L'Oenothèque Alsace

Le Zotzenberg sauvé par le Sylvaner

L’arrivée de la récolte 2005 en bouteille marque le début des nouvelles règles d’encépagement sur le Grand Cru Zotzenberg à Mittelbergheim, avec pour la première fois l’apparition du sylvaner comme cépage autorisé sur un Grand Cru. Pour ou contre le sylvaner sur un grand cru, les discussions furent souvent enflammées. Pourtant, c’est à mon avis le grand cru Zotzenberg qui sort gagnant de cette nouveauté, plus que le cépage sylvaner…

Depuis un décret de 2001, la règle n’autorisant que les quatre cépages nobles à faire partie de l’AOC Alsace Grand Cru s’est assouplie et les cépages autorisés sur chaque grand cru peuvent être remplacés sur propositions des syndicats de producteurs. Les vins d’assemblage sont également permis selon des règles strictes, comme sur les grands crus Kaefferkopf et Altenberg de Bergheim.

Depuis le millésime 2005 donc, le muscat a laissé la place au sylvaner dans la liste des cépages permettant de revendiquer l’AOC Alsace Grand Cru Zotzenberg. Plutôt que d’écrire un article plein de sous-entendus difficile à déchiffrer, j’ai mis bout à bout les arguments pour et contre cette nouveauté. Le poids relatif que chacun accordera aux deux listes d’arguments lui donnera un sentiment plus ou moins favorable sur l’arrivée du Sylvaner Grand Cru.

Du coté des pessimistes

Les pessimistes commenteront négativement l’arrivée du sylvaner grand cru, avec des arguments souvent confirmés par l’expérience de la commercialisation des grands crus. Quelques rengaines souvent entendues :

  • Les Grands Crus alsaciens ne sont malheureusement souvent que des super vins de cépage, servant à valoriser les quatre cépages nobles : riesling, muscat, pinot gris et gewurztraminer. Entre les négociants qui refusent d'indiquer le grand cru et les caves coopératives qui positionnent les vins dans une échelle qualitative indépendante de toute typicité, l'intérêt pour un couple cépage/climat est marginal
  • A rendement égal, le Sylvaner Grand Cru va peiner à être vendu aussi cher que les autres cépages de l'AOC Alsace Grand Cru. Déjà que les crus secs du Zotzenberg peinent à dépasser les dix euros, avec le sylvaner ça ne va pas être une tâche facile de le vendre au même prix que le riesling voire du gewurztraminer. Financièrement mieux vaut arracher le sylvaner et planter du gewurztraminer.
  • De toutes façons, Sylvaner Grand Cru c'est un oxymore, et le Zotzenberg est un cru inconnu face aux Brand, Hengst, Kastelberg, Kirchberg de Barr, Kitterlé, Muenchberg, Pfersigberg, Rangen, Schlossberg, Schoenenbourg, Zinnkoepflé et j'en passe.  Enfin, (pour vraiment caricaturer les pessimistes qui pensent que l’appellation Grand Cru ne changera rien), dans le meilleur des cas lorsque le terroir du Zotzenberg se montre vraiment, la salinité typique du terroir est perçue comme désagréable par la majorité des gens.

Ces arguments trouvent probablement de nombreux adhérents, tout pousse à rejeter tout espoir de valoriser cette initiative.

Du coté des optimistes

Pourtant, on peut voir la situation sous un autre angle, l'angle de la nouveauté qui met an avant une nouvelle approche. Contre arguments à l'appui:

