La Savoie est une région particulièrement délicate à suivre pour qui publie un guide d’achat annuel, car nombre de cuvées sont mises en bouteille et en vente au printemps qui suit la vendange. Le cycle complet dégustation-publication-impression-diffusion dure 4 à 5 mois, ce qui fait que pour une sortie prévue fin août il faut déguster les vins en mars/avril dernier délai. Le parti pris de n’évaluer avec précision que des vins en bouteille m’oblige lors de mon passage annuel en Savoie (que je décale le plus tard possible en avril de chaque année) à goûter les cuvées de Savoie du dernier millésime mises en bouteille en février/mars, souvent pas forcément les plus qualitatives, ou alors de goûter des cuvées du millésime précédent, souvent épuisé à la vente.
Ce problème est encore plus exacerbé avec les vins du Domaine de Vens-le-Haut à Seyssel. Le petit domaine élabore trois micro-cuvées très ambitieuses, et si la mise en bouteille après un long élevage a généralement lieu durant l’été qui suit la vendange, le gros des ventes est réalisé lors d’un gros weekend festif organisé au domaine quelques semaines plus tard début septembre, qui permet de déguster les dernières mises mais surtout de partager la petite production.
2009 est un millésime très réussi pour les rouges en Savoie, en particulier sur la mondeuse mais aussi sur le gamay qui a connu une réussite majeure avec un très bon niveau qualitatif des vins dégustés. 2009 fait suite à deux millésimes plus frais et plus difficile pour la maturation des rouges. Il fallait donc urgemment goûter les vins du Domaine de Vens-le-Haut après leur mise, et je remercie Georges Siegenthaler d’avoir bien voulu m’envoyer des flacons de ses trois cuvées 2009 fin août.
Profitant d’une soirée à la Taverne Alsacienne avec des amateurs, bloggeurs et vignerons alsaciens, nous avons précédé le diner d’une dégustation, en ajoutant à lé sélection quelques vins qui m’avaient beaucoup marqués lors de la dégustation au syndicat d’Apremont en Avril dernier.
Le Blanc
En guise de mise en bouche, le seul blanc produit par le Domaine de Vens-le-Haut, dégusté quelques jours après les autres.
Vin de Pays d’Allobrogie Molette 2009 – Domaine de Vens-le-Haut : La molette est un cépage très local cultivé autour de Seyssel, un cousin du gringet semble-t-il, avec lequel on fait du mousseux. Issu d’une vieille vigne, cette cuvée 2009 se présente avec une robe brillante, un nez floral de bonne intensité, qui évolue rapidement sur des notes de fruits à chair blanche avec une pointe d’anis. La sensation qui marque l’attaque en bouche est la pureté du vin, suivi par le gras et l’équilibre entre la fraîcheur d’une acidité mûre et le gras, le vin étant vinifié sec. La bouche est gourmande et sapide, chaque gorgée de vin en appelant une autre. La fin de bouche possède une bonne longueur et une légère salinité. Le millésime 2009 et ses fortes chaleurs a produit des blancs trop souvent déséquilibrés, c'est-à-dire récoltés trop tôt et marqués par la verdeur, ou récolté trop tard avec de la lourdeur voire une dose sensible de sucre résiduel. Il faut reconnaitre que le climat n’a pas toujours permis partout l’existence d’une zone optimale de récolte, le raisin passant du stade « trop tôt » au stade « trop tard » très rapidement. Cette molette est exemplaire d’une parcelle qui a pu murir parfaitement, en partie à cause de l’altitude des vignes. Des rendements réduits, un sacré tri à la vigne et un élevage sur lies lui ont donné l’harmonie et la finesse d’un grand vin blanc. Probablement la plus belle molette produite par le domaine depuis ses débuts. 15.5/20 (7€)
Les Gamays
Les gamays dégustés cette année étaient tous magnifiques, et s’il fallait en conserver trois parmi les cuvées mises en bouteille au printemps, la sélection fut simple : le vin de la cave de Chautagne gouleyant à souhait, et un exceptionnel rapport qualité prix (5€ départ cave). Le Chautagne rouge issu de gamay de Jacques Maillet, au fruité surprenant d’intensité, et la cuvée vieilles vignes des frères Saint-Germain, superlative dans la qualité. La cuvée du domaine de Vens-le-Haut marque une nette différence de style avec les deux premiers vins à cause de sa concentration, et avec le troisième vin à cause de son élevage sous bois qui le marque encore aromatiquement. A l’instar des autres cuvées élevées une année ou presque c’est un vin qui se bonifiera sur les trois prochaines années. Un vin à conserver en cave en buvant des vins plus légers pour bien finir l’été 2010.
