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Le millésime 1976 en Alsace

25 mars 2006 – Château de Kientzheim


Millésime caniculaire devenu une légende, l’année 1976 a produit des vins extraordinaires un peu à l’image de 2003. Mais ce grand millésime allait-il être de grande garde ? A l’occasion de son trentième anniversaire, grâce à la Confrérie Saint-Etienne d’Alsace, nous avons organisé une dégustation exceptionnelle de 15 vins du millésime 1976. Si le niveau de qualité fut très élevé, la dégustation a montré des niveaux variés d’évolution et de garde prévisible. Stars incontestées de la dégustation, le Muscat Brand 1976 d’Auguste Hurst et le Riesling Grand Cru Schlossberg 1976 de Paul Blanck nous ont montré ce que le millésime pouvait produire de très grand, avec une véritable bonification au vieillissement.



Le CIVA a publié en 1977 les informations suivantes sur le millésime 76 en Alsace:




  • Millésime 1976 


  • Le millésime 1976 tient ses promesses. Les premières dégustations professionnelles confirment en effet d’une façon éclatante l’exceptionnelle qualité des vins d’Alsace de la récolte 1976, qui se révèle incontestablement se situer, avec 1971, parmi les meilleurs de ces dix dernières années : les Sylvaner et Pinot Blanc se distinguent par leur typicité, les Riesling par leur race en même temps que leur plénitude, les Muscat d’Alsace par la finesse de leur bouquet, les Tokay d’Alsace par leur vigueur et leur opulence, les Gewurztraminer enfin, par leur classe et leur équilibre vraiment exceptionnels.


  • Faut-il rappeler qu’en Alsace comme d’ailleurs dans tous les autres grands vignobles de France, les vendanges avaient eu lieu cette année à une date d’une précocité hors de l’ordinaire : à partir du 20 septembre, alors qu’habituellement elles se déroulent à la mi-octobre.


  • Avec le temps chaud et ensoleillé du mois de septembre, la maturation s’était achevée dans d’excellentes conditions génératrices d’une très haute richesse mustimétrique des différents cépages.


  • Il est remarquable que la sécheresse, qui avait touché de nombreux secteurs agricoles en France cette année, n’ait pas eu de conséquences particulières sur le vignoble alsacien qui, fort heureusement avait pu bénéficier au cours de l’été de pluies d’orages qui sont l’apanage de son climat semi-continental.


  • Quantitativement, avec 880 000 hectolitres, la récolte 1976 est légèrement supérieure à la récolte 1975 (793 000 hl) et à la moyenne Alsace des ces cinq dernières  années (800 000 hl).


  • Centre d’Information du Vin d’Alsace – Colmar

Contrairement à 2003, la chaleur et la sécheresse en France ne se sont pas traduites par trop de stress hydrique sur le vignoble alsacien.


Les notes sont comme suit :


Pinot « Sélection » 1976 – François Kientzler (Ribeauvillé) : la robe est jaune citron avec des reflets dorés, brillante. Le premier nez est discret, très mûr avec des arômes d’encaustique, de noisette, évoluant sur des notes d’écorce d’agrumes. La bouche est fraîche en attaque, assez grasse, développant une bonne acidité mûre avec des arômes de fleurs séchées. La finale est moyennement longue, sèche et légèrement amère. Un beau vin pas fatigué du tout, qui a encore au moins dix ans devant lui. Très Bien


Sylvaner 1976 – Marcel Deiss (Bergheim) : La robe est jaune dorée, avec de légers reflets vieil or. Le premier nez semble âgé, avec des notes de café, de foin et de terre, évoluant sur des nuances plus végétales de menthe séchée. La bouche est franche en attaque, sèche et acidulée, un peu décharnée avec des arômes de houblon. La finale est courte et sèche. Le vin qui parait le plus vieux de la série, mais qui se boit encore assez bien. Mieux vaut ne pas le garder trop longtemps. Bien


Muscat 1976 – Raymond Berschy (Riquewihr) : la robe est jaune dorée, de nuance vieil or, très brillante. Le premier nez est complexe, frais et mentholé avec des notes de citronnelle et d’encaustique, évoluant à l’aération sur des notes de fleur blanche (muguet), de fumée et de menthe poivrée. La bouche est grasse en attaque, puis dense avec un léger moelleux, l’acidité étant discrète. La fin de bouche est longue, signant une garde supplémentaire prévisible d’une dizaine d’années. L’équilibre délicat en bouche et la fragilité des arômes à l’aération (le vin va tourner au bout d’une heure) suggère de possibles variations de bouteille pour les autres flacons. Très Bien


