Les vieux rieslings à la Confrérie Saint Etienne
Dans le cadre des 24 heures du riesling alsacien
Dans le contexte dun week-end consacré au riesling, nous voulions nous concentrer sur les vins de terroir dans des millésimes un peu jeune. Pour ne pas laisser les vieux millésimes de coté, lidée était de découvrir le riesling dans des vieux millésimes, en particulier de voir si le millésime avait une forte influence sur la manière dont le cépage évoluait. Loenothèque de la Confrérie Saint Etienne nous a permis une fois de plus de goûter un échantillon de grands vins, avec de belles découvertes. La cave du Château de Kientzheim contenant des millésimes depuis 1969, il a fallu chercher les vieilles bouteilles dans la cave de Hunawihr, qui contient les premiers flacons déposés en 1947. Si les flacons de la cave de Kientzheim sont conservés dans des pochettes plastiques micro-perforées, les bouteilles à Hunawihr sont nues, et les étiquettes plus poussiéreuses.
Photo : les vieux flacons dans leur poussière dorigine, avec des étiquettes auto-(dé)collantes !
Mise en bouche avec un vin jeune, puis descente rapide (quasiment en rappel !) dans lunivers des vieux millésimes : 1979-1975-1974-1971-1966-1961-1953-1952 !
Riesling « Collection Rare » 1999 Kuentz-Bas (Husseren les Châteaux) : le nez est parfumé, mielleux ave des notes de fleurs blanches, donnant une sensation de richesse. La bouche est riche, grasse avec une fine acidité, reprenant les arômes un nez en finale. Un vin bien équilibré avec bon potentiel de vieillissement. Bien
Riesling 1979 Metz Frères (Ribeauvillé) : Le nez est complexe, expressif avec des notes de foin, de pain grillé, de grain de café et décorce dorange, évoluant vers des notes de verveine. La bouche est grasse, ample, avec une acidité fondue donnant une sensation de vieux. La fin de bouche est assez courte mais revient sur des notes dagrumes. Un vin largement à maturité, à ne pas garder trop longtemps (5-10 ans) pour profiter de ce que reste déquilibre. Bien
Riesling 1975 Jean Hauller (Dambach la Ville) : Le nez est initialement un peu foxé, puis se développe à laération sur des notes de bois sec et dépices. La bouche est assez vive avec une amertume assez sensible, donne une sensation crayeuse sur la langue, et possède encore un bon équilibre. La fine de bouche est nouveau courte et manque de netteté au niveau des arômes. Un vin à finir rapidement. Bof
Riesling Kaefferkopf 1974 Sick-Dreyer (Ammerschwihr) : La robe est jaune soutenu avec un bel éclat. Le nez est parfumé, minéral avec des notes dagrumes et dencaustique. La bouche est équilibrée, minérale avec du gras. La fin de bouche est longue avec des notes fumées. Voilà une belle surprise dans un millésime difficile, pour ce vin ample de 31 ans dont on imagine quil tiendra encore une quinzaine dannées. Très Bien
Riesling 1971 Josmeyer (Wintzenheim) : Un des premiers millésimes vinifié par Jean Meyer. Deux lots ont été sigillés sans plus de précisions, et nous goûtons lun des deux. Le nez est initialement discret, franc avec des notes de pain grillé, puis développe des notes vanillées à laération. La bouche est sèche, riche avec une forte maturité. On sent une forte présence du fruit sur des notes dagrumes, puis le milieu de bouche développe une amertume assez marquée mais plaisante, sur des notes de réglisse. Un vin qui se dévoile progressivement à laération, qui supporte largement lair ambiant au point de se montrer meilleur au bout dune heure. On suivra lévolution de ce vin sec encore jeune sur les 20 prochaines années. 1971 est une grande année en Alsace, et dans notre descente des millésimes, cest la deuxième surprise après le 74. Très Bien
Riesling Réserve des Amis 1967 Paul Blanck (Kientzheim) : Une cuvée issue du GC Furstentum daprès Philippe Blanck. La robe est assez nette, brillante. La bouche est corsée, très souple avec un joli fruit, et on pense à un vin très élégant dans une bonne année, en pleine phase de maturité, et doté dun gros potentiel de vieillissement. Malheureusement le nez et la bouche sont gâchés par un bouchon très sensible. A regoûter, sil reste encore une des 4913 bouteilles produites ! Non noté
Riesling 1966 Gisselbrecht (Dambach la Ville) : Le nez est initialement un peu animal, puis se fait plus complexe, vanillé, un peu fumé, avec des notes de vieille menthe. La bouche est riche avec une acidité assez vive, on sent une bonne matière. La fin de bouche reste sèche avec une bonne amertume en finale. On est sur un vin moyennement corsé qui amorce lentement son déclin, mais qui au vu de son âge devrait évoluer lentement sur les 10 prochaines années. Bien
Riesling Kaefferkopf 1966 Kuehn (Ammerschwihr) : Le nez est franc, parfumé, floral avec des notes de menthe. La bouche est grasse, assez dense, un peu moins vieille que le précédent mais un peu plus terne aussi. Moins de caractère que le précédent mais un peu mois vieux. Le deuxième Kaefferkopf de la série nous fait une bonne impression, mais le vin ne se bonifiera plus et il faudra le boire dans les 10 prochaines années. Bien
Riesling 1961 Cave Vinicole de Hunawihr : Le nez est très intense, fruité et très mur, avec beaucoup de complexité. La bouche est grasse, citronnée, ample avec beaucoup de minéralité gustative. Les notes ne sont pas plus précises car à ce moment tout le monde se tait, et le groupe ne croit pas que ce vin a 44 ans. Un véritable tour de force, voilà un exemple magnifique dun riesling qui vieillit et continue de se bonifier avec le temps. A continuer de goûter sur les 20prochaines années pour voir quand il amorcera son déclin. Lorsque les caves coopératives apportent leur meilleur vin à la Confrérie, cela donne des grands moments démotion 40 ans plus tard. Si le vinificateur de lépoque pouvait lire ce message, je suis certain quil serait très fier de son travail. Excellent.
