2 avril 2007 : depuis la fin de l’année 2006, les dégustations s’enchaînent en Alsace, Jura et Savoie, et partout la même question se pose : comment garantir la qualité du contenu d’une bouteille. Fermeture alternative (bouchon synthétique, verre, capsule à vis) ou bouchon de qualité supposée meilleure, mélange de plusieurs lots de plusieurs bouchonniers pour fermer une cuvée, chacun a sa solution. Reste que le vrai goût de liège qui pénalise quelques bouteilles n’est rien à coté du « faux goût de bouchon », altération sournoise qui perturbe jusqu’à une bouteille sur quatre…
Depuis novembre 2005, sur plus de 3500 vins dégustés les chiffres sont à peu près stables : le taux de bouteilles nettement liégeuses se situe aux alentours d’une pour trente. En goûtant vingt vins chez un producteur alsacien, on n’est donc pas certain de tomber sur une bouteille liégeuse.
En revanche, d’autres altérations dues au bouchon de liège sont souvent présentes : elles sont sournoises, car on ne détecte pas directement une odeur de liège au nez ni une texture liégeuse en bouche. L’altération se traduit par une perte d’intensité au nez, et une légère dureté en milieu ou fin de bouche. Peu perceptible sur des cuvées génériques vendangées à la machine et triturées au pressoir, cette altération casse la pureté des grands vins en coupant leur longueur en bouche et en donnant une impression de manque de netteté. A l’aveugle, un vin normalement noté 17/20 passera ainsi à 13/20 sans qu’on se rende compte qu’il s’agit d’une anomalie.
Lors des visites chez le producteur, la donne change. L’exemple le plus caractéristique rencontré à ce jour est la dégustation des vins des millésimes 2004 et 2005 chez des dizaines de producteurs alsaciens qui font des vins purs avec toutes les techniques modernes disponibles : vendange manuelle, chargement du pressoir en raisins entiers, pressurage pneumatique etc… L’effet est toujours le même. Dégustation d’un sylvaner 2005 tendre, pur et très net, suivie par un pinot blanc 2005 gras, ample et long en bouche, avant d’arriver sur un muscat ou un riesling 2005 venant du même coin, mais offrant curieusement une dureté assez forte en bouche, se traduisant parfois par une astringence marquée en finale. L’autre cas concerne la dégustation des grands crus, avec des 2004 nets, purs et très vifs qui doivent logiquement être suivis par des 2005 un peu plus murs, moins vifs en bouche et beaucoup plus gras et minéraux, et qui laissent parfois place à des vins courts et épicés. Dans ces deux exemples, lorsque le vin ne correspond pas à l’attente dans le contexte de la dégustation, il faut se poser deux questions. La vigne a-t-elle eu un problème particulier (très jeune vigne, grêle, maladie ?), ou alors le bouchon est-il responsable de cette variation ?
Les vignerons visités connaissent leurs cuvées sur le bout des doigts et dégustent généralement le vin qu’ils me servent seulement pour vérifier qu’il n’a pas de défaut majeur. Si souvent ils sont surpris de la remarque faite sur telle cuvée que je trouve en deçà de mes espérances, dans quasiment tous les cas l’ouverture d’une deuxième bouteille confirme le défaut de la première. La deuxième bouteille est plus nette, plus pure, plus longue, et un retour sur la première bouteille amplifie encore plus ses défauts.
Dans mes dégustations ces altérations que certains appellent le « faux goût de bouchon » représentent entre une bouteille sur quinze chez les meilleurs, et une bouteille sur quatre sur les cuvées les plus variables. Il s’agit véritablement d’un « vrai faux goût de bouchon ».
Ce vrai faux goût est sournois car le consommateur qui ne connaît pas une cuvée n’a quasiment aucune chance de le détecter. Imaginons une bouteille prestigieuse offerte en cadeau ou commandée au restaurant pour un événement marquant. La bouteille se montre juste bonne, mais pas aussi mythique qu’on voudrait le croire, et c’est la notoriété du producteur qui prend un coup sans que ce dernier ne puisse faire grand-chose. Un Château Haut-Brion ou un Riesling Clos Sainte Hune légèrement altéré par un bouchon défectueux restent de très beaux vins, et il faut une sacrée dose d’audace pour suggérer au sommelier ou au caviste qu’elle puissent être défectueuses.
Deux idées sont envisageables avant que les bouchons ne fassent des progrès. La première est de demander aux sommeliers d’être très pointus lorsqu’ils goûtent les vins au restaurant, mais aussi d’être honnêtes avec leurs clients. Un grand vin qui se montre moyennement ne se sert pas, même à des clients qui semblent ne pas connaître grand-chose. La deuxième idée est d’encourager les producteurs à conserver ces bouteilles légèrement altérées, et de les faire goûter le plus possible à leurs clients pour qu’ils apprennent à avoir un regard critique sur ce qu’ils boivent, qui ne soit pas forcément critique envers le producteur. Combien de grandes bouteilles célèbres a-t-on bu qui se sont révélées décevantes ? Combien d’entre-elles étaient simplement défectueuses ?
La prise de conscience des effets d’un bouchage défectueux devrait apporter plus de doutes au dégustateur face à une bouteille moyenne. Si c’est une fatalité d’avoir de telles variations, autant prendre avec philosophie la bouteille moins grande et célébrer le moment où on tombe sur une superbe bouteille (les anglo-saxons utilisent l’adjectif « pristine » beaucoup plus expressif).
Est-ce pour autant la fin du liège ? Les solutions alternatives ne sont pas encore la panacée. Capsule à vis, bouchon en verre ou bouchon synthétique contiennent une part de matériau plus ou moins poreuse à l’air, qui facilite les échanges à des doses parfois différentes du liège. Le caractère réducteur ou oxydatif d’un vin au moment de sa mise en bouteille ne se gère donc pas de la même manière en fonction de la fermeture utilisée, et tirer une même cuve sur plusieurs types de bouchons le même jour ne donne pas toujours des résultats parfaits dans tous les cas.
Ce qui est rassurant, c’est que les vignerons expérimentent, goûtent, testent différentes techniques depuis plusieurs années. Et que le problème finira par disparaître.
Thierry Meyer