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Grands Crus en débat – premiers constats

Le débat sur les grands crus d'Alsace fait rage, et j'ai été jusque là un observateur très attentif, confrontant les arguments développés ici et là avec ce que je dégustais de jeune et de moins jeune en Alsace. A l'heure de donner un point de vue argumenté, la première étape est de regarder ce qui se passe en Alsace et ailleurs. L'article lu sur le site web de Decanter illustre bien un des problèmes de la notoriété des grands crus alsaciens …

Extraits de l'article publié sur http://www.decanter.com/recommendations/subrecommendation.php?rid=605&sid=1804

  • Domaines Schlumberger, Riesling Grand Cru Saering 2007: This is true Riesling, a wine in waiting. Needs two years at least before it will begin to show its potential. Drink from 2012. (6.2g/l residual sugar)
  • Domaine Zind Humbrecht, Riesling Grand Cru Brand 2007 : Wow! Very complex and ripe mango and apricot. Well integrated sugar, very complex and long on the palate. Masses of extract. Drink from 2009. (9g/l residual sugar)
  • Zinck, Riesling Grand Cru Eichberg 2007 : Lean and tight. Big and powerful. Very perfumed with spicy notes, rather like a touch of Gewürztraminer, but it's still pure and characterful. Great élan and style. Drink from 2010. (3.1g/l residual sugar)

Nul doute qu’avec de tels qualificatifs (« true riesling, well integrated sugar, like a touch of Gewürztraminer ») les grands crus alsaciens en sortent grandis ! Tout se passe comme si le grand cru n’était qu’un support pour produire un riesling super-premium ! Petite remarque en passant, quant à l’idée de résumer chaque terroir classé grand cru par trois adjectifs qualificatifs, ça va être facile : chaque terroir se voudra certainement « racé, puissant et fin », pour proposerles attributes qui plaisent au lecteur. Les qualificatifs manquent visiblement pour décrire et transmettre de manière écrite les sensations de chaque terroir.

Les trois vins cités sont bien entendu excellents, mais tellement marqués par leur caractère propre que c’est dommage de ne pas les mettre en avant. Le consommateur qui lit le texte n'est pas informé d'autre chose que de la présence de "grands rieslings" . Si je peux me risquer à quelques notes plus détaillées, j'écrirais les commentaires suivants :

  • Le Saering 2007 de Schlumberger, issu d'un sol encore calcaire malgré l’érosion, mais reposant sur le socle gréseux de Guebwiller, affirme une verticalité remarquable dans l’acidité et dans la salinité, donnant un vin élégant et long, en parfaite harmonie sur des poissons de rivière, ou pour trancher dans le gras, sur un carpaccio de saint jacques au citron vert.
  • Le Brand 2007 de Zind-Humbrecht, issu des vieilles parcelles du lieu-dit Steinglitz, est parfaitement typique du secteur avec un équilibre aromatique floral et fruité et toute la puissance contenue de ce terroir granitique reposant sur un sous sol plus calcaire. Plus ample que le Saering, il conserve toutefois la finesse arômatique des vins de granit. Parfait sur des grenouilles, des escargots, des poissons de rivière en sauce, c’est un vin de gastronome facile à boire.
  • L’Eichberg 2007 de Paul Zinck, terroir délicat pour y faire mûrir régulièrement du riesling sans qu’il soit concentré par le botrytis, est plus régulier avec le gewurztraminer. Toutefois c’est là le miracle du millésime 2007 que d’arriver à produire un riesling mûr sans botrytis, donnant un vin sec à la fois profond et gras (malgré un élevage en cuve inox chez Zinck), qui conserve malgré tout des notes épicées. Un vin rare donc, à réserver aux poissons de mer (lotte, barbue, cabillaud) qui sauront équilibrer la force du vin pour créer des accords remarquables, maintenant ou dans 15 ans.

Bref, on peut y voir une interprétation personnelle des caractères de chaque cru, mais résumer ces trois vins à « selection of 3 great 2007 rieslings » doit être vraiment démoralisant pour les vignerons qui les ont produit. Tant que les grands crus se cantonneront dans leur rôle d’améliorateur de vin de cépage, au lieu de décliner d’une certaine manière un terroir particulier, personne ne fera attention au grand cru spécifique. Et au final le consommateur final ne verra rien de différent entre Riesling Grand Cru xyz, Riesling Jubilée, Riesling Comte d’Eguisheim ou Riesling Frederic-Emile pour reprendre les noms donnés aux cuvées haut de gamme chez nos trois producteurs négociants visible à l'étranger.

La faible appréhension de la complexité pedogéologique de la mosaïque des terroirs alsaciens par la presse du vin en général, et la presse anglo-saxonne en particulier, montre qu’il y a encore du travail à faire pour mettre en avant de la scène des grands vins du monde les vins issus des grands terroirs alsaciens – et les grands crus supposés les caractériser. Visiblement la perception de la presse reste ancrée sur celle du super vin de cépage. Une perception qui mettra du temps à évoluer, et qui va demander un sacré travail d’éducation. Changer la focalisation du consommateur pour que dans un Riesling Grand Cru Brand il voit d'abord un Brand et non un Riesling sera une lourde tâche.

Thierry