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Accords mets/vins avec les crus issus de complantation du Domaine Marcel Deiss

25 mars 2006


Une soirée au programme ambitieux qui a réuni des amateurs désireux de découvrir un style de vins différent autour d’un menu créé spécialement pour l’occasion:


Salade de Canard aux Mangues avec Burg 2002
Huître en Gelée, sauce aux Herbes avec Engelgarten 2001 et Rotenberg 2002
Ris de Veau au Wasabi avec Gruenspiel 2001 et Schoffweg 2002
Gratin de Langoustine, Sandre au Jus de Cresson avec Grasberg 2002 et Huebuhl 2000
Volaille façon Taverne et Munster Blanc aux mirabelles
avec le Grand Cru Altenberg de Bergheim 2002


Le dîner a permis de découvrir par la pratique la complexité des accords possibles… Une soirée studieuse avec de grands moments. A découvrir dans le détail.



Le monde du vin alsacien n’est pas indifférent aux premiers crus (en cours de hiérarchisation) issus de complantation produits par Jean-Michel Deiss. A une période où l’Alsace cherche plus que jamais à mettre ses terroirs en valeur, les vices et les vertus de la complantation sont longuement discutés, certains y voyant une diversion inutile,  d’autres reconnaissant qu’il y a une piste à exploiter. Une des critiques les plus fréquentes concerne la difficulté pour le consommateur de trouver des repères à table face à des vins qui ne mentionnent plus le cépage. Burlenberg, Engelgarten, Grasberg, Burg, Rotenberg, Gruenspiel, Huebuhl, Schoffweg… des noms de lieux-dits autour de Bergheim, utilisés par d’autres domaines qui y cultivent riesling, pinot gris, pinot noir, ou gewurztraminer. Jean-Michel Deiss a pris le parti de faire ressortir l’expression du terroir en complantant différents cépages. (Le détail des cépages complantés et des terroirs est décrit derrière ce lien). Une récente dégustation au domaine  Marcel Deiss a fait ressortir des caractéristiques propres à chacun de ces vins, sans que les cépages ne soient ni identifiables ni prédominants. Les variations de terroirs se montrent par des différences d’acidité, de structure, de maturité. Ces variations sont expliquées par des différences de sol, d’exposition et de climat qui changent radicalement l’expression des vins, à l’instar des Grands Crus d’Alsace censés exprimer une typicité forte.


Comment allaient se comporter ces vins à table ? Nous avons fait un premier dîner de préparation en mars, ou les vins ont été goûtés sur une sélection de plats recommandés par le domaine. Puis les recettes ont été affinées, en particulier les accompagnements ont été modifiés pour mieux coller aux vins. Ensuite, la grande inconnue était la réaction des  participants face à des vins sans référence au cépage, avec des accords qu’il faut chercher sans pouvoir être conditionné avec des présupposés (ex acidité du riesling avec le poisson).


La notion d’accords mets et vins est un exercice de renforcement mutuel, et trouver l’équilibre entre arômes et saveurs d’un pat et d’un vin peut se faire de plusieurs manières. Si l’un des deux domine, il n’y a pas de dissonance et on peut dire que l’association fonctionne, mais ni le vin ni le plat ne sont mi en valeur. D’autres associations sont neutres, c’est-à-dire que le pat et le vin pris ensemble en bouche s’expriment sans fausse note mais chacun de leur coté. Cela reste plaisant mais pas enthousiasmant. L’idéal est de trouver une association avec un vin qui va réveiller des saveurs du plat, tout en étant mis en avant  et transformé par le plat. Le vin étant riche en saveurs et arômes, il va souvent falloir associer plusieurs ingrédients pour canaliser certains aspects d’un vin et permettre d’en mettre d’autres en avant. La richesse et la minéralité en bouche des vins dégustés constituent un atout pour s’essayer à ces accords.


Mise en bouche


La mise en bouche permet à chacun de se mettre dans le contexte des vins du domaine. Un pinot blanc riche et pur qui s’apprécie surtout pour sa concentration et son équilibre en bouche. Certains apprécient la structure du vin, d’autres le trouvent un peu plus lourd. Le reste du repas va être marqué par les discussions entre les participants plus attentifs aux arômes du nez, et ceux qui portent une attention plu détaillée aux saveurs, à la minéralité et à l’équilibre en bouche.