Muscat Brand 1976 – Auguste Hurst (Turckheim) : La robe est or blanc, avec des reflets verts, ne présentant aucun signe d’évolution. Le nez est dès le début très parfumé, très frais avec des arômes de menthe blanche et de fleur de sureau, évoluant par palier vers de notes de groseille à maquereau, de pierre à fusil et de fumée. La bouche est grasse en attaque, dense et sèche, avec une bonne structure acide. La fin de bouche est nette, longue et reprend les arômes du nez avec une intensité constante.  Voilà une cuvée superlative à cet âge, une qualité inattendue sur ce cépage et surtout une énorme stabilité pour un vin qui ne va pas bouger dans le verre durant les deux heures qui vont suivre. Un vin quasiment indestructible, promis à une très longue garde. La confrérie gagnerait à garder quelques flacons pour dans 20 ans voire plus. Excellent


Riesling 1976 – Edouard Leiber (Husseren les Châteaux) : la robe est jaune citron avec des reflets dorés, brillante. Le nez est discret et âgé, avec initialement des arômes d’humus qui évoluant vers des notes de fraise et de houblon. La bouche est sèche en attaque, assez corsée avec une acidité bien présente, évoluant avec une belle salinité sur la langue et un aspect poivré et végétal dans la courte finale. L’ensemble est équilibré mais manque un peu d’ampleur et de relief pour rejoindre les plus grands. Un vin encore bien conservé mais qui semble en sursit, à boire sans trop tarder. Bien


Riesling Grand Cru 1976 – Zind-Humbrecht (Turckheim) : La robe est jaune doré, dense et très brillante. Le premier nez est un peu poussiéreux, évoluant rapidement à l’aération sur un registre plus franc avec des arômes de citron vert, d’écorce d’agrume, de noisette et de pétrole. La bouche est vive en attaque, sèche et dense, évoluant sur une belle minéralité. La finale est courte, sèche avec des arômes d’écorce d’agrumes et d’herbe séchée. Il s’agit du premier vin produit à partir du Clos Häuserer planté en 1972, dans le bas du Grand Cru Hengst. La dénomination « Grand Cru » est une mention qualitative donnée à un vin sélectionné au domaine après dégustation. Un vin très structuré qui a déjà atteint un bon niveau de vieillissement. A boire dans les 5-10 ans. Très Bien


Riesling Mandelberg « Réserve Henny » 1976 – Domaine Preiss-Henny (Mittelwihr) : la robe est jaune doré, profonde et très lumineuse. Le nez est discret, fumé avec des notes d’encaustique et d’herbe sèche. La bouche est grasse en attaque, acidulée  et puissante, évoluant sur un équilibre gras, pierreux et minéral. La finale est grasse, beurrée et torréfiée, avec une bonne longueur. On sent un vin ample et riche dans lequel la souplesse habituelle du Mandelberg a en partie laissé place à une minéralité plus marquée. Un vin qui commence à vieillir au niveau des arômes mais dont la structure en bouche laisse présager une belle évolution sur les 10 ans à venir. Très Bien


Riesling Grand Cru Schlossberg 1976 – Domaine Blanck (Kientzheim): La robe est jaune pâle avec des reflets dorés. Le nez est jeune, fruité et floral (jonquille), évoluant doucement vers des arômes plus complexes de beurre, fleurs séchées, pain grillé. La bouche est franche en attaque, jeune et acidulée comme le Schlossberg sait l’être, évoluant vers un équilibre plus gras, l’acidité jouant les seconds rôles en soutenant une matière très concentrée. La structure parfaite de ce vin sec se retrouve dans la très longue finale. Le Schlossberg étant le premier grand cru défini, et le seul disponible en 1975, l’étiquette comprend donc la toute nouvelle AOC Alsace Grand Cru. Un vin qui fait honneur à son appellation, qui propose un niveau de qualité exceptionnel tout à fait comparable au Riesling Clos Sainte Hune 1976, et qui est parti pour une garde supplémentaire de 30 ans et plus. Un vrai coup de cœur. Excellent, voire plus.



Une des premières étiquettes AOC Alsace Grand Cru


Tokay d’Alsace 1976 – Josmeyer (Wintzenheim) : Le nez est très animal, n’évoluant pas favorablement à l’aération. La bouche est moelleuse en attaque, assez grasse, finement acidulée avec un joli fondu. Une bouteille en fin de vie côté aromatique, dommage pour la matière en bouche qui semble avoir supporté le vieillissement. A regoûter pour confirmer une éventuelle bouteille défectueuse, les vieux millésimes de la maison se tenant généralement très bien (1975, 1971, 1968 dégustés récemment). Bof.


