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Vins d’Alsace et sucre résiduel – Approche par la Dégustation

On parle beaucoup de sucre en Alsace ces derniers temps, et plus que le thème récurent de la chaptalisation, c’est surtout le sucre résiduel qui occupe les débats. Bouleversant l’équilibre traditionnel des vins d’Alsace réputés secs, le sucre résiduel semble poser problème à table, chez soi ou au restaurant. La dégustation du 13 mai dernier a permis d’aborder le thème du sucre résiduel par l’exemple, du crémant extra-brut au riesling sélection de grains nobles.



Car il y a plusieurs problèmes derrière l’idée de sucre résiduel. Le sucre résiduel est un cache misère lorsqu’il domine une matière maigre dans un vin qui cherche à épater avant de montrer toutes ses faiblesses. Ainsi un vin récolté très mûr à partir de rendements généreux donnera un vin chargé en sucre résiduel. Une autre solution consiste à chaptaliser un vin en laissant du sucre résiduel. On parle alors de surchaptalisation, phénomène d’autant plus présent dans la région que les vignerons alsaciens ne se sont pas encore mis d’accord pour limiter les quantités de sucre résiduel dans un vin chaptalisé. Un vin « sucraillon » se boit généralement très frais sans trop de difficultés dans ses jeunes années, mais devient rapidement lourd au vieillissement ou lorsque la température de service grimpe.


A coté de ce problème concernant les vins d’entrée de gamme, de l’autre coté de l’échelle qualitative le sucre résiduel pose parfois problème chez les vignerons qui produisent des vins naturels et n’interviennent pas ou peu sur la fermentation. D’une année à l’autre, lorsque la fermentation s’arrête naturellement en laissant plus ou moins de sucre résiduel, une même cuvée peut produire des vins à l’équilibre plus ou moins sec, ce qui nécessite de bien connaître chaque millésime, par exemple en signalant sur la contre-étiquette si le vin se goûte sec ou moelleux. Car il ne suffit pas de noter le taux de sucre résiduel sur la bouteille pour régler le problème. La sensation de moelleux en bouche provient du glycérol, de l’alcool et du sucre résiduel, et l’intensité de cette sensation est influencé par plusieurs facteurs complémentaires : acidité, concentration, minéralité,


Entre cache misère et vins naturels, on est donc face à deux difficultés très différentes. Dans tous les cas, la troisième voie consistant à marteler haut et fort que le domaine ne produit que des vins secs n’est pas une garantie de qualité. Le meilleur moyen de se faire une idée est de goûter différents vins pour apprécier leur équilibre.


Mise en bouche avec des boissons non alcoolisées


Avant d’aborder le vin et ses doses de sucre résiduels, nous nous sommes penchés sur les eaux minérales.


Trois eaux parfumées de la marque Volvic ont été goûtées. L’eau « Volvic Citron Gourmand » est une eau qui se goûte douce, pourtant elle affiche 55 g/l de sucre, soit le taux d’un Alsace vendange tardive. Moins chargée en sucre, la gamme « Volvic Zeste pomme citron» parait plus sèche, avec encore 26g/l de sucre. Enfin le produit « Volvic Zeste citron vert faible en sucre » ne contient que 6g/l de sucre, mais se goûte plus difficilement or certains car trop acide. Les trois produits contiennent en effet de l’acide citrique, qui atténue la sensation sucrée. Pour comparer, une eau minérale pure enrichie en sucre en poudre à hauteur de 30g/l se goûte beaucoup plus moelleuse que les trois produits ci-dessus.


Le Coca Cola est une autre boisson très chargée en sucre, puisque dosé à 105 g/l dans sa version normale. Le même taux qu’une sélection de grains nobles alsacienne ! La température de service fraîche (recommandée sur l’étiquette), la présence d’acide et le gaz carbonique atténuent cette sensation sucrée. Pour comparer les sensations, nous allons goûter du Coca Cola frais, encore désaltérant, puis du Coca Cola à température de la pièce, qui devient plus lourd, et enfin du Coca Cola à température de la pièce mais dégazé après un remuage énergétique. Ce dernier breuvage est à la limite de l’imbuvable, le sucre devenant très présent.


Trois crémants pour commencer


Après cette mise en bouche sur des boissons non alcoolisées, on reste sur les bulles avec des crémants à sucrosité décroissante. L’objectif en commençant par la cuvée demi-sec est de montrer que la sensation sucrée dépend en partie de ce qu’on a mangé ou bu auparavant. Le Crémant Demi-Sec parait doux, mais pas exagérément. Le Crémant Brut semble plus équilibré pour être bu à l’apéritif, mais laisse apparaître son dosage lorsqu’on goûte le Crémant Extra-Brut. La cuvée Brut est la plus passe-partout.


