L'Oenothèque Alsace

Grands Vins Rouges du Rhône et Sud-Ouest

Dégustation de Grands Vins Rouges du Rhône et sud-ouest
15 avril 2005, Restaurant la Taverne Alsacienne

Philippe Guggenbuhl avait une telle dégustation en tête depuis quelques mois, et après avoir réuni les flacons adéquats, nous sommes partis avec un groupe d’amateurs et de vignerons dans une grande dégustation à l’aveugle au restaurant la taverne Alsacienne. Les vins étaient servis à l’aveugle par série, les identités étant révélées à la fin de chaque série. Au Menu pour accompagner les vins, une crème de petits pois, brochette de volaille au sésame et citron, puis un somptueux lièvre à la Royale, enfin du fromage. Pour chaque vin j’ai noté mes impressions, et en l’absence de notes du reste du groupe, je ne pourrai pas indiquer s’il y a un consensus plus ou moins grand sur chacun des vins. J’ai aussi essayé de trouver un ordre de grandeur des prix pratiqués en consultant le web.




Première série


Coteaux du Languedoc «Sylène des Peyrals» 1998 – Château Puech Haut : Le nez est fruité, avec des notes de poivron et de fruits rouges, ainsi que des notes d’acétate assez volatile. La bouche est mûre, assez riche, avec des tanins présents. La fin de bouche est un peu chaude et assez tannique. Une cuvée encore un peu jeune, ayant une assez bonne concentration. Bien (environ 30 euros)


Coteaux du Languedoc «Les Champs Murmurés»  1998 –  Domaine de la Marfée : Assemblage Syrah, Cabernet Sauvignon, Mourvèdre, Grenache. Le nez est parfumé, floral avec des notes élégantes de lys, de cassis, de cerise griotte, dans un style assez exotique. La bouche est dense, avec des tanins sensibles et murs qui rappellent la ronce mélangée à des fruits cuits. La fin de bouche est un peu sèche. Bien (environ 25 euros)


VDP Baux de Provence Clos Milan 1998 : Le nez est très parfumé, dans un style méridional avec de l’olive, de lard fumé, évoluant vers des notes de goudron. Un nez qui rappelle la syrah mûre de la vallée du Rhône. La bouche est corsée, fine, soyeuse et sèche, avec des arômes de réglisse, de chocolat noir qui donnent une bonne amertume. Un vin dense et fin, un peu sec en finale. Un très haut niveau qualitatif dans un style moderne. Très Bien. (environ 25 euros)


Vin de Pays des Bouches du Rhône  1998 – Domaine de Trévallon : assemblage 50/50 de Cabernet Sauvignon et Syrah. Le nez est moyen, avec des arômes rappelant la tomate et le jus de légume. On dirait un vin très éventé ou très mur qui n’a plus de tenue. La bouche est assez mûre, mais présente une évolution légère qui n’existait pas dans les cuvées précédentes. La fin de bouche est un peu sèche. Une bouteille décevante, ayant apprécié la jeunesse du millésime 1989 l’an dernier. Bof (environ 60 euros)


Une première série qui met en avant le Clos Milan, et déçoit par rapport au Domaine de Trévallon.


Deuxième Série

Vin de pays de l’Hérault 1998 – Terrasses d’Elise: Cuvée 100% Syrah et Serine. La robe est opaque. Le nez est intense, complexe, avec des notes florales rappelant la glycine, puis des notes de chocolat. La bouche est riche, épicée, mûre avec une sensation sucrée, assez complexe. Un style riche et souple Très Bien (environ 25 euros)


Vin de pays de l’Hérault 1998 – La Grange des Pères : Assemblage Mourvèdre, Syrah, Cabernet, Cournoise. Le nez est fumé avec des notes d’olive noire et verte, très complexe. La bouche est littéralement sensationnelle, l’impression de finesse et de souplesse est perçue par tous les dégustateurs. Fruité, rondeur et souplesse se mêlent dans un équilibre très fin en milieu de bouche, et se développent lors d’une finale très très longue. La finesse et la longueur signent la Grange des Pères, et on ne peut que se dire que sa réputation n’est pas surfaite. Excellent. (environ 80 euros)


Vin de Pays d’Oc «les Brunes 1998 » – Domaine des Creisses : Assemblage Cabernet Sauvignon, Syrah, Mourvèdre. Le nez est intense, boisé, torréfié, avec des arômes de réglisse et de fruits rouges, l’ensemble étant bien fondu et dégageant une impression aromatique nette et pure. La bouche est mûre, souple et dense, les tanins et la densité du vin donnant une impression veloutée agréable. Seule la finale est un peu sèche. Un vin ouvert qui se présentait bien ce soir là. Très Bien. (environ 30 euros)


Cette deuxième série étonne par son haut niveau qualitatif. Les grandes cuvées du Sud dans un grand millésime sont opulentes avec beaucoup de finesse, loin des stéréotypes de vins surboisés et surextraits.


