L'Oenothèque Alsace

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Accords mets & vins autour des rieslings de terroir – Edition 2009

Samedi 21 novembre 2009, restaurant la Taverne Alsacienne, Ingersheim
Le dernier diner de l’année était également le premier, car avec une année chargée en événements personnels le programme des dégustations fut réduit. Le Chef Jean-Philippe Guggenbuhl n’a pas perdu son sens des accords mets/vins et le menu préparé pour l’occasion fut une nouvelle fois d’une grande qualité et d’une incroyable précision. Revue en 5 plats et 11 vins…

Table dressée pour l'Oenothèque Alsace

Premiers Vins de la série 

L'apéritif et ses Amuses Bouches

Un morceau de thon fumé servi sur une pette salade de pommes de terre allait non seulement nous ouvrir l’appétit, mais surtout permettre de découvrir les terroirs alsaciens sur le millésime 2008. Les deux vins du dernier millésime en bouteille ont montré l’écart de style qui pouvait exister entre un vin de terroir granitique fortement désagrégé, et un terroir calcaire. Finesse de l‘acidité, demi-corps élégant et grande salinité caractérisent le Wineck-Schlossberg qui fait beaucoup saliver, profondeur, gras et puissance de l’acidité forment un Rosacker ample mais non dénué de finesse dans ce millésime 2008 aux acidités si nettes. Nonobstant la présence de Frédéric et Anne-Caroline Bernhard à la table, le vin mérite le coup de cœur qu’il a suscité auprès des participants car c’est une magnifique réussite. Les deux vins vont bien accompagner cet amuse bouche, le caractère fumé du thon ressortant sur le Wineck-Schlossberg alors que le corps du Rosacker est suffisant pour supporter la pomme de terre et la chair dense du poisson.

Riesling Grand Cru Wineck-Schlossberg 2008 – Jean-Marc Bernhard : Le vin offre un nez élégant sur la fleur d’églantier, puis une trame acidulé et minérale de tout beauté, finissant sur des amers nobles. Un Grand Wineck-Schlossberg. 17.5/20

Riesling Grand Cru Rosacker 2008 – Domaine Agapé : un vin particulièrement réussi, déjà ouvert au nez avec des notes de citron et de fleurs blanches, puis profond et minéral en bouche avec une acidité nette qui donne une pureté cristalline au vin. De grande garde et approchable jeune s’il ne se referme pas. 18/20

Déclinaison de Poisson fumé et Ecrevisses

Les vint convives ont eu droit à une déclinaison magistrale autour de l’écrevisse, et ce ne sont pas moins de vingt kilos de crustacés qui ont été décortiqués dans l’après midi pour nous offrir une assiette éblouissante : une cassolette d’écrevisses au gratin comme Fernand Point sait le faire, une salade tiède d’écrevisses à la truffe noire de Bourgogne accompagnée d’anguille entière fumée, enfin une bisque d’écrevisse de grande concentration, pleine de saveurs. Les deux vins du millésime 2007 montrent une acidité moins redoutable que les 2008 mais encore très élevée, même si la première impression semble plus modérée. Issus de terroirs granitiques et gréseux, les deux vins offrent une finesse tout à fait adaptée à la tendresse des écrevisses. Le supplément de fraîcheur et de salinité du Kaefferkopf rehausse le caractère fumé de la salade, tandis qu’il tranche à merveille dans le gras du gratin. Elevé sur lies, le Pfingstberg est plus délicat, moins vif avec plus de gras. L’accord  avec le gratin se fait charmeur, et velouté, la bisque le rend encore plus séduisant, et comme le Kaefferkopf, le vin relève le caractère fumé de l’anguille. Dans les deux cas, la puissance des vins est adaptée au plat pour des accords gourmands variés. Le groupe a des préférences diverses pour plusieurs accords sans que l’un d’eux ne sorte du lot.