Crémant d’Alsace Demi-Sec – Wolfberger : Dosage : 35-38 g/l . Le nez est parfumé, avec des notes de miel et de bergamote. La bouche est moelleuse sans apparaître trop sucrée, avec des arômes de frangipane.  L’équilibre reste un peu lourd, un crémant à boire très frais. Bof
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-0 Bien-3 Bof-2 Beurk-1


Crémant d’Alsace Brut – Wolfberger : Dosage : 10-12 g/l : Le nez est ouvert, avec des notes de fruits à chaire blanche. La bouche est riche, avec une légère rondeur qui ne se manifeste pas trop en comparaison du crémant précédent. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-0 Bien-4 Bof-2 Beurk-0


Crémant d’Alsace Extra Brut Chardonnay – Wolfberger : Dosage : 5-6 g/l : Le nez évoque le fût, la brioche, avec des fruits secs. La bouche est florale, jeune, beurrée, très effervescente avec des fruits secs en finale. Un crémant qui se goûte sec tout en restant équilibré. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-2 Bien-3 Bof-1 Beurk-0


Deux muscats à la sucrosité différente


La paire de muscats est l’occasion de goûter deux vins à l’équilibre très différent : un vin léger avec du sucre résiduel, et un vin mûr, plus haut en alcool et sec. Le muscat Bollenberg se goûte bien, et possède même une bonne fraîcheur. Il faut passer sur le deuxième muscat et revenir sur ce vin pour se rendre compte de sa charpente sucre/acide, charpente qui n’est pas nécessaire sur le vin de Pierre Frick puisque le vin est gras et dense.


Muscat Bollenberg 2004 – Bestheim : Le premier nez est discret, floral, évoluant sur des arômes de fruits à chaire blanche à l’aération an gagnant de l’intensité. La bouche est moelleuse en attaque, mûre avec une sucrosité marquée (environ 10g/l), évoluant sur un équilibre souple et fruité. La finale est ronde, très mûre et courte. A boire avec plaisir à l’apéritif. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-0 Bien-3 Bof-2 Beurk-1


Muscat 2004 – Pierre Frick : Ottonel. Le premier nez est net et de bonne intensité, fruité avec de la pêche, dans un registre simple. La bouche est grasse en attaque, puis sèche, avec une évolution sèche avec une acidité faible. La finale est assez longue, avec des notes d’herbe coupée. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-2 Bien-2 Bof-2 Beurk-0


Deux rieslings fins


La dégustation de deux rieslings grand cru Frankstein de millésimes différents va permettre de comprendre l’influence du sucre résiduel. Le riesling du millésime 2000 est sec, marqué par son terroir, et bien équilibré. Le 2001 est plus mûr et possède 9 g/l de sucre résiduel qui se traduisent par une légère douceur en bouche. La finesse des vins du terroir granitique du Frankstein laisse apparaître cette sucrosité, alors que sur des terrains plus lourds, 10 g/l de sucre résiduel passeraient inaperçus pour de nombreux dégustateurs. Le 2001 doit être gardé quelques années pour que cette sensation se fonde. Malgré cela, une partie du groupe préfère cet équilibre à celui du 2000.


Riesling Grand Cru Frankstein 2000 – Beck-Hartweg : Le premier nez est très minéral avec des arômes de silex, évoluant avec de l’intensité sur des arômes de pamplemousse, laurier, camphre. La bouche est franche en attaque, sèche et assez vive, évoluant sur une bonne densité avec une acidité laissant peu à peu a place à des sensations minérales très salines sur la langue. La fin de bouche est longue, avec des arômes de fleurs blanches. Un beau Frankstein à maturité. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-2 Bien-4 Bof-0 Beurk-0


Riesling Grand Cru Frankstein 2001 – Beck-Hartweg : Le nez de ce 2001 se montre plus mûr que le 2000, avec des arômes de fleur blanche, de pêche blanche et de miel. La bouche est vive en attaque, sèche et mûre, évoluant vers une légère sucrosité perceptible mais fondue. La finale est  longue, amère avec des notes d’écorce d’agrume. Un vin en surmaturité qui digère doucement ses 9g de sucre résiduel, assez perceptibles sur un terroir comme de Frankstein. Gros potentiel de vieillissement. Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-1 Bof-0 Beurk-0


Trois gewurztraminers, trois équilibres différents


Le gewurztraminer est le cépage le plus connu pour donner des vins moelleux. La dégustation de trois gewurztraminers va monter que le vin sait rester équilibré avec divers taux de sucre résiduels. Le Rodelsberg joue dans le registre sec et épicé, la forte concentration suffisant à donner de la structure au vin. Pas forcément passe-partout mais superbe à table. Le Kaefferkopf est le plus plaisant à boire pour lui, le sucre est fondu dans une matière fruitée de bonne concentration. Enfin, l’Altenberg de Bergbieten est un vin très mur équilibré par une forte minéralité. Le sucre résiduel est important mais sans déséquilibrer le vin. Ces trois vins ont des doses de sucre résiduel différentes, mais aucun ne souffre de déséquilibre.


