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Chronique du 15 avril 2015 – Schoelhammer 2007, le terroir fait son coming-out chez Hugel

Plus de 40 ans après avoir refusé d’accompagner le développement de l’appellation Alsace Grand Cru, la Maison Hugel a présenté une nouvelle cuvée de riesling, originaire d’une parcelle unique située au cœur du grand cru Schoenenbourg. L’occasion de changements de stratégie importants au sein de la maison historique de Riquewihr.

Schoelhammer 2007

 

Le Schoenenbourg est un terroir situé sur un coteau haut en altitude, orienté Sud Sud-Est, au sous-sol composé principalement de marnes, incluant du gypse sur sa partie ouest. Le cru est protégé des vents du Nord mais profit de l’air frais en provenance du fond de vallée sur la partie Ouest. Le riesling y murit lentement, et le grand vin mérite d’être récolté tardivement. Si les Riesling de légende du domaine sont originaires du Schoenenbourg et se nomment Riesling Réserve Exceptionnelle 1953, 1971 ou sélection de grains nobles 1976, ce n’est pas grâce à leur sucrosité, mais parce que le niveau de maturité physiologique s’obtient généralement à une époque de l’automne où les nuits fraîches et humides favorisent le développement de la pourriture noble. Jean-Michel Deiss ne s’y est pas trompé, avec son Grand Cru Schoenenbourg, anciennement nommé « riesling grand cru Schoenenbourg sélection de grains nobles ». Malgré la différence de style, on retrouve  entre le Schoenenbourg 2007 de Marcel Deiss et le Schoelhammer 2007 de Hugel un air de famille indiscutable, dans la suavité, le gras et la densité du vin. Le même air qu’on retrouvera avec une pointe plus épicée chez Vincent Sipp au Domaine Agapé, dans son Gewurztraminer Grand Cru Schoenenbourg 2007 également très réussi. De même, quel que soit le producteur, les plus grands vins du Schoenenbourg ont toujours vendangés à très bonne maturité, même s’ils sont vinifiés secs : Schoenenbourg 1990 et 1959 de Dopff au Moulin, Schoenenbourg 1967 de Baumann ou encore Schoenenbourg 1953 de René Schmidt.

Les grands vins du Schoenenbourg sont réputés depuis des décennies pour ne pas dire des siècles, qu’ils viennent de Dopff au Moulin, Hugel, Roger Jung, Mittnacht-Klack, voir plus anciennement René Schmidt (Désormais Bott Geyl). Ce sont des vins suaves, denses, qui vieillissent parfaitement bien. Ne vous attendez pas à trouver la finesse d’acidité et le caractère élégant et aérien d’un vin de terroir granitique, ni la fine amertume d’un vin produit sur un sol de grès, encore moins la verticalité et la puissance de l’acidité d’un vin de terroir calcaire comme le Clos Windsbuhl ou le Grand Cru Rosacker voisins savent produire. Ce serait une grave erreur de jugement, et les producteurs qui cherchent à produire des Schoenenbourg à l’acidité proche d’un vin de terroir calcaire sont forcés de contrer le caractère du Schoenenbourg en récoltant trop tôt leurs raisins, privant leurs cuvées du caractère de leur origine.

Schoelhammer c’est l’expression du Schoenenbourg au travers d’un riesling récolté très mûr et vinifié sec. Une cuvée de très grande garde, à l’instar des réserves spéciales produites dans les grandes années par le domaine sur le Schoenenbourg : Jubilee 2001, 1995VT, Jubilee 1990, 1989VT, 1983VT, 1976SGN, ou encore Réserve Exceptionnelle 1971, 1964, 1962, 1961, 1953 etc…. Si les cuvées Jubilee étaient à leur optimum entre 10 et 20 ans d’âge, la dégustation récente d’un Réserve Exceptionnelle 1970 montre que bien conservés, ces vins ont un plateau de maturité extrêmement long. Le domaine a mis à jour ses informations techniques sur son site web

Derrière l’effet d’annonce d’une cuvée de parcelle unique revendiquée, bien née dans un millésime grandiose sur le terroir du Schoenenbourg, c’est un véritable coming-out de la maison dans l’univers des vins de terroir qu’il faut saluer. L’effet d’annonce peut paraître démesuré pour une cuvée disponible en faible quantité si on la compare au volume de riesling produit par la maison, mais elle traduit un changement d’état d’esprit important.