  • L'usage des grands crus comme valorisant pour les quatre cépages nobles a montré ses limites, en particulier lorsque de bons domaines produisent de meilleures cuvées en plaine que certaines maisons sur ces crus. Les super vins de cépages qu'on magnifie dans des concours de type "rieslings du monde", c'est une préférence affichée pour l'oenologie par rapport au terroir. Plus qu'une valorisation des cépages, c'est bien d'une mise en avant des terroirs qu'il faut faire, par la mise en œuvre de couples climat/cépage adaptés. Le Sylvaner Zotzenberg, c'est le cas d’exemple de la reconnaissance d'un couple harmonieux identifié par la pratique depuis plus d’un siècle.
  • Le gros problème des cinquante grands crus alsaciens est que souvent leur typicité n'est pas perceptible, à cause de pratiques oenologiques (enzymage et levurage qui marquent le goût des vins quelle que soit leur origine) ou à cause de leur manque de race différenciée. Seuls quelques crus tirent leur épingle du jeu, toujours les mêmes, avec des caractéristiques géologiques et pédologiques qui confèrent au vin un goût spécial : Rangen, Kastelberg, Kanzlerberg, Kitterlé, Muenchberg etc … Le Zotzenberg a la chance de figurer parmi les crus les plus typés, grâce à sa salinité en bouche, au même titre que le Zinnkoepflé. Cette salinité est en outre particulièrement bien mise en valeur par le Sylvaner, ce qui confirme l'intérêt du couple cépage/climat.
  • Pour se démarquer de l'approche purement qualitative qui ne tient pas compte de la typicité, le Zotzenberg a une carte à jouer, et le fait que le Sylvaner nouvellement accueilli lui donne une petite fenêtre de visibilité donne une chance d'épanouissement. La presse va effectivement s'emparer du phénomène, pendant les douze prochains mois au moins.
  • Il y a donc une réelle opportunité de faire avancer la case des terroirs alsaciens avec cette nouveauté, pour peu que les vignerons concernés jouent le jeu de la typicité et expliquent leur grand cru au lieu de jouer la carte personnelle, à l'instar de ce que j'entends à Kientzheim chaque Novembre lors de la journée de dégustation des Grands Crus. Apparemment les vignerons de Mittelbergheim ont un enthousiasme partagé à valoriser la typicité, tout semble bien parti.

 

La victoire du Zotzenberg

Personnellement, je pense que la typicité du Zotzenberg est tellement marquante qu’il aurait peut-être fallu n’autoriser QUE le Sylvaner, pour faire un grand vin de terroir sans avoir les variations de cépages. En inversant les rôles, pour signaler l’origine noble des vins issus du Zotzenberg les vignerons auraient pu faire des cuvées spéciales de riesling ou gewurztraminer avec des noms de famille. Mais cette solution aurait été plus risquée commercialement, donc difficilement négociable avec tous les vignerons.

Malgré tout, s’il y a quelque chose de sauvé, c’est donc bien le Zotzenberg. Son terroir et sa minéralité sont mis en avant de manière précise avec une attention médiatique que peu de grands crus ont eu à leur apparition. Noyés dans deux vagues en 1983 et 1993 après l’avènement du Schlossberg en 1975, les 49 autres crus n’auront pas été mis en avant avec autant de retombées.

Est-ce que le combat sera gagné lorsqu'on parlera du Sylvaner Grand Cru Zotzenberg ? Ceux qui s’engagent pour la survie du cépage sylvaner et la promotion du sylvaner de terroir doivent se rappeler que la survie ne dépend pas du nombre d'articles parus dans les journaux, ou du nombre de conseils de dégustation donnés aux autres, ni du nombre de signataires d'une éventuelle pétition. Elle dépend aussi du nombre de bouteilles vendues et bues. Il y a un risque que le Sylvaner Grand Cru Zotzenberg reste dans la catégorie des curiosités, au même titre que les cuvées confidentielles de sylvaner moelleux. La restauration a un rôle important à jouer dans ce processus d’acceptation, et il faudra trouver les plats qui face à un riesling et à un sylvaner tous deux issus du Zotzenberg, réaliseront un meilleur accord avec le sylvaner.

L’avenir dira si le Sylvaner Grand Cru Zotzenberg attire un succès autre qu'un succès d'estime, et rejoindra la liste des grands vins plutôt que la liste des curiosités qu’une minorité d’amateurs aime servir à l’aveugle à leurs amis oenophiles à l’apéritif. C'est tout le bien ce que je lui souhaite.

Thierry Meyer

 

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