L'Oenothèque Alsace

OENOALSACE.COM

Approche de l’Alsace en trois tests

Approche de l’Alsace en trois tests
19 mars 2005 – Restaurant la Taverne Alsacienne

Dîner avec des amis alsaciens autour de quelques bouteilles d’Alsace. Tous intéressés par le vin mais à des degrés divers, j’ai choisi de faire quelques dégustations comparatives pour comprendre la diversité des sensations perçues par un groupe. Les résultats sont très intéressants sur l’approche de chacun des vins d’Alsace.



En apéritif, un muscat d’Alsace de noble origine. Cher, prestigieux, est-ce que le groupe allait s’enthousiasmer ?

Muscat Bergheim 2003 – Marcel Deiss : La robe est pâle, le nez est plaisant, marqué par de la bergamote, de la fraise des bois, du raisin mûr. La  bouche est grasse, riche et souple avec une jolie rondeur. On sent encore un peu de gaz en milieu de bouche, et la finale est assez puissante. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent : 1 – Très Bien : 1 – Bien : 4 – Bof : 3 – Beurk : 0


Le millésime 2003 est très parfumé, sur un équilibre plus gras qu’acide et herbacé, ce qui surprend un peu. Le coté atypique et l’absence de comparaison avec un autre vin empêchent de remarquer la grande concentration et la bonne maturité du vin, et à 15 euros la bouteille départ cave, certains pourraient même se demander si c’est une bonne affaire. C’est peut-être important de faire des comparaisons pour découvrir ces cuvées.


En entrée,  une Cassolette de Morilles Fraîches,  et une question essentielle : comment le terroir bonifie-t-il les vins moelleux ?

Pour y répondre il fallait prendre une vendange tardive de même cépage, millésime et producteur, avec des terroirs différents. Le Pinot Gris 1996 VT de Marc Tempé a répondu présent.


Pinot Gris Zellenberg VT 1996 – Marc Tempé : La robe est jaune claire. Le nez est parfumé, avec des notes de coing, de fruits jaunes et de truffe. La bouche est moelleuse, ronde, acidulée, marquée par le fruit. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent : 0 – Très Bien : 6 – Bien : 2 – Bof : 1 – Beurk : 0


Pinot Gris GC Schoenenbourg VT 1996 – Marc Tempé : La robe est plus dense, jaune citron. Le premier nez fait penser à un peu de bouchon, mais après un peu d’aération, les notes de volatiles et de poussière laissent place à un nez complexe un peu évolué, marqué par une légère oxydation. La bouche est acidulée, racée avec une belle liqueur et des notes de café, caramel, figue, datte, complétée par une pointe fumée.  Le bouchon n’est pas très propre ce qui laisse penser à un léger défaut de conservation, mais il n’en reste pas moins un vin magnifique en bouche. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent : 4 – Très Bien : 5 – Bien : 0 – Bof : 0 – Beurk : 0


Le coté variétal du Zellenberg se montre sous les meilleurs auspices et plaît beaucoup en dégustation pure. Le deuxième vin est plus difficile à cause de son problème de bouchon, et aussi à cause d’une complexité aromatique un peu plus exotique. En revanche, l’accord avec la minéralité des morilles fait l’unanimité, chaque gorgée de vin fait littéralement exploser les parfums de morille en bouche, et on constate également un accord de texture remarquable, le tranchant du vin taillant dans la crème de la sauce un chemin pour que le terroir s’associe au champignon. Avec la cuvée Zellenberg, l’association n’est pas mauvaise mais il n’y a pas d’atomes crochus particuliers. Le terroir joue donc un rôle à table plus qu’au niveau aromatique.


Pour continuer, avec de l’Elbot rôti au beurre de riesling, l’exercice porte sur le riesling : comment aborder deux grands crus aux styles très différents ?

Pour limiter les variations, le choix se porte sur le même producteur, mais avec deux expressions très différentes.


Riesling GC Saering 2001 – Domaines Schlumberger : Le nez est assez discret, marqué par des agrumes (carambole), du citron, du miel, du gingembre. La bouche est acidulée, citronnée, minérale, très classique dans l’expression du cépage sur un joli terroir. 8 g/l de sucre résiduel. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent : 0 – Très Bien : 2 – Bien : 6 – Bof : 1 – Beurk : 0


Riesling GC Kitterlé Vieilles Vignes 1999 – Domaines Schlumberger : nez est fumé, minéral avec des notes d’encaustique, de suie qui rappellent l’âtre d’une cheminée. La bouche est riche et minérale, vive, très tendue même, avec ce coté très racé qui ne fait pas l’unanimité mais qui signe le terroir du Kitterlé dans la partie volcanique qui a donné cette sélection de vieilles vignes. 4g/l de sucre résiduel. Excellent
Avis du Groupe : Excellent : 1 – Très Bien : 2 – Bien : 1 – Bof : 4 – Beurk : 1


Le premier vin est perçu sur son coté variétal, c’est une sorte de riesling de grande qualité, même si le terroir se montre un peu moins marquant. Malgré cela, pas de grand enthousiasme. Le deuxième vin fera beaucoup plus parler. Certains aiment, d’autres n’aiment pas du tout ce coté minéral et sec, aussi fort au nez qu’en bouche. On est face à un vin peu consensuel, et si je sus le seul à le noter Excellent, c’est peut-être parce que j’ai pu le goûter in situ, et le découvrir dans un autre contexte. Ce sera le vin le moins consensuel de la soirée. Les terroirs très marqués ne font pas l’unanimité en dépit de leur bon classement par les guides. Nous nous en étions déjà rendu compte avec le Grand Cru Rangen, je crois que cette cuvée de Kitterlé n’est pas non plus à mettre entre toutes les mains. Dernière précision, sur un groupe ayant des proportions équitables d’homme et de femmes, les hommes sont ceux qui ont apprécié le plus le Kitterlé.


