Rangen démontre une nouvelle fois sa capacité à accompagner les plats les plus riches et les plus exotiques, même si parfois en dégustation pure les vins ne font pas l’unanimité. Malgré la forte notoriété du cru, c’est dommage de ne pas trouver plus de littérature sur les magnifiques accords qu’il peut créer, par-delà les accords liés au seul cépage.

Ce qui impressionne enfin toujours après un tel repas c’est la sensation d’avoir bien mangé mais sans excès, signe de la grande qualité des plats et les vins. Merci à Alexandre Guggenbuhl et sa brigade ainsi que Jean-Philippe et toute la salle pour leur accueil lors de cette journée formidable.

Thierry Meyer

Lire aussi le compte rendu de Stéphane Wasser
http://www.stephanew.com/2022/11/soiree-des-50-ans-de-thierry-m-a-la-taverne-alsacienne.html

et celui de Pierre Radmacher
https://pierre-radmacher.e-monsite.com/blog/actualites/un-dejeuner-d-anniversaire-a-la-taverne-alsacienne.html

Lire les détails sur la signification des appréciations et notes données au vin