Troisième série

Châteauneuf du Pape Cuvée Réserve 1998 – Domaine du Pégau : Le nez est assez parfumé, évoque l’écorce d’orange sanguine, mais reste un peu en retrait. La bouche est un peu dure avec des tanins très sensibles, seules des notes de chocolat amères réveillent la finale. Un équilibre un peu difficile au milieu d’une telle série de vins. A attendre un peu. Bien (environ 40 euros)


Châteauneuf du Pape 1998 – Domaine du Vieux Télégraphe : Le nez est également discret, fruité avec des notes de houblon. La bouche est riche et sèche, avec des notes de cerise à l’eau de vie et de chocolat qui donnent un air très classique à ce Châteauneuf du Pape. Très Bien. (environ 60 euros)


Châteauneuf du Pape 1998 – Château Rayas : 100% Grenache. Le nez est élégant, assez intense, complexe, évoluant par palier autour de notes fruitées et confites. La bouche est souple, fruitée, presque sucrée, avec une belle richesse qui se développe en milieu de bouche sans perdre en finesse. La finesse accompagne de nouveau la fin de bouche pendant très longtemps, un peu comme la sensation perçue avec le vin de la Grange des Pères. Un style inimitable, qui parait un peu plus corsé que le Rayas 98 bu en février 2004 à Luxembourg. Excellent. (environ 140 euros)


Quatrième série

Gigondas ‘Les Hautes Garrigues’ 1998 – Domaine Santa Duc : 70% Grenache 0% Syrah et 30% Mourvèdre. Le nez est moyennement intense, fruité avec des notes de ronce, évoluant vers des arômes plus floraux. La bouche est assez souple avec une bonne acidité et des tanins présents et assez discrets. La finale est assez courte mais n’enlève pas la bonne impression de ce vin qui rappelle un Châteauneuf du pape par son équilibre et sa concentration. Très Bien. (environ 35 euros)


Cornas Les Ruchets 1998 – Jean-Luc Colombo : Le nez est moyen, un peu réduit, avec des notes de ronce qui font penser à certains pinots noirs bourguignons. La bouche est fruitée, acidulée et souple, mais ne provoque pas de grande émotion. Trop jeune ? Bien. (environ 65 euros)


Cornas Cuvée Reynard 1998 – Thierry Allemand : Le nez se fait plus parfumé,  minéral, avec de l’olive verte et de la pierre à fusil. La bouche est iodée, mûre, amère avec un peu de gaz. Un style de syrah encore très jeune mais doté d’un bon potentiel. Très Bien. (environ 45 euros)


Le retour vers le Rhône Nord avec des vins de syrah pure se fait assez difficilement, après avoir goûté des Châteauneuf du pape fruités et souples.


Cinquième série

Châteauneuf du Pape Cuvée Les Cadettes 1998 – Château La Nerthe : Le nez est parfumé, très classique avec des notes de cerise à l’eau de vie, de fruits rouges cuits, de chocolat, mais aussi de surprenantes notes de rhubarbe. La bouche est fruitée, riche avec une belle acidité, et développe une amertume qui rappelle le chocolat amer. Un beau vin. Très Bien. (environ 60 euros)


Châteauneuf du Pape Hommage à Jacques Perrin 1998 – Château de Beaucastel : 60% vieux  Mourvèdre 20% Grenache 10% Syrah 10% Cournoise. Vieux ceps, seulement produit en 89-90-94-95-98.  Le nez est très réduit, avec des odeurs animales de basse-cour très déplaisantes à la majorité. Avec beaucoup d’agitation, le nez prend des arômes de vielle cave et de cire La bouche est très riche et très concentrée épicée, mais peu engageante à cause des arômes en rétro-olfaction. Quatre heures de carafe lui auraient fait le plus grand bien. Dommage de passer à coté d’un si grand vin. Bien (environ 500 euros)


Hermitage 1999 – Jean-Louis Chave : 100% Syrah. Le nez est très épicé : girofle, poivre noir et genièvre sont identifiables, ainsi que des arômes de tapenade, d’eucalyptus et des notes fumées. La bouche est très fine, avec une belle souplesse, sans entrer dans un fruité trop mûr. Difficile transition après deux Châteauneuf du Pape,  mais le vin transcende les arômes de fruits mûrs et exprime son potentiel avec brio. Le firmament de la syrah. Excellent, voire plus. (environ 150 euros)