Riesling 1961 Charles Wantz (Barr) : Le nez se fait à nouveau plus discret, sur des arômes de vin vieux, avec du caramel, du café, du pain grillé, de lencaustique. La bouche est dense et souple avec une amertume assez marque en fin de bouche. Un vin assez léger en bouche, mais qui possède une longue finale. Un style différent du précédent à qui il a le malheur de succéder, mais il nen reste pas moins un grand vin doté dun bon potentiel de garde supplémentaire. Sil a fait 44 ans, il fera encore 15 ans sans problème. Très Bien
Riesling Réserve 1953 René Schmidt (négociant à Riquewihr) : la robe est jaune dorée assez foncée, brillante. Le nez est parfumé, avec des notes dagrumes, de fleur séchée, de fraise. La bouche est jeune, grasse, beurrée avec un léger moelleux très fondu, soutenu par une bonne acidité. Quel équilibre incroyable, et quelle structure 52 ans plus tard ! La fin de bouche rappelle un peu une liqueur de framboise, et le vin ne montre aucun signe de vieillissement : aucune note de cire, dencaustique ou de vieille cave. Comment estimer la garde potentielle ? Un vin de ce style à 53 ans peut-il encore durer 50 ans ? Pour moi ce sera le vin de la soirée. Excellent, voire plus.
Photo : Un Grand Riesling dans un Grand Millésime
Riesling 1952 Gruener (Turckheim) : Létiquette au dragon mentionne une Médaille dargent au concours Agricole de Paris. La robe est dorée. Le nez est torréfié, vieux avec des notes de camphre. La bouche est légèrement moelleuse, assez vieille avec une légère oxydation perceptible. La densité est bonne, la finale est assez courte sur des notes de griotte. Un vin qui a amorcé son déclin, à boire dans les 10 ans vu sa lente évolution, en espérant que loxydation est le fait dun bouchon qui na pas été remplacé depuis 50 ans. Bien
Sylvaner 1952 Alsace Willm (Barr) : La robe est jaune clair avec des reflets verts incroyables. Le nez est jeune, assez parfumé avec des notes damande verte. La bouche est corsée, beurrée avec des notes de caramel au beurre salé. Le vin montre un joli gras et une bonne structure. Comme pour le riesling 53, cest incroyable de voir un vin si jeune après tellement dannées. Pourra-t-on garder des bouteilles suffisamment longtemps pour le regoûter dans 40 ans ? Ou alors garder une bouteille pour fêter le départ à la retraite du jeune Délégué Général de la Confrérie Saint-Etienne ? Excellent.
Voilà une superbe dégustation, comme tout amateur de vin dAlsace rêve den faire une un jour. Quand je pense que la dégustation était ouverte à tous, que le coût était de 40 euros par personne, et quil restait de la place pour 2 personnes supplémentaires ! Bien entendu, les émotions dépassent souvent les analyses purement techniques, et il est hors de question de faire de lanalyse sensorielle dans un labo blanc devant de tels morceaux de lhistoire alsacienne. Sil fallait classer les coups de cur, pour moi ce sera dans lordre R53-R61-S52-R74-R71
La magie des vieux rieslings est triple. Dabord, tout comme lorsque nous avons goûté le millésime 1972, on se rend compte que la grandeur moyenne des années nest quune indication vague des résultats du riesling, cépage plus tardif que les autres en Alsace. Ensuite, le vieillissement du vin lorsquil est grand ne soufre daucune note oxydative, si ce nest lorsque le bouchon perd de létanchéité. Enfin, La magie du cépage lui permet dassocier des notes dagrumes, un gras conséquent et une belle acidité dans un ensemble la fois très fondu et très complexe. Lorsque tous les ingrédients sont là, le vin est tout simplement quasi immortel et le riesling confirme sa réputation de plus grand cépage à blanc du monde !
Je rajouterai que mis à part le lieu-dit Kaefferkopf, aucun vin ne mentionnait une origine particulière sur un terroir aujourdhui classé en Grand Cru. Est-ce à dire que les grands vins se suffisaient à eux-mêmes et se passaient de toutes les classifications ? Encore une fois, lOenothèque de la Confrérie Saint-Etienne a livré de beaux trésors, et il est permis de penser que la cave contient encore pas mal de pépites pour les prochaines sessions !
Thierry Meyer