Tokay d’Alsace Cuvée Spéciale 1976 – Metz Frère (Ribeauvillé): La robe est jaune dorée avec des reflets vieil or. Le nez est ouvert, avec des arômes de moka, pralin, paille humide, affichant clairement un grand âge. La bouche est grasse en attaque, mielleuse et légèrement sucrée, finissant sur une note alcoolique avec des arômes de brûlé et de fumée. Une bouteille encore bien structurée, mais sur le déclin, à boire rapidement. Bien


Tokay d’Alsace 1976 – Fernand Gresser (Andlau) : La robe est jaune doré, très profonde, avec des reflets verts. Le premier nez est discret sur des notes florales, prenant lentement un peu plus d’intensité avec des arômes de sous-bois et de fleurs séchées. La bouche est grasse en attaque, sèche et assez acidulée avant de revenir sur un équilibre plus doux avec la présence d’un peu de sucre résiduel. La finale est légèrement alcoolique avec des notes persistantes d’écorce d’agrumes. Un vin encore bien équilibré, fondu et bien structuré, qui devrait se maintenir plus d’une dizaine d’années. Très Bien


Gewurztraminer 1976 – Charles Koehly (Rodern) : Le premier nez évoque les feuilles séchées, le sous-bois, la menthe sèche, évoluant sur des arômes de champignon moisis avec un rancio qui rappelle le nez d’un vieux champagne. La bouche est maigre et très bouchonnée, avec des notes de vieux liège et de bouchon moisi. Une bouteille défectueuse. A regoûter. Non noté.


Gewurztraminer Sigillé 1976 – Cave Coopérative de Kientzheim-Kayserberg (Kientzheim) : Le ne zest parfumé, ouvert sur des notes florales et des épices. La bouche est sèche en attaque, épicée et grasse, concentrée avec arômes de chocolat et de menthe. La finale est courte, sèche avec des arômes d’épices. Un vin simple et très net qui se goûte encore bien après 30 ans. A boire dans les prochaines années. Bien


Gewurztraminer 1976 – Louis Sipp (Ribeauvillé) : La robe est jaune dorée, dense avec des reflets ambre. Le nez est très parfumé, initialement marqué par une note d’acidité volatile, évoluant sur des arômes complexes d’un bouquet de fleurs séchées. La bouche est grasse en attaque, puis très riche et un peu alcoolique avec des arômes de beurre, de noisette, de fruits jaunes et de pralin. La fin de bouche est longue, les arômes étant soutenus par l’alcool. Une belle bouteille qui a encore une dizaine d’années devant elle, à boire dès maintenant. Très Bien


Tokay Pinot Gris Vendanges Tardives 1976 – Jean-Jacques Baumann (Riquewihr) : La robe est dense, de nuance jaune citron avec des reflets dorés, très brillante. Le nez est parfumé, après une première phase marquée par de l’acidité volatile on retrouve un bouquet très mûr et riche avec des arômes de tisane de plante, de pâte d’amande et de nougat. La bouche est moelleuse en attaque, grasse et mûre, dans un style demi-sec concentré et fin, évoluant sur une belle expression du fruit avec des arômes de zeste de citron. La finale est longue et équilibrée. Un vin très dense à maturité, qui ne semble pas faiblir, et dont la netteté du bouquet promet une longue garde supplémentaire. 15 années de plus ne lui feront pas peur, ne pas se presser pour finir les bouteilles. Très Bien


Une belle dégustation émaillée de surprises et de grands moments. Les cépages à maturation tardive se montrent excellents, un peu mieux que les gewurztraminers et pinot gris qui nécessitent probablement des rendements plus faibles pour se maintenir longtemps. Une fois de plus le muscat montre son exceptionnelle capacité à bien vieillir.


Les appréciations données (Bien, Très Bien, Excellent) ne tiennent pas compte d’un éventuel hommage à des vieux vins, qui pourraient s’en sortir avec des mentions honorables. Les commentaires sont élogieux, la plupart de ces vins se montreraient tout à fait extraordinaire à table aujourd’hui, sans qu’il faille au préalable à la dégustation faire mention du caractère exceptionnel de leur âge et de leur pedigree. La passion pour les vieux millésimes n’a donc rien à voir avec une certaine attirance pour des goûts oxydés et des matières fluettes en bouche, proches de la madérisation. Bien au contraire, les exemples dégustés ce soir montrent qu’un grand vin vieillit avec grâce, et s’il prend quelques rides au coin de l’œil, ce n’est que pour donner un visage plus élégant à une belle gueule, façon Kirk Douglas ou Sean Connery.


Certains flacons ont encore de belles années devant eux, espérons que la Confrérie saura garder quelques bouteilles à l’abri des plus impatients. Et ouvrira en attendant plutôt les flacons qui arrivent en fin de plateau de maturité, de manière à donner du plaisir à de nombreux dégustateurs dans un futur proche.


Thierry Meyer


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