Riesling Grand Cru Kaefferkopf Vieilles Vignes de Jean-Baptiste Adam 2007 – JB Adam : 2007 célèbre le premier millésime du terroir nouvellement promu en AOC Grand Cru,  et cette cuvée issue des vieilles vignes du domaine lui fait honneur : une précision aromatique et une salinité exemplaire signent un vin minéral de toute beauté. 17/20

Riesling Grand Cru Pfingstberg Cuvée Paradis 2007 – François Schmitt : les raisins de la parcelle du lieu-dit Paradis ont été vinifiés à part en 2007 comme en 2005,  donnant un vin ample d’une très grande finesse, avec une salinité fine et de beaux amers en finale qui donne un équilibre très sapide. Un grand vin sur un grand terroir. 17/20

La Lotte saisie entière, Emulsion de Gingembre et Risotto au vieux Parmesan

Le plat principal était ici travaillé en finesse, contrairement à ce que peut laisser penser l’intitulé. Poisson à chair ferme mais peu aromatique, il fallait le travaille en douceur avec du gingembre et un risotto parfumé comme il faut, sans qu’aucun arôme ne domine. Avant de passer aux terroirs calcaires, le riesling Herrenweg produit sur les graves de la Fecht du Herrenweg montrait une évolution tout à fait favorable, sur un équilibre demi-sec qui est devenu plus gras que moelleux après 10 ans. Le Clos Häuserer, situé en contrebas du grand cru Hengst, allait donner le ton des grands terroirs avec une complexité aromatique incroyable, un caractère sec et beaucoup d’ampleur. Plus classique la cuvée des Comtes d’Eguisheim se présentait comme l’archétype du grand riesling à maturité, ce qui montre une fois de plus la mainmise par les grands terroirs calcaires sur la typicité des grands vins issus de riesling, contresens énorme favorisé par les grandes maisons de négoce qui ne cultivent pas le riesling sur des sols granitiques ou gréseux.
Avec la lotte et son accompagnement, mon cœur a balancé pendant toute la dégustation. Là où la Clos Häuserer offre un accord extraordinaire entre la complexité du vin, la chair du poisson, le gingembre et la finesse du risotto, la cuvée des Comtes d’Eguisheim offre un accompagnement parfait sur le poisson, tellement évident qu’on dirait que le partenaire idéal de la lotte. L’équilibre plus simple rend l’accord de texture superbe sur la lotte et le potiron, alors que le Clos Häuserer va chercher la complexité du gingembre et la texture du risotto, avec un équilibre peut-être plus intellectuel et moins évident de prime abord. Le cœur et la raison ont chacun trouvé leur vin de prédilection, mais une fois de plus, quels accords, quelle harmonie, et quel plaisir gourmand que de se retrouver avec ce plat et ces vins à table.

Riesling Herrenweg 1999 – Zind-Humbrecht : récolté en surmaturité, le vin se montre très pur au nez avec des arômes de fleurs blanches, de pierre à fusil et de miel, et une pointe fumée qui trahit son âge. La bouche est élégante, le moelleux est fondu et contribue à donner une sensation de pureté (14 g/l de sucre résiduel). Un vin à boire. Très Bien

Riesling Clos Häuserer 1999 – Zind-Humbrecht : un vin au nez très droit, épicé avec une pointe d’agrumes, sec en bouche avec du croquant renforcé par une pointe de gaz, puis ample et gras avec une belle acidité. Les 9 g/l de sucre résiduel sont complètement fondus, donnant un vin à l’équilibre remarquable. Excellent

Riesling Cuvée des Comtes d'Eguisheim 1993 – Léon Beyer : originaire de vignes du domaine situées sur le grand cru Pfersigberg, le vin se montre frais avec un nez fumé, ample avec une note d’hydrocarbure. La bouche est ample, profonde, dans un style très classique, avec une acidité intégrée à la matière et une longue finale. Malgré une maturité qui reste juste, l’équilibre est magistral après 16 ans de vieillissement. Excellent

