Amateurs de vieux vins ou nécrophiles, le débat est toujours teinté des expériences diverses et de chacun avec les vieux millésimes. En l’absence de véritables expériences sur plusieurs centaines de bouteilles, certaines généralisations sont parfois abusives. Le meilleur test consiste à goûter le même vin dans deux bouteilles différentes, et de comparer les qualités respectives des deux flacons.
Deux demi-bouteilles de Gewurztraminer Réserve 1967 de Léon Beyer ont été dégustées le même soir en fin de repas, pur le plaisir sensuel de découvrir un vin d'âge honorable. Après une première bouteille décevante, la deuxième s’est révélée magique. Lire le compte rendu de dégustation…
La première bouteille possède un bouchon en mauvais état, un niveau 2cm sous le bouchon, mais une robe encore assez claire.
Gewurztraminer Réserve 1967 – Léon Beyer : La robe est jaune doré tirant sur l’ambre, terne avec des reflets cuivrés qui manquent d’éclat. Le nez est peu engageant, tirant sur l’humus, le carton, la feuille morte, la suie de cheminée en plus d’une note de miel et d’encaustique qui semble emprisonnée. La bouche est riche en attaque, mais fortement épicée, cartonnée et rustique avec un début d’oxydation perceptible. Touche liégeuse ou simplement oxydation prononcée due à un bouchon très mouillé, impossible de vider le verre. Beurk
Une robe bien terne
La deuxième bouteille cherchée tard dans la cave présente un niveau 1cm sous le bouchon, et un beau bouchon encore en bon état.
Gewurztraminer Réserve 1967 – Léon Beyer – deuxième bouteille : Cette fois la robe est jaune dorée avec des reflets cuivrés, mais offre une réelle brillance et un éclat monumental. Les convives admirent la carafe de loin en voyant une nette différence avec le vin précédent. Le nez se montre raffiné, délicatement âgé avec des arômes de miel, d’encaustique, d’épices douces, de pralin et de menthe sèche, avec une intensité constante qui ne faiblira pas pendant une demi-heure au moins. L’air fait du bien à ce flacon, en dévoilant par palier des couches d’arômes successives teintées de la patine du vin âgé, à la façon de la cire utilisée sur un vieux meuble. On ne se lasse pas de mettre le vin dans le verre, même si on se presse de porter le verre à la lèvre. La bouche se montre onctueuse, légèrement moelleuse en attaque avec du gras, puis compacte, riche et délicatement épicée avec une belle matière très pure. Les arômes du nez et le caractère épicé du cépage prennent rapidement le relais en accompagnant une texture veloutée très agréable, tirant jusqu’en finale la précision constatée dès l’attaque. Finesse, élégance, et une précision aromatique et gustative sans faille, voilà bien l’exemple parfait d’un vin d’Alsace de 40 ans d’âge qui se présente magnifiquement bien. Excellent
De l'éclat, de la pureté, une robe remarquable
Deux flacons, deux expériences complètement différentes. Bues par deux groupes différents, on imagine le compte rendu du premier groupe qui conclut que les demi-bouteilles ne vieillissent pas bien, que 1967 est un millésime moyen en Alsace, que le gewurztraminer doit être bu jeune. Le deuxième groupe aura une expérience bien plus positive quant au millésime et au cépage, et risque d’aller dans l’excès inverse en concluant que tous les Alsace vieillissent admirablement bien.
Les nécrophiles boiront la première bouteille en compensant leurs grimaces par des considérations historico-culturelles sur le temps qui passe. Les amateurs de vieux vins regretteront que le flacon soit mort, et passeront à autre chose. Amateur de vieux millésimes ne signifie pas amateur de vins morts ou défectueux.
Personnellement je me dis qu’il vaut mieux avoir plusieurs bouteilles d’un même vieux flacon plutôt que plusieurs flacons différents, et plus que jamais je considère l’asymétrie qualitative qui peut exister : un bon vin peut accidentellement être mauvais à cause de son bouchon, alors qu’un mauvais vin ne sera jamais accidentellement bon.
Les vieux millésimes sont une loterie dont il faut se réjouir quand on tire le bon numéro, et ne pas trop se lamenter quand la chance ne sourit pas. En tout cas, un vin oxydé, décharné et liégeux est mort, quel que soit son âge.
Les deux bouchons. Facile de les lier à chaque bouteille.
Thierry Meyer