Châteauneuf du Pape « Boisrenard » 1998 – Domaine de Beaurenard : Parcelles dotées de vieilles vignes, de 60 à 90 ans, sur des terroirs de galets à forte personnalité et complexité. Ces vieilles vignes étaient plantées « cépages mêlés ». Nous retrouvons donc la symphonie des 13 cépages, avec une dominante Grenache. La robe est très dense, éclatante. Le nez est parfumé, complexe sur un équilibre de fruits rouges. La bouche est douce, souple et parfumée, avec un équilibre entre finesse/souplesse absolument remarquable. Toutes les composantes sont en place pour produire une impression de sublime à la dégustation. Pour moi le plus beau vin de la soirée. Excellent, voir beaucoup plus. (environ 70 euros)


Série ultime, la déception du HJP à part, les vins se montrent à un très très haut niveau, quel que soit l’assemblage.


En complément

Châteauneuf du Pape 1998 – Château de Beaucastel : 30% Mourvèdre, 30% Grenache, 10% Syrah, 10% Cournoise, 5% Cinsault, 15% des 8 autres cépages. L’impression mitigée de la cuvée Hommage à J. Perrin nous  amène à déguster la cuvée normale. Le nez est parfumé, franc, fruité. La bouche est souple, fruitée et sèche, assez riche mais  avec beaucoup de finesse. Le coté franc des arômes fruités éclipse rapidement la cuvée HJP. Très Bien. (environ 50 euros)


Pour finir la soirée en beauté

Vin de Pays de l’Hérault 1990 – Mas de Daumas-Gassac : On termine sur un vin un peu plus âgé. La robe est encore très foncée, avec des bords un peu plus clairs mais à peine tuilés. Le nez est parfumé, jeune et peu évolué, marqué par des arômes de fruits rouges et de réglisse. La bouche est souple, fondue, avec des tanins veloutés, dans un équilibre fin et corsé. Un beau flacon. Très Bien (environ 130 euros)


Une série de vin qui ne s’achève pas trop tard, mais les papilles sont fatiguées. La progression lente et sure du niveau qualitatif de la dégustation a peut-être occulté la grandeur des meilleures cuvées, il aurait fallu revenir sur terre avec un simple Côtes du Rhône dégusté en début et en fin de soirée, pour se rendre compte de la déviation. Du coup, boire un Côtes du Rhône le lendemain était presque une obligation…


Le lendemain : retour sur terre

Pour accompagner mon repas et me préparer à la dégustation de cotes du Rhône 2003, le retour sur terre n’en fut pas moins difficile.


Côtes du Rhône Village Valréas 2003 – Clos Petite Bellane (4€ environ) : Retour sur terre un peu tardif. La robe est rouge-violet, dense et opaque. Le nez est parfumé, simple, avec des petits fruits rouges mûrs et de l’alcool assez sensible. La bouche est assez souple en attaque, et devient plus ferme en milieu de bouche, avec des tanins un peu secs. Le vin est fruité et un peu chaud en finale. Loin d’un style confituré, on se retrouve face à un vin simple, légèrement déséquilibré par le millésime. Bien


Conclusion : les vins en devenir

Les vins ont souvent été difficiles à appréhender à cause de leur complexité aromatique et de leur constante évolution dans le verre. La difficulté était renforcée par l’origine alsacienne des participants. Les vins d’Alsace sont très aromatiques, et le palais alsacien a parfois tendance à plus se concentrer avec attention sur le nez pour décortiquer les arômes que sur la structure en bouche. Comme le profil aromatique est en constante évolution dans les vins rouges du sud, l’exercice était ardu. Malgré cela, les vins dégustés sont tous magnifiques, avec un équilibre sudiste qui n’est occulté que par les syrah du nord de la vallée du Rhône. Point de surextraction ou d’excès de bois neuf dans les vins, et c’est souvent un équilibre intelligent entre souplesse et fruit d’un coté, et tanins et puissance de l’autre, qui est recherché. Les meilleures cuvées du Languedoc n’ont rien à envier aux très bons vins de bordeaux ou du Rhône, et le marché fait généralement bien son travail, les cuvées vendues à prix d’or étant très bonnes. A remarquer quand même l’excellent rapport QP des Châteauneuf du pape : quelques stars mis à part, il est possible de trouver de très très grands vins à moins de 40 euros. Un peu comme les grands sauternes.  Enfin, si l’Hermitage 99 de Chave se dresse tel une cathédrale qui domine la ville, l’Hommage à Jacques Perrin fut mitigé ce soir-là, et le Châteauneuf du Pape « Boisrenard » 1998 du Domaine de Beaurenard fut une magnifique surprise.


Thierry Meyer