Pinot Blanc Bergheim 2003 – Marcel Deiss : la robe est jaune doré avec des reflets orangés. Le nez est ouvert, d’intensité moyenne, sur des notes de fleurs séchées et de noisette. La bouche est grasse en attaque, concentrée et de bonne pureté avec une acidité présente, évoluant sur un équilibre plus gras avec des notes vanillées en finale. Très Bien


Salade de Canard aux Mangues


Servi tiède avec une salade de cressonnette, le Burg va se plaire, la texture du canard se liant bien avec la minéralité du vin pendant que la mangue s’occupe de neutraliser la richesse et le coté exotique des arômes du vin. La cressonnette joue en revanche les trouble-fête et apporte une touche végétale qui part en complète dissonance avec le vin. Bu sur le plat, le vin se montre plus épicé qu’en dégustation simple, avec un joli toucher de bouche. Vu l’accord réalisé avec un plat d’une telle richesse, cela confirme la grande concentration du vin.


Burg 2002 – Marcel Deiss : Le premier nez est fruité, mûr et de bonne intensité, avec des arômes de pêche et d’abricot, évoluant sur des notes de fruits exotiques et de pain grillé. L’attaque en bouche est franche, puis le vin se montre concentré, avec du gras et un léger moelleux. La finale est longue avec une bonne salinité sur la langue. Très Bien


Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-2 Bof-0 Beurk-0
Les avis sont presque unanimes sur la structure et la richesse de ce vin.


Huître en gelée, Sauce aux herbes


Le deuxième plat est délicat, une huître aux saveurs iodées et une gelée pour apporter du gras, le tout rehaussé par une sauce aux herbes. L’Engelgarten aime bien la gelée et les herbes, et s’associe moyennement avec l’huître en tant que tel, sans créer de dissonance. Le Rotenberg est très mûr et ne passe pas tellement bien avec la gelée, mais réalise un bel accord avec la chaire de l’huître dont le caractère iodé ne lui fait pas peur. Un terrine de poisson en gelée aux herbes serait certainement un compagnon idéal pour l’Engelgarten, et une huître chaude serait probablement un plat encore plus plaisant sur le Rotenberg.


Engelgarten 2001 – Marcel Deiss : Le premier nez est ouvert, fruité avec des notes de pain grillé, évoluant sur des arômes plus complexes de citron et silex. L’attaque en bouche est fine, puis l’équilibre se fait gras et acidulé avec des notes d’écorce d’agrumes, et une forte salinité sur la langue. Un vin minéral, puissant et assez vif, d’une grande complexité. Excellent


Avis du Groupe : Excellent-1 Très Bien-3 Bien-3 Bof-0 Beurk-0
La dominante de riesling dans l’équilibre facilite la compréhension de ce vin. Pourtant je suis le seul à le noter « Excellent », est-ce son excès de minéralité qui le rend moins consensuel ?


Rotenberg 2002 – Marcel Deiss : Le premier nez est marqué par une pointe d’acidité volatile, évoluant à l’aération sur des arômes de fruits à chaire blanche et des notes iodées. La bouche est grasse en attaque, puis plus vive avec une acidité riche et une forte minéralité, dans un style puissant légèrement marqué par l’alcool en finale. Un vin très minéral, concentré et encore discret au nez, à garder. Très Bien


Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-2 Bof-0 Beurk-0 : un vin difficile à comprendre par sa discrétion au nez et sa complexité en bouche. La richesse et l’absence de repère variétal rendent ce vin


Ris de Veau au Wasabi


Le ris de veau légèrement grillé est servi avec une pointe de wasabi qui va se révéler très concentrée et difficile à doser. Le Gruenspiel va être réveillé et amplifié par le wasabi, tout en s’associant au gras du ris de veau pour laisser apparaître une forte minéralité. La tension du plat et la vivacité du vin font bon ménage, à condition de bien doser le wasabi. Une légère pointe de couteau suffit largement, sinon le plat domine trop le vin. En diluant le wasabi dans une pâte ou une crème il devrait être possible de faciliter son dosage. Le Schoffweg ne s’exprimera pas bien sur le plat en comparaison avec le Gruenspiel. 