Gewurztraminer Rodelsberg 2000 – Marc Tempé : Un terroir particulier sur le dessus du Mambourg, à 400m d’altitude dans une cuvette, avec une terre très rouge. La maturation est souvent tardive et la vigne de gewurztraminer produit un vin souvent sec. Ce 2000 a moins de 3g/l de SR. Le nez est épicé, mentholé et minéral, avec un léger boisé du à un élevage en fût. La bouche est sèche et épicée, avec cet aspect sec qui le rend extraordinaire à table. Bien
Avis du Groupe : Excellent-1 Très Bien-3 Bien-2 Bof-0 Beurk-0


Gewurztraminer Kaefferkopf 2004 – Jean-Marc Bernhard : une cuvée issue de la partie gréseuse sur substrat granitique derrière le Wineck-Schlossberg. Le nez est complexe, botrytisé, mielleux avec des arômes de fleurs et de fumée. La bouche est grasse, pure avec un bon équilibre sucre/acide (environ 12g/l de SR). La bouche évolue vers des arômes d’épices avec une finale assez longue. Un vin très ouvert, équilibré et qui se boit déjà très facilement. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-0 Très Bien-5 Bien-1 Bof-0 Beurk-0


Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Bergbieten 2001 – Frédéric Mochel : le nez évoque une vendange tardive, avec un nez complexe, surmûri et épicés : miel, pralin, pêche, girofle. La bouche est moelleuse en attaque, riche et concentrée, mais reste fine avec un moelleux bien fondu. La fin de bouche est longue, sur des arômes d’épices et de tisane. Un vin qui titre plus de 14 degrés d’alcool, récolté à 16 degrés potentiels, qui a conservé 35g/l de sucre résiduel. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-2 Très Bien-4 Bien-0 Bof-0 Beurk-0


Pinot Gris VT – L’effet du vieillissement


Pour monter l’effet du temps sur les vins moelleux, rien ne vaut une paire de vins devant soi : passer d’un verre à l’autre est très instructif sur l’évolution du caractère fruité eu nez et moelleux en bouche. Face à face, on apprécie successivement la maturité sur 2001, puis la complexité du 1990, puis on revient sur la fraîcheur du 2001 avant de craquer pour le fondu en bouche du 1990. Tout acheteur de VT 2001 devrait goûter un millésime pus vieux pour se convaincre de le nécessité de garder ces vins et de ne les ouvrir qu’à partir de 10 ans d’âge.


Pinot Gris Vendanges Tardives 2001 – Rolly-Gassmann : le nez est assez discret, avec quelques notes de miel. La bouche est grasse et moelleuse, gardant un bel équilibre grâce à une acidité assez présente. Des notes de miel et de noisette grillée accompagnent la longue finale. Un vin à attendre encore, doté d’un grand potentiel. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-2 Très Bien-3 Bien-1 Bof-0 Beurk-0


Pinot Gris Vendanges Tardives 1990 – Rolly-Gassmann : Le nez est parfumé, très marqué par l’abricot sec, la mirabelle, le miel avec beaucoup de surmaturité. La bouche est moelleuse sans être écrasante en attaque, avec une très grande finesse et une forte densité. Un très bel équilibre qui possède beaucoup de fondu. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-2 Très Bien-4 Bien-0 Bof-0 Beurk-0


Finale- Pour le plaisir


Après des harassants exercices, deux vins bus pour le plaisir, pour se dire que le sucre résiduel n’est pas un problème quand le vin est grand. Caractéristique commune aux deux vins, la sensation sucrée disparaît pratiquement en finale, signe des grands vins moelleux.


ZIND 2003 – Zind-Humbrecht : le nez est très mûr avec des notes de fruits jaunes qui font penser à un pinot gris, avant que des notes plus florales rappellent la présence de pinot auxerrois et de chardonnay. L’attaque en bouche est élégante, souple avec un moelleux présent mais équilibré par une pointe de gaz. Les 30 g/l de sucre résiduel sont très fondus dans le fruit, donnant un équilibre doux et la fin de bouche se permet même de prendre des notes citronnées. Les tanins du vin assèchent un peu la bouche et compensent une acidité moyenne. Un superbe vin d’apéritif dès aujourd’hui, et probablement quelque chose de très surprenant dans 15 ans. Très Bien
Avis du Groupe : Excellent-4 Très Bien-1 Bien-1 Bof-0 Beurk-0


Riesling Grand Cru Kastelberg Sélection de Grains Nobles 2000 – Domaine des Marronniers : Le nez est très pur avec des arômes de miel et de mandarine. La bouche est initialement liquoreuse (58g/l de SR), grasse et soutenue par une bonne acidité, dévoilant des arômes de pêche. La fin de bouche est légèrement amère, rappelant un peu le pamplemousse. La sensation sucrée assez présente en attaque a pratiquement disparu en finale. Un vin équilibré malgré sa puissance et sa richesse en sucre, qui supporte d’être bu en début de repas. Excellent
Avis du Groupe : Excellent-5 Très Bien-0 Bien-1 Bof-0 Beurk-0


Une dégustation très instructive sur la manière dont chacun appréhende le sucre dans le vin, et comme d’habitude, un tour d’horizon très varié de la production alsacienne. Le repas initialement prévu en soirée a du être annulé par manque de participants, les accords avec des vins plus ou moins sucrés pourront être consultés dans le compte rendu d’un précédent repas sur ce thème.


Thierry Meyer


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