L'Oenothèque Alsace

Déjeuner autour de deux trios de vin

Déjeuner entre collègues autour de deux trios de vin
10 décembre 2004

Anticipant les nombreux repas de Noël qui vont petit à petit remplir le calendrier de fin d’année, j’ai fait un rapide déjeuner avec mes collègues de bureau la semaine dernière, occasion de découvrir quelques vins à l’aveugle autour d’un menu de déjeuner. Deux trios de vins ont été servies : trois blancs liquoreux dont un gewurztraminer SGN, et trois rouges à base de cabernet sauvignon dont deux Bordeaux et un chilien. Sauront-ils retrouver le vin d’Alsace et celui du Chili dans ce test à l’aveugle ?



En entrée, terrine de foie gras de canard maison d’un des collègues, servie avec du confit de thé Earl Grey et du confit de figues, histoire d’essayer des accords avec les trois vins liquoreux. Goûtés à l’aveugle et en demi-bouteilles, il s’agit de se faire une idée des différents styles de blancs liquoreux qu’on trouve en France.


Le Bonnezeaux 1996 du Château de Fesles possède la couleur la plus intense, avec des nuances vieil or tirant sur l’ambre. Le nez est très parfumé, avec des notes de pâte de coing et de miel. La bouche est finement acidulée, ce qui rend la liqueur très digeste. L’impression de netteté est grande pour ce vin qui atteint doucement son équilibre. Je me demande toutefois si cette robe n’est pas un signe d’oxydation rapide, et si la bouteille n’est pas légèrement abîmée. A la lecture de mes archives j’ai vu que le même vin bu il y a 3 ans était beaucoup plus clair, et possédait plus de botrytis au nez et en bouche.


Le deuxième vin, possède la robe a plus claire. Le Gewurztraminer Grand Cru Mambourg Sélection de Grains Nobles « S » 1998 de Marc Tempé possède un nez très parfumé, surmaturé avec du miel et du pralin, le tout entouré par des notes boisées assez présente. Certains pensent reconnaître un sauternes, mais le bois est trompeur et il faut effectivement beaucoup aérer le vin pour que les notes variétales de rose apparaissent. La bouche est onctueuse, très liquoreuse, avec une acidité un peu en retrait, le bois neuf jouant le rôle de charpente. C’est la 8e bouteille de cette cuvée que je déguste en 3 ans, le bois semble se fondre un peu mais reste encore un peu présent. Il faut attendre, mais c’est dur de ne pas ouvrir une bouteille 🙂


Le dernier vin est initialement un peu fermé au nez. Le Sauternes Château Lafaurie-Peyraguet 1990 s’ouvre ensuite progressivement avec des notes d’abricot sec, de pêche, de miel, le tout dans un boisé encore assez présent, avec des notes d’évolution. Il faut juste beaucoup aérer le vin dans le verre car l’acidité volatile est initialement élevée. La bouche est liquoreuse à souhait avec ce qu’il faut d’acidité, mais l’âge lui donne une certaine élégance qui le rendent très digeste. Il s’agit aussi d’une des dernières bouteilles issues d’une caisse de 24 demi-bouteilles achetées à plusieurs il y a 6 ans, et le vin se fond tout doucement pour atteindre l’équilibre magique des sauternes.


On termine et rince les trois verres car le plat suivant est bientôt prêt et il faut goûter les rouges. La spécialité de la Meyer House est le chevreuil en sauce et ses spaetzlés à la muscade. La marinade était réalisée depuis l’avant-veille avec un Fitou 2003 payé 2.4 euros, qui se goûte bien et offre une belle maturité, avec des arômes de fruits rouges et noirs confiturés, même si la fin de bouche un peu végétale rappelle la gamme dans laquelle on se trouve.


L’idée originale était de goûter à l’aveugle deux Pauillacs 1996, mais comme nous avons 3 verres, j’ai rajouté un pirate sous la forme d’un cabernet chilien. Histoire de se rendre compte de la nature des écarts entre Bordeaux et le Chili. Première surprise, les trois vins ont une robe quasiment similaire. Rouge foncé/Noir, avec des bords rouge clair, un peu de dépôt en suspension, et de belles larmes sur les parois du verre. L’exercice va être plus difficile que prévu. En dégustation, le Cabernet Sauvignon Private Reserve « Don Melchor » 1995  de Concha Y Toro offre un nez minéral, légèrement boisé, avec des notes de poivron rouge et de fumée. La bouche est dense et sèche, avec des arômes de petits fruits rouges qui se développent à l’aération. Le nez du deuxième vin est plus discret. Le Pauillac Les Forts de Latour 1996 se montre doux avec des légères notes d’encre. La bouche est en revanche un poil plus fine que le précédent, avec un fondu remarquable. Le troisième vin est plus exubérant au nez. Le nez du Pauillac Grand Puy Lacoste 1996 se montre très parfumé, avec des notes de mine de crayon, de champignon, et des petites notes réduites qui disparaissent à l’agitation. La bouche est souple mais un peu plus corsée que le Forts de Latour, avec moins d’équilibre.


Les trois bouteilles ont été ouvertes le matin même, et une première rapide dégustation (avant d’aller au boulot) a permis de vider le goulot pour faire apparaître un disque plus grand au niveau de l’épaule de la bouteille. La dégustation à l’aveugle de ces trois flacons surprend un peu. Je pensais voir une nette séparation 2+1, le vin chilien se démarquant nettement des ressemblances entre les deux Pauillac. Comparer deux vins est difficile, car les différences constatées ne sont pas forcément imputables au terroir ou au pays. Ici, le Chilien et le Forts de Latour ont des nez assez proches, alors que les deux Pauillac retrouvent une similitude en bouche. On hésite, on se lance, et finalement on découvre les bouteilles. Le premier examen des trois vins n’a pas permis de repérer de manière certaine le vin Chilien. Le chevreuil et sa sauce parfumée vont permettre aux vins de s’aérer et de prendre leurs marques. Avec le temps, on découvre ainsi que les notes boisées du vin Chilien sont un peu plus toastées que celles des Pauillac,  on voit apparaître des fruits rouges dans le Grand Puy Lacoste. Mais surtout, le style Latour explose littéralement dans le Forts de Latour 96, avec cet équilibre magique qui transcende les deux autres vins. Latour n’est pas le plus pétaradant, mais verre après verre, il creuse l’écart à l’applaudimètre. A maturité maintenant, c’est vraiment un mini-Latour qu’on a en bouche. Petit à petit donc, chaque vin se singularise, mais notre expérience va dans le sens des messages de ceux qui disent que les vins du nouveau monde se rapprochent de plus en plus de l’équilibre qui a fait le succès des vins de Bordeaux : minéralité, sapidité, et bon équilibre à table.


Avant le dessert, on goûte quelques fromages bleus (bleu d’Auvergne, gorgonzola, roquefort), histoire de vérifier que les blancs liquoreux et botrytisés passent mieux que les rouges. Si la puissance du gorgonzola s’associe plutôt bien avec l’acidité du Bonnezeaux, et si le bleu d’Auvergne supporte très bien le moelleux et les arômes du gewurztraminer, c’est sans conteste le botrytis du Sauternes qui passe le mieux avec le roquefort, l’accord champignon/champignon étant tout simplement remarquable. La fin acidité et le sucre du Sauternes s’accorde en outre avec le coté salé du fromage, ce qui crée un bel équilibre de textures pas du tout lourd.


Belle dégustation donc, chacun a pu se faire son idée sur ses goûts. Et maintenant, retour au boulot 🙂


Thierry Meyer