Gruenspiel 2001 – Marcel Deiss : Le nez est complexe, dévoilant par paliers des notes minérales et fumées derrière des arômes de fruits mûrs. L’attaque en bouche est franche, puis le vin est très harmonieux, concentrée, gras et soutenu par une acidité fine bien intégrée. La fin de bouche est longue sur des notes fruitées, avec une fraîcheur persistante. Très Bien


Avis du Groupe : Excellent-1 Très Bien-6 Bien-0 Bof-0 Beurk-0
Un vin très consensuel, peut-être encore un peu jeune pour donner toute sa mesure. 


Schoffweg 2002 – Marcel Deiss : Le nez est ouvert mais légèrement étrange avec des arômes de coing et de beurre qui évoluent sur des notes de caramel salé et de cire qui font penser à une légère oxydation. La bouche est grasse en attaque, puis riche avec une acidité qui semble dissociée, évoluant sur des notes boisées. L’équilibre magique de ce vin goûté deux jours auparavant ne se retrouve pas dans cette bouteille qui semble avoir un problème. Un vin à regoûter. Bien


Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-0 Bien-2 Bof-2 Beurk-3
Dans le contexte des autres flacons de la soirée, ce flacon est moins bien apprécié, voire considéré comme oxydé.


Gratin de langoustine, Sandre au jus de cresson


Deux plats en une assiette, idéal pour tester la cohérence entre un plat et un vin. Pou qu’un accord soit identifié comme tel, il faut que le vin choisi passe mais accessoirement qu’un autre vin ne passe pas. Le Grasberg s’accorde bien avec la chaire du sandre, mais le jus de cresson le domaine trop et lui fait perdre de sa présence. Le Huebuhl arrive à dominer ce jus de cresson, mais de manière dissonante et rend le poisson fade. Le Grasberg est un peu trop pointu pour aller avec le gratin. A l’inverse, le coté surmuri du Huebuhl est parfait avec le gratin de langoustine. Le coté crémé et brûlé du gratin met en valeur la richesse du vin, et la langoustine apporte une touche minérale qui vient mettre en valeur la minéralité du vin. Ce sera l’accord de la soirée.


Grasberg 2002 – Marcel Deiss : La robe prend une teint jaune dorée, qui tranche avec les vins précédents. Le nez est parfumé, net avec des arômes d’agrumes et de fleurs blanches. La bouche est franche en attaque, puis plus grasse et légèrement moelleuse, avec une grande concentration et une minéralité très puissante qui apparaît progressivement. La finale est portée par cette minéralité avec des arômes de zeste d’agrumes très persistants. Un vin complet, déjà extraordinaire dans sa prime jeunesse. Excellent.


Avis du Groupe : Excellent-1 Très Bien-5 Bien-1 Bof-0 Beurk-0 


Huebuhl 2000 – Marcel Deiss : La robe est intense, jaune doré de nuance vieil or avec des reflets ambres. Le nez est très parfumé, complexe avec des arômes de pralin et de fruits confits mêlés à des notes toastées. La bouche est moelleuse en attaque, puis riche et finement acidulée avec une grosse matière qui frôle la surmaturité sans jamais paraître moelleuse, donnant un équilibre très droit d’une longueur redoutable. Le vin le plus singulier de la soirée étonne car c’est le plus constant de tous. Excellent


Avis du Groupe : Excellent-4 Très Bien-2 Bien-1 Bof-0 Beurk-0
C’est le vin le plus apprécié de la soirée, ce qui est étonnant car je pensais qu’il serait difficile à approcher. Le plat l’a beaucoup mis en valeur.