Vin de Savoie Chautagne Gamay 2009 – Cave de Chautagne : un vin savoureux au nez de violette et de cerise, pur et souple en bouche avec une bonne concentration et une texture veloutée qui ne manque pas de fraîcheur. Un gamay gourmand très réussi en 2009, à boire de suite. 14.5/20 (5€)
Vin de Savoie Chautagne 2009 – Jacques Maillet : le premier nez surprend par sa forte intensité et ses arômes entêtant de cassis et de cerise griotte. La bouche est dense, pure avec un fruité acidulé très plaisant, qui donne de la sapidité au vin. A boire légèrement frais. 15/20 (9.8€)
Vin de Savoie Gamay Vieilles Vignes 2009 – Domaine Saint-Germain : la robe est profonde avec des reflets violacés, tranchant nettement avec les deux vins précédents. Le nez est très parfumé, typé gamay avec ses notes de violette, de pivoine et de petits fruits, évoluant sur une bouche dense, souple et marquée par des tanins gras qui apportent de la charpente au vin. Une cuvée gourmande, très réussie en 2009, qui évoluera bien sur les prochaines années et supportera la garde. 15.5+/20 (5.4€)
Vin de Savoie Gamay 2009 – Domaine de Vens-le-Haut : La robe est profonde, brillante avec un disque épais. Le premier nez est marqué par l’élevage en contraste avec les autres vins, puis dominé par les petits fruits noirs. La bouche est dense, corpulente, riche pour un gamay avec des tanins gras encore fermes. La maturité est parfaite sur ce vin à garder un an en cave au moins, et à laisser vieillir si cela est possible, compte tenu du petit nombre de flacons produits. 15.5+/20 (9€)
Les Mondeuses
Cépage savoyard depuis longtemps, la mondeuse arrive généralement à bien murir physiologiquement en restant à des degrés alcooliques raisonnables (en dessous de 12 degrés d’alcool pour un vin qui apparaît capiteux). Les millésimes chauds comme 2003 ou 2005 peuvent donner des grands vins, à condition de choisir la date des vendanges en fonction de la maturité des raisins (quitte à attendre et à laisser grimper le degré alcoolique potentiel), et de vinifier en s’adaptant à la concentration des moûts et à la qualité des tanins. A coté des grandes réussites on trouve encore des vins dilués dont le soleil a flétri les raisins, permettant de produire un vin sombre et tannique qui peut impressionner les amateurs de poivre ou les optimistes qui pensent que le fruit finira par apparaître après une longue garde. En plus des classiques cuvées du Domaine Grisard et de Gilles Berlioz, j’ai voulu regoûter la mondeuse 2009 de Frédéric Giacchino qui j’avais mal dégusté en avril dernier. Une fois de plus la densité et l’élevage du vin du domaine de Vens-le-Haut tranche avec les cuvées plus légères, et il faudra désormais regoûter cette mondeuse 2009 à coté des stars du vignoble produites à Chignin, Arbin ou Saint Pierre d’Albigny.
Mondeuse 2009 – Domaine Giachino : une mondeuse légère marquée par le poivre et les épices au nez, tendre en bouche avec du corps et du gras. Un petit manque de maturité donne des tanins secs en finale. Un vin qui gagnerait à avoir plus de matière, mais comme il s’agit de la première mise, elle est destinée une consommation rapide. 13.5/20 (12€)
Mondeuse Vieille Vigne 2009 – Domaine Grisard : Le nez est avenant, fruité sur les fruits noirs. La bouche est souple avec des tannins murs et une belle acidité, mais le vin se montre moins ample qu’en Avril avec une finale sèche sur le poivre. 15/20 (5.2€)
Mondeuse 2009 – Gilles Berlioz : Les jeunes vignes de la parcelle nouvellement plantée sur Chignin ont donné un vin généreux en 2009, fruité au nez avec une légère trace végétale, puis tendre en bouche avec des tanins fins. 15/20 (20€, épuisé)
Mondeuse 2009 – Domaine de Vens-le-Haut : Le nez est corsé, épicé avec un boisé présent, tirant sur la vanille à l’aération. La bouche est dense, profonde avec des tanins riches qui se montrent encore légèrement secs. Une cuvée bien née qu’il faudra attendre, à l’instar de toutes les grandes cuvées 2009. Le vin se montrera alors certainement encore supérieur au grand 2006. 16+/20 (9€)
Petite cerise sur le gâteau : une mondeuse 1986
Le chef de la Taverne Alsacienne a retrouvé une vieille bouteille de mondeuse 1986, du domaine Prieuré Saint Christophe (Michel Grisard donc), que nous avons débouché avec grand plaisir pour terminer cette dégustation.
Mondeuse 1986 – Domaine du Prieuré Saint Christophe : la robe a conservé un bel éclat avec des nuances tuilées sur une dominante rubis. Le nez complexe se dévoile par palier, sur la truffe noire, la suie, l’olive noire, évoluant en bouche à la façon d’un grand saint joseph sur un équilibre patiné, tendre et pur. La longue finale démarra sur la myrtille et la mûre, avant de dévoiler un florilège d’épices dont le poivre noir et le safran. Une magnifique bouteille qui a bien évolué. Bravo à Michel Grisard 17/20
En perspective
Les vins du Domaine de Vens le Haut montrent une fois de plus qu’ils font bien partie des meilleurs vins de Savoie. Sur le grand millésime 2009 qui n’était pas sans difficultés, ils montrent une grande maîtrise dans la vigne et en cave, confirmant que l’excellence s’obtient par une attention de tous les instants à tous les stades de l’élaboration du vin. Offrant des rapports qualité prix exceptionnels ce sont des vins que les heureux acheteurs pourront encaver quelques années. Si vous êtes de passage en Savoie le 5 septembre 2010, n’hésitez pas à monter au Crêt à Seyssel. http://www.domainedevens.com
Thierry Meyer
Pour connaître la signification des appréciations (Bien, Très Bien…) et des notes chiffrées, cliquer ici