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The Emperor of Wine – Elin McCoy

Elin McCoy – The Emperor of Wine : The rise of Robert M. Parker , Jr. and the Reign of American taste
8 août 2005

Le film Mondovino a créé beaucoup de débats souvent stériles entre personnes qui ne voyaient dans le film qu’une confirmation de leurs propres convictions. Ces personnes cherchaient à s’en servir comme argument pour convaincre d’autres personnes, qui elles aussi utilisaient le film pour justifier des arguments contraires.  L’auberge espagnole du vin en quelque sorte. Le second degré des discussions a aussi consisté à commenter les commentaires, critiquer les critiques du film, avant que d’autres ne critiquent ces critiques à leur tour. Le livre d’Elin McCoy semble présenter des similitudes, au vu des discussions suscitées en Angleterre et aux Etats-Unis au fil des différentes revues publiées dans la presse.

Le livre retrace la vie de dégustateur de Robert Parker, le démarrage puis le développement de l’aventure du Wine Advocate, et termine sur les événements récents de 2003-2004 (guerre en Irak, chute du marché bordelais après le millésime 2000 etc ).

Certaines personnes cherchent à savoir si Robert Parker dit la vérité, s’il connaît vraiment la qualité des vins de manière précise, renforçant l’idée de l’existence d’une telle échelle. Ils trouveront dans le livre des arguments, des anecdotes et plein d’exemples qui alimenteront leurs discours, dan un sens ou dans l’autre. Certaines anecdotes d’épisodes avec d’autres personnes sont parfois infirmées par l’une des parties, ce qui montre le caractère assez inutile sauf pour ceux qui aiment le coté people de Parker.

D’autres cherchent à savoir si Robert Parker est aimable. Elles trouveront également des descriptions, anecdotes et autres histoires plus ou moins discutables pour se faire une idée du caractère de l’homme. Personnellement je m’en fiche, je ne partage pas son quotidien.

Personnellement, je me suis plutôt intéressé au Wine Advocate et à son histoire. Aux conditions qui se sont rassemblées un jour pour permettre l’émergence de la prééminence des notes de Robert Parker. La partie historique du livre raconte très bien à mon avis comment les choses n’étaient pas gagnées d’avance, qu’il y avait une pléthore de critiques de vin sur la place et que le succès du Wine Advocate est du à un concours de circonstances :

  • L’essor du marché américain, culturellement intéressé par une vision « tout ou rien » de la qualité, et friande de notes chiffrées
  • La nouveauté d’un critique de vin qui cherchait à éviter tout conflit d’intérêt avec le commerce ou la production de vin, à une époque où les droits des consommateurs étaient souvent mis en avant
  • L’apparition du millésime 1982, à la qualité parfaitement corrélée avec les analyses de Parker
  • Le développement à la fin des années 90 d’une clientèle fortunées dans le monde (Internet aidant), avide de posséder des vins spéculatifs.

La mayonnaise a pris, peut-être que si Robert Parker avait démarré dix ans plus tôt, il aurait connu un succès beaucoup plus mitigé.

L’idée de l’existence d’une échelle universelle pour classer la qualité des vins du monde est discutable, mais illusion ou pas illusion le besoin d’une telle échelle est réellement important dans le monde du vin. Robert Parker est probablement la personne la plus à même de répondre à ce besoin, et si son système de notation sur 100 points est facilement critiquable à l’aide de nombreux exemples, il n’en reste pas moins la meilleure mise en œuvre d’un tel classement de par son intégrité.

Contrairement à ce que le titre suggère, il y a peu de pages consacrées au « règne du goût américain ». En France on croit souvent que Parker, élevé aux vins Californiens, encourageait les bordelais à produire de la confiture. C’est ici plutôt le contraire qui est décrit, Parker encourageant les californiens à arrêter de vouloir faire des vins à la bordelaises en se concentrant sur un style propre au climat chaud de la Californie.

La fin du livre est un peu courte à mon avis. Si Parker est associé fortement au boom des vins spéculatifs entre 1996 et 2001, le monde a changé depuis :

  • Le crash de la bulle Internet et la chute des prix en 2002 change a dynamique du marché
  • Internet apporte une nouvelle manière de faire circuler de l’information, en particulier une vision collectiviste bidirectionnelle impossible à atteindre sans le Web
  • La consommation mondiale continue de progresser sur des niveaux de qualité différents que par le passé, ce qui modifie les besoins et secoue de nombreux vignobles

Sans oublier que Robert Parker va doucement sur ses 60 ans… A quoi ressemblera le monde du vin dans 10-15 ans ? Le livre ne donne pas beaucoup d’analyses ou de commentaires de Robert Parker lui-même.

Par-delà les discussions sur le thème pour ou contre Parker, sur son caractère, sur ses qualités de dégustateurs et sur ses goûts, c’est à mon avis un livre important et passionnant qui aide à comprendre la mécanique qui fait qu’une industrie complète se met à s’emballer en suivant de trop près les dires d‘une seule personne.

Le livre est en anglais, espérons qu’une traduction en français sorte prochainement.

Thierry Meyer