Volaille façon Taverne Alsacienne


La volaille est servie avec une sauce aigre-douce aux épices de tandoori et au citron, mélangée avec de l’ananas. Devant un tel déchaînement d’épices, l’Altenberg est neutralisé et ne s’exprime pratiquement que par sa texture. L’association est une sorte de choc des titans qui ne savent pas encore bien danser. En mettant un peu moins de sauce, la richesse en sucre du vin ressort et déséquilibre le plat. Peut-être qu’une volaille laquée aux épices aurait permis un accord plus intense valorisant le plat et le vin.


Altenberg 2002 – Marcel Deiss : Le nez est intense, ouvert avec des arômes de fruits à chaire blanche laissant place à des notes beurrées, iodées puis toastées. La bouche est moelleuse en attaque, puis la richesse naturelle du vin est équilibrée par une acidité tendue et une minéralité qui tapisse littéralement la langue, évoluant sur un équilibre puissant et riche. L’élevage sous bois et la richesse en sucre ne sont pas encore complètement fondus, et c’est surtout la finale ample, épicée et très longue qui impressionne, avec une sensation de puissance énorme. La première bouteille avait été carafée 3 heures, la seconde servie après ouverture a montré un vin plus marqué par le sucre, au bouquet moins complexe marqué par des fruits jaunes. L’aération modifie le vin de manière très sensible à ce stade. Excellent


Avis du Groupe : Excellent-3 Très Bien-2 Bien-1 Bof-1 Beurk-0
Le vin a été très apprécié par la majorité, mais sa richesse en sucre et en alcool déroute certains participants.


Munster Blanc à la Confiture de Mirabelles


Jeune Munster d’une blancheur immaculée, le fromage est frais et n’a pas la marque des Munster plus … fruités. La confiture de mirabelle bio vient de Bergheim, un clin d’œil bienvenu. Ce plat plus simple va magnifier l’Altenberg, la confiture et la texture du fromage venant se fondre dan la richesse du vin, et la texture du fromage allongeant la persistance gustative en amplifiant les notes fruitées du vin.


 


Voilà une soirée très enrichissante qui a beaucoup réfléchir les participants. Si j’ai détaillé les appréciations données par le groupe sur les vins, je n’ai pas indiqué dans le détail la perception des accords, qui est plus difficile à décrire par une seule note, tant les commentaires sont variés. Je retiens quand même trois conclusions principales de ce dîner.


Premièrement, on retrouve dans les commentaires sur les accords et les vins la distinction entre les participants. Certains se concentrent sur les arômes, associant les fruits avec les notes fruitées, d’autres ayant plus tendance à se concentrer sur la richesse en sucre, en acide et sur l’équilibre en bouche. La perception des vins du domaine Deiss est du coup très variable, et les premiers crus du domaine sont probablement déroutant à goûter sans accompagnement. Il reste du travail pour faire découvrir ces vins aux amateurs et leur donner une réputation allant au-delà du succès d’estime. A quand un sommelier qui osera conseiller un « Grasberg » avec tel plat ?


Ensuite, le repas a été intense en concentration, et une telle succession de vins riches et complets a été épuisante intellectuellement. Un peu comme si nous avions fait un dîner accompagné exclusivement de Grands Crus bourguignons du domaine Leflaive ! Je crois qu’un tel dîner serait plus harmonieux en combinant des vins de cépage (secs et liquoreux) et des vins de terroir, pour créer une variété et limiter la concentration des participants à deux ou trois accords particuliers.


Enfin, le dîner et ses préparations ont souligné la grande complexité des accords mets/vins avec les terroirs alsaciens, complexité mise ici en avant par l’absence de repère variétal pour constituer une base de départ. L’Alsace dispose du plus beau potentiel de terroirs au monde, et pourtant coté accords mets/vins, la totalité des ouvrages consacrés au sujet restent sur une description basée sur le cépage. Un peu comme si un ouvrage consacré aux accords avec des vins bourguignons se contentait de conseille tantôt un chardonnay, tantôt un pinot noir… La complantation force à se concentrer sur l’équilibre et la minéralité des vins, en partant quasiment d’une feuille blanche : poisson, crustacés, viande blanche, fromage, toute la palette des essais est possible dès que le cépage n’impose plus une ligne de départ.


Thierry Meyer


 


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