En plat un peu plus consistant, le Filet de canette, croustillant de cuisse de canard, avec des pinots noirs fins, un jeune et un vieux.

Je voulais initialement faire goûter deux pinots noirs alsaciens, d’âge différent, mais devant l’absence de bouteilles candidates intéressantes, je me suis rabattu sur deux très grands bourgognes rouges. Je voulais montrer que les pinots noirs ne sont pas forcément râpeux dans leur jeunesse et madérisés dans leur vieillesse, idée largement répandue chez ceux dont les approvisionnements bourguignons se font chez des producteurs « traditionnels ».


Volnay 1er Cru les Angles 1999 – Lucien Boillot : Le nez est parfumé, avec des notes de cerise, framboise, ronce et des notes de chocolat très élégantes. La bouche est souple, dense équilibrée, très typée pinot noir soyeux, avec un équilibre remarquable. Excellent.
Avis du Groupe : Excellent : 2 – Très Bien : 4 – Bien : 1 – Bof : 1 – Beurk : 0


Volnay 1er Cru les Champans 1976 – Joseph Voillot : La robe est à peine évoluée, avec des bords un peu plus clairs qui tuilent légèrement. Le nez est parfumé, avec des fruits rouges (fraise, cerise) et des notes de cuir. La bouche est acidulée, grasse, avec beaucoup de délicatesse. Loin des vins madérisés, on est sur un équilibre qui pourrait rappeler un vin de 1996 tellement le fruit est présent. Un tour de force. Très Bien.
Avis du Groupe : Excellent : 3 – Très Bien : 3 – Bien : 1 – Bof : 1 – Beurk : 0


La finesse du Volnay de Boillot est remarquée, sans que la pureté du pinot soit perçue comme tel. C’est difficile d’apprécier ce vin sans être familier avec ce style de bourgogne. Pourtant les meilleures cuvées sont à ce niveau. Cela me rappelle une dégustation familiale de Clos des Lambrays 1999, ou certains convives ont trouvé que le vin n’était pas assez charpenté par rapport à un Nuits St-Georges Clos de la Maréchale :-). Le Volnay de Voillot est en revanche une merveille d’équilibre, à 29 ans le vin se montre très grand, et est beaucoup apprécié.


Sur le dessert, nous allons rester très traditionnels et de saison avec la Soupe de Gariguettes nouvelles de Plougastel.  La question est de savoir si le gewurztraminer se présente mieux sur un terroir de grand cru.

Pour faire la comparaison,  deux belles cuvées de Vincent Spannagel. Un 2003 aux parfums intenses, et un 2001 plus riche et moins variétal.


Gewurztraminer Saint Urbain 2003 – Vincent Spannagel : Le nez est intense, mûr et parfumé, avec des notes de fraise et caramel. La bouche est ronde, douce, très élégante avec un léger moelleux. L’archétype du gewurztraminer fruité, léger et parfumé. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent : 0 – Très Bien : 2 – Bien : 2 – Bof : 3 – Beurk : 0


Gewurztraminer GC Wineck-Schlossberg 2001 – Vincent Spannagel : Le nez se fait plus riche, avec du botrytis, du miel et du pralin. La bouche est assez moelleuse, presque minérale. Un léger bouchon vient un peu ternir la finale, sinon le vin montre sa race dans un équilibre différent du précédent. Bien
Avis du Groupe : Excellent : 2 – Très Bien : 2 – Bien : 3 – Bof : 0 – Beurk : 0


Je suis un des deux seuls à avoir préféré le 2003 au 2001. Est-ce à cause du surcroît de sucre dans le 2001, qui rappelle un peu une VT  ? Ou à la méconnaissance des arômes variétaux pris par un gewurztraminer jeune et fruité ? Plus que jamais il semble difficile de prévoir l’opinion d’un groupe sur un vin, en se basant sur ses propres impressions.


Pour terminer

C’est vraiment très agréable de passer du temps à table avec des amis, à bien boire et bien manger. Ca peut paraître banal mais mieux vaut parfois le redire. Ensuite, la formule consistant à déguster des vins par paire est très intéressante car chacun peut trouver quelque chose à dire, même les moins expérimentés du groupe. Et si certains peuvent penser que leur manque de connaissance rendra la tâche difficile, ils se rendent généralement compte que la dégustation comparative permet à chacun de se faire une opinion assez forte sur ce qu’il aime ou pas.


En regardant les notes, je suis la personne qui a les scores les plus élevés. Ce qui est normal puisque j’ai choisi des vins que j’aime beaucoup, mais cela veut également dire que mes goûts et le goût des autres participants joue un rôle très important qui confirme l’utilité discutable d’une échelle de valeur absolue qui voudrait être trop précise. Je garde deux autres remarques de ce dîner. Premièrement, choisir le vin quand on est connaisseur peut paraître facile, mais c’est trompeur. Difficile de prévoir ce qu’un groupe hétérogène va apprécier, en se basant uniquement sur une échelle qualitative même reconnue par les plus grands experts. Certains vins sont consensuels, d’autres le sont moins, et les guides ne mentionnent jamais ce facteur. Deuxièmement, c’est assez difficile de déguster les vins soi-même et de suivre un groupe. C’est plus facile d’être à l’écoute des commentaires de chacun lorsqu’on connaît déjà les vins. S’il faut passer du temps à les goûter soi-même, on se concentre sur le vin et plus sur le groupe. Heureusement dans ce cas les vins m’étaient connus, ce qui n’était pas le cas lors de la soirée Pinot Blanc organisée la veille.


Thierry Meyer