Le paradoxe de la maison Hugel depuis 40 ans était d’avoir refusé de participer à l’essor de l’appellation Alsace Grand Cru,  puis au développement de l’AOP Alsace Grand Cru Schoenenbourg, tout en maintenant une référence constante aux vignobles du Schoenenbourg et du Sporen, augmentant  même la communication sur ces terroirs au cours des dix dernières années. 

Schoelhammer revendiquera certainement l’AOC Alsace Grand Cru Schoenenbourg, mais cela nécessite une déclaration administrative préalable, donc seulement possible à partir du millésime 2015. Avec Schoelhammer, Hugel ne rentre pas dans le rang, et ne mange pas son chapeau.  Au contraire. Sommé par le blogueur Philippe Bon il y a quelques années de revenir dans le débat sur les vins de terroir et de démontrer sa connaissance au lieu de faire bande à part en refusant d’utiliser les Appellations Alsace Grand Cru, Hugel reste cohérent avec son constat d’une trop large délimitation de nombreux grands crus, incapable de produire de grands vins. Si la maison revient sur un Grand Cru, ce sera donc en mettant en avant un parcellaire particulier situé au « cœur » de ce cru, positionnement le vin en tête des plus belles expressions du terroir.

Un tel changement de mentalité de la part de la maison s’explique à mon avis par deux facteurs. D’une part, l’essor qualitatif des vins de terroirs alsaciens est clair depuis le millésime 2005, lié en partie au développement de la viticulture biologique et biodynamique en Alsace. La mise en avant par les producteurs – et les gestions locales des Grands Crus – de la salinité et du caractère propre de chaque terroir commence dix ans plus tard à voir évoluer la compréhension d’un riesling grand cru comme un vin de terroir au caractère affirmé, et non plus seulement à un riesling de qualité premium. Cela s’est traduit dans de nombreux grands crus par le mise en avant de parcellaires spécifiques : Grand Cru Sommerberg « lieux-dits Dudenstein ou Eckberg » chez Boxler, Grand Cru Brand « Lieu-dit Schneckelsbourg » chez Hurst ou Zind-Humbrecht, Grand Cru Kessler « Heisse Wanne » chez Dirler. D’autres producteurs mentionnent les parcelles au cœur du cru, en milieu de coteau (Schlossberg Cuvée Sainte Catherine chez Weinbach) ou discutent des mérites respectifs de parcelles plus ou moins argileuses/calcaires/gréseuses au sein d’un même grand cru, justifiant des plantations de cépage différent ou des styles différents. Au-delà du simple effet extérieur, la Famille Hugel  a aussi profité de l’arrivée de la 13e génération  pour avoir un regard neuf sur  la gamme des vins, et la demande d’une mise en avant des terroirs est naturellement venue d’une clientèle internationale rompue  depuis longtemps à l’exercice d’observation des cartes de climats, en Bourgogne ou dans la vallée du Rhône. Ainsi la sortie du Schoelhammer démontre la vitalité d’une famille de producteur négociants qui a toujours su faire travailler ensemble plusieurs générations. C’est un véritable projet de famille qui a été discuté par trois générations, les jeunes apportant de nouvelles idées sous le contrôle bienveillant de leurs ainés. Des ainés qui gardent la barre, gardiens qu’ils sont de la solidité d’une entreprise pendant depuis 13 générations. Mais qui comprennent aussi que la nouvelle génération de producteur comprend peut-être mieux la nouvelle génération de consommateurs, 

Les vins de la maison Hugel plaisent ou déplaisent, en France ou à l’étranger, mais dans tous les cas ne laissent pas indifférent, par cette subtile combinaison de tradition et de modernité, pour une fois élevé à un rang meilleur que celui de lieu-commun de vigneron en manque d’inspiration. Lors de la présentation de Schoelhammer 2007 à Londres il y a deux jours, la famille Hugel a ouvert un magnum de Riesling Réserve Exceptionnelle 1953, histoire de faire le lien entre le passé et le présent. Combien de maisons alsaciennes peuvent démontrer une telle continuité  dans la mise en avant des grands terroirs alsaciens ?

Thierry Meyer