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Le Millésime 1968 – Confrérie Saint-Etienne

18 Mai 2006


Millésime difficile dans tous les vignobles de France, l’année 1968 a plus marqué les esprits à cause des grèves du mois de mai que pour son vin, l’année étant entourée par trois beaux millésimes 1966, 1967 et 1969. La dégustation des vins du millésime 1968 au Château de Kientzheim faisait suite à une campagne de rebouchage des bouteilles stockées dans l’oenothèque de la confrérie Saint-Etienne le week-end précédent, permettant de faire une sélection des bouteilles. Blanck, Hugel, Josmeyer, Trimbach, Zind-Humbrecht, les ténors de la région étaient au rendez-vous avec de très belles bouteilles.



 Le week-end s’annonçait bien après la dégustation d’un gewurztraminer 1968 de Josmeyer en novembre dernier, et la dégustation plus récente d’un gewurztraminer de Paul Ginglinger :


Gewurztraminer 1968 – Paul Ginglinger (Eguisheim) : la robe est de nuance jaune dorée très intense avec des reflets ambre, très brillante avec des jambes épaisses. Le nez est de bonne intensité, complexe et fondu avec des arômes de fruits secs, de miel, de fleur séchée et de noix, ainsi que des notes de safran. Le nez gagne en netteté et en intensité après aération de quelques minutes, puis perd légèrement d’intensité. La bouche est souple à l’attaque, puis très pure avec une acidité présente combinée à une matière bien concentrée, donnant un équilibre aérien qui laisse apparaître des arômes de miel et de fleurs séchées. Il y a peut-être du sucre dans ce vin, mais il est tellement fondu qu’on ne le sent pas. La fin de bouche est nette, légèrement amère avec une pointe d’alcool, et possède une longue persistance sur des notes plus évoluées de feuilles de tabac et d’encaustique. Un vin bien né dans un millésime très difficile, qui 38 ans plus tard se retrouve porté par son fruit et sa minéralité. Un très beau flacon dans l’absolu, et un miracle pour le millésime. Très Bien


L’année 1968 a été marquée par un printemps beau mais été médiocre, froid et humide. Les vendanges ont commencé le 14 octobre sous la pluie, et seuls les vignerons qui ont su attendre les beaux jours ont récolté des vins concentrés et très murs. Le reste de la récolte a des taux de sucre moyens, et de fortes variations ont été constaté en fonction de la nature des sols, les vignes sur terroir calcaire ayant mieux supporté le mauvais temps. La récolte est assez importante, avec un rendement moyen pour la région de 87.4hl/ha.


Sylvaner 1968 – Paul Blanck (Kientzheim) : La robe est jaune citron, avec des reflets dorés. Le disque est de bonne épaisseur. Le nez est d’intensité moyenne, dans un registre évolué avec des arômes de feuille séchée, d’encaustique, de paille et de cuir. La bouche est sèche et vive en attaque, puis devient plus harmonieuse avec du gras et une bonne fraîcheur. Le vin est léger, avec une finale courte. La structure en bouche tient ce vin même 38 ans plus tard, et il évoluera probablement peu sur les 10 prochaines années. Bof


Sylvaner 1968 – Cave de Hunawihr : La robe est intense avec une nuance jaune dorée. Le nez est ouvert et de bonne intensité, avec des arômes d’encaustique, de cuir et de paille, évoluant en conservant de l’intensité sur des notes plus fraîches de menthe sèche avant de tomber rapidement. La bouche est sèche en attaque, épicée, prenant progressivement du gras en restant sèche. La concentration est plus élevée que dans le vin précédent, mais la complexité reste moyenne et la finale courte. Un vin plus ouvert que le précédent, mais d’évolution plus rapide à l’aération. A boire sans trop tarder, dans les 5 ans. Bof.


Pinot 1968 – Paul Blanck : La robe est jaune citron, avec des reflets verts. Le nez est discret et manque de netteté : on perçoit une note liégeuse derrière des arômes de papier journal et de fleur d’acacia, sans évolution de l’intensité à l’aération. L’attaque en bouche est franche, puis le vin se fait plus gras avec une bonne richesse, finissant sur des notes mentholées avec une longueur moyenne. La bouche possède un bel équilibre acide/alcool, dommage que le nez manque de netteté. A regoûter, si le vin se montre plus net au nez la bouteille a le potentiel pour être conservée une dizaine d’années supplémentaire. Bien


Clevner 1968 – « Le Tonnelier de Bartholdi »  (Association de la bourse des vins, Colmar) : la robe est jaune clair avec des reflets verts. Le premier nez est discret, prenant de l’intensité à l’aération avec des arômes de fleur séchée, de cuir et de grange à foin. La bouche est moelleuse, en attaque, puis plus grasse et légère avec une acidité fine marquée et une petite minéralité qui apparaît sur la langue. La finale est légèrement végétale, assez courte. Un vin qui se tient encore bien, qui devrait bien se boire sur les 10 prochaines années. Bien


Muscat 1968 – Cave d’Eguisheim : Le nez est ouvert, net et de bonne intensité, frais avec des arômes de menthe séchée, évoluant sur un registre plus vieux avec des notes de cuir, de foin et d’ail des ours. La bouche est sèche en attaque, puis légère et sèche avec une bonne acidité, terminant sur des notes fumées et réglissées dans la courte finale. Un muscat très vieux  à boire sans trop tarder pour profiter de sa fraîcheur avant que le nