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Notation des vins : la prime au sucre ?

La sortie annuelle des guides de vins a fait réapparaître la traditionnelle question des notes élevées accordées aux vins d’Alsace les plus moelleux. A écouter les vignerons et amateurs de vin d’Alsace, le sucre résiduel dans les vins d’Alsace suffirait à flatter le palais des dégustateurs et à provoquer une ascension irrésistible des notes. La question est peut-être plus complexe qu’il n’y parait…

Sucraillon ou raide, deux visions d’un vin déséquilibré

L’équilibre d’un vin blanc d’Alsace est une moyenne pondérée entre la maturité, l’acidité, le sucre résiduel et la concentration. Que l’un des facteurs soit extrême et cela procure une sensation de déséquilibre qui amène forcément un note moyenne. Parmi les vins d’entrée de gamme, un vin excessivement sucré, surtout s’il est dilué, sera tout aussi déséquilibré qu’un vin manquant de maturité. Néanmoins, le premier sera peut-être plus facile à boire, avaler et digérer que le second. Si certains vins verts peuvent trouver des amateurs, les vins sucraillons font généralement plus l’unanimité dans la catégorie des vins médiocres, surtout lorsqu’ils sont dégustés bien frais dès la sortie du bus chez un vigneron un après midi d’été caniculaire. Il y a donc une petite prime à l’excès de sucre sur l’excès d’acide malique, mais dans les deux cas on reste sur des vins notés très moyennement dans la majorité des guides, voire pas présents du tout.

Vendanges Tardives et Sélections de Grains Nobles, des vins d’exception lorsqu’ils sont de qualité

Les guides 2008 accordent des notes parfois proches de la perfection à de nombreux vins portant les mentions VT (Vendange Tardive) ou SGN (Sélection de Grains Nobles). Ces mentions ne sont pas des AOC en tant que telles, elles s’appliquent portent sur des vins d’AOC Alsace ou des AOC Alsace Grand Cru. Si la préférence pour un vin sec ou moelleux est subjective, la question est de savoir si ces vins sont intrinsèquement de meilleure qualité. Plusieurs arguments plaident en faveur de cette affirmation :
– Les vins de mention VT ou SGN ne sont pas systématiquement produits chaque année,
– Il s’agit de sélections issues soit de tri dans les parcelles, soit de parcelles spécifiques, souvent produites en quantité très réduites (parfois quelque centaines de demi-bouteille seulement)
– Les mentions VT et SGN son accordées chaque année cuvée par cuvée, après dégustation systématique contrairement aux AOC qui sont accordées sur base d’un échantillonnage de la gamme d’un producteur. Le repli est également possible de SGN vers VT et de VT vers rien : se faire recaler en mention VT est donc moins pénalisant que de se faire recaler en AOC.
– Les meilleures cuvées proviennent souvent de parcelles de vieilles vignes, situées sur de beaux terroirs voire des grands crus pas toujours revendiqués.
– La production étant réduite et les récoltes tardives ayant parfois (mais pas toujours) lieu tardivement, l’attention portée est plus forte, de la récolte à la fermentation en passant par le transport et le pressurage.
Les grandes années, les meilleurs domaines produisent des VT et SGN d’anthologie qui rivalisent souvent dans la pureté, la précision et la profondeur avec les meilleurs vins moelleux et liquoreux du monde. Ceci est d’autant plus facile à faire que le nombre de bouteilles produit est réduit. Rappelons tout de même qu’un producteur de Sauternes produit parfois plus que 50 000 bouteilles chaque année, des chiffres bien au-delà de la plupart du volume des cuvées moelleuses alsaciennes.

Il n’en reste pas moins que la déferlante VT/SGN a envahi la région depuis le millésime 1997, et que certains producteurs jouent la carte du volume maximal à prix minimal, produisant des vins doux sans grand intérêt, juste apte à satisfaire le consommateur qui cherche l’épate de la mention en buvant un verre de « VéTé » ou de « EsseGéHène » servie bien fraîche avec des bretzels à l’apéritif. Des SGN légères produites coûte que coûte, avec un botrytis parfois douteux, se retrouvent moins concentrée que de grandes VT. Si les VT et SGN produisent le meilleur, la forte augmentation et la constance d’une année à l’autre depuis dix ans des volumes s’est fait au détriment de la qualité. Plus que jamais, pour les VT/SGN comme pour le vin en général, il est important de boire moins mais mieux. Les VT/SGN particulièrement bien notées dans les guides les plus sérieux reflètent les écarts de qualité et identifient les produits réellement exceptionnels, à consommer avec modération, une bouteille étant suffisante pour  satisfaire 15 personnes.

A la recherche du grand blanc sec

Si les grands vins moelleux et liquoreux obtiennent des notes superlatives, qu’en est-il des grands blancs secs ? Il y a effectivement moins de vins secs aux notes très élevées dans les guides. Certains Grands Crus de Riesling ou de Gewurztraminer atteignent des sommets, en particulier dans un millésime comme 2005, mais le tri ou la sélection de parcelle est moins systématique que pour les vins moelleux. Pourtant, les efforts paient : les sélections donnent de superbes résultats, comme le démontrent certaines cuvées parcellaires d’exception: Riesling Grand Cru Pfingstberg « Paradis » de François Schmitt, Riesling Clos Schild de Lucien Albrecht, tous les deux à Orschwihr, Riesling Grand Cru Kessler « Heisse Wanne » de Dirler-Cadé. Sans oublier les stars de réputation mondiale comme le Riesling Grand Cru Schlossberg Cuvée Sainte Catherine du Domaine Weinbach, le Riesling Grand Cru Muenchberg d’André Ostertag, le Riesling Grand Cru Geisberg de François Kientzler ou le Riesling Clos Sainte Hune de Trimbach…  Derrière ces bouteilles se cachent de grands terroirs, à l‘image des grands vins blancs des autres régions de France. Pourtant, trop peu de cuvées arrivent au niveau des meilleures cuvées de blanc du monde. Des efforts restent encore à faire pour faire accéder plus de vins d’Alsace au cercle fermé des « très grands blancs », en particulier avec des cépages autres que le Riesling.

Pour le Guide Bettane&Desseauve

Les notes accordées aux vins d’Alsace dans le nouveau Guide Bettane&Desseauve essayent de refléter les différentes remarques faites précédemment, avec un effort sur la notation juste des vins moelleux et liquoreux. Il faut souligner que les millésime 2001, 2002, et surtout 2005 ont produit des cuvées au botrytis de grande qualité, et que quelques terroirs ont produit de grands vins en 2004 (Soultzmatt, Rouffach, Kaysersberg, Ribeauvillé par exemple).
Quelques vins d’anthologie méritent d’être notés à leur juste niveau, car ce sont des produits d’exception qui ne se reproduiront pas tous les ans. Les VT 2005 du Clos Windsbuhl chez Zind-Humbrecht, le Riesling Schlossberg SGN 2004 du Domaine Weinbach, le Muscat Clos Saint Landelin VT 2004 de René Muré, mais aussi les SGN 2000 et 2001 de Trimbach, Kientzler ou Hugel et de nombreuses SGN 2005 sont des vins d’anthologie à prendre comme des produits exceptionnels, produits en petite quantité dans un millésime exceptionnel.
Enfin, tous les vins dégustés et bien notés n’ont pas pu être décrits dans le guide, par manque de place. S’il avait fallu ne conserver que les vins les mieux notés, la proportion de petites cuvées prestigieuses (dont des VT/SGN) aurait probablement rempli tout l’espace, avec le risque de ne commenter que 1% de la production d’un domaine qui propose d’autres vins  de disponibilité plus grande. Dans de nombreux cas, seules quelques cuvées de VT/SGN ont été retenues, pour laisser de la place à d’autres vins dignes d’intérêt pour le lecteur/acheteur.

Thierry Meyer