Derniers Vins de la série

Les fromages de Jacky Quesnot

Deux vins étaient au programme des fromages ; d’un coté, un 1982 de terroir gréseux pour montrer la faible évolution et le caractère encore très frais de ce vin issu d’un millésime frais, pluvieux, généreux, parfait exemple de ce que les terroirs drainant savent produire dans les petites années. Le grand père de Marc Kreydenweiss produisait déjà de belles choses, et si ce vin a bien évolué, il a surtout conservé une fraicheur aromatique incroyable après 27 ans. De l’autre, un millésime mûr d’une grande année, originaire des terroirs calcaires autour de Bergheim dont on pense que l’Altenberg fait partie. La loterie des vieux millésimes s’anticipe en observant les robes et les niveaux. Ces deux flacons étaient parfaitement bien conservés, mais malgré tout l’une des deux bouteilles de 1966 était simplement bouchonnée, liégeuse, malgré un bouchon en parfait état, une robe claire et un niveau de 1cm sous le bouchon. Une bouteille qui n’a pas subi l’oxydation d’un bouchon devenu perméable, et qui était probablement déjà bouchonnée les premières années après la mise en bouteille. La bouteille restante, partagée à 20 personnes, s’est montré au meilleur de sa forme, témoin du vieillissement parfait des grands vins d’Alsace issus de grands terroirs. Très peu d’évolution aromatique, pas de notes de pétrole, et surtout un équilibre frais en bouche avec une acidité mûre, de la pureté et beaucoup de profondeur. Nous avons tous conscience d’avoir rencontré un grand vin ce soir là.
Coté fromages, Brillat Savarin et chaource ont donné le change au Wiebelsberg 1982, qui reprenait une seconde jeunesse. L’acidité franche mais pas trop intense allait s’accrocher avec la texture crémeuse des fromages. Comté au lait cru et parmesan étaient prévus pour donner le change au vin  de plus de 40 ans d’âge, et si le comté aurait certainement supporté une légère oxydation du vieux vins, avec ce flacon nous avons presque trouvé qu’il était encore bien jeune pour l’accompagner. Dans les deux cas, l’acidité des vins était peu mise en avant, le fromage permettant

Riesling Wiebelsberg 1982 – Fernand Gresser : le premier nez est végétal, avec des notes d’herbe coupée et de fumée qui laissent place à de la pomme verte. La bouche est franche en attaque, fraîche avec une note de poivron en finale. Un vin qui ne pétrole pas, mais qui a conservé sa fraîcheur original. Bien

Riesling Cuvée Extra 1966 – Jérôme Lorentz : La robe est jaune claire avec des reflets dorés. Le nez est net, minéral avec un fruité encore présent, légèrement évolué avec des arômes d’encaustique et de menthe sèche à l’aération. La bouche est ample et profonde, avec de la pureté et une fine acidité qui donne de la longueur à la finale. Un équilibre magistral qui démontre l’excellent potentiel de bonification des vins des grands terroirs alsaciens. Excellent

Le Gratin de Pommes Granny à la Cannelle et son sorbet

La légèreté de la pomme rehaussée par une cannelle très présente et par un gratin qui apportait du gras posait le problème de la puissance du vin. Issu d’un terroir à dominante de grès, le Zellberg se montre pur, cristallin, d’une grande finesse aromatique avec des notes délicates de fleurs d’oranger, mais se fait écraser par le gratin et la cannelle. A boire pour lui ou sur un dessert plus léger. Originaire des terres calcaires de Rorschwihr, le 2005 de Rolly Gassmann se montre plus ample avec de l’amertume rappelant la mandarine, restant difficile avec la cannelle qui renforce le caractère amer du vin. Si les deux vins se dégustent cependant bien, l’équilibre n’est pas idéal ; peut-être qu’une cuvée plus liquoreuse se serait mieux accordée.

Riesling Zellberg Vendanges Tardives 2007 – Armand Landmann : Un vin mûr au nez d’ananas frais, moelleux en bouche avec un équilibre frais et acidulé d’une grande pureté. 16/20

Riesling Vendanges Tardives 2005 – Rolly-Gassmann : une cuvée surmurie au nez d’écorce d’agrumes, très élégante en bouche avec un moelleux très pur. 16/20

Un diner autour des rieslings de terroir qui montre une fois de plus la grande malléabilité de style de ce cépage cultivé en Alsace, tout autant que leur excellente buvabilité. Le choix d’un riesling adapté à un plat se révèle au final tout aussi difficile que le choix d’un vin sans indication de cépage. La présence ou non de botrytis, le caractère plus ou moins sec sont certes des éléments importants à prendre en considération, amis les meilleurs accords mets/vins étant des accords de texture, c’est véritablement le terroir qui fait la différence. Bien entendu un vin plaisant à boire ne sera jamais désagréable à ingurgiter, mais si le risque existe que le plat domine le vin, le contraire est également possible. Avec la palette géologique dont l’Alsace dispose, il y a heureusement de quoi trouver le vin parfaitement adapté à caque situation.

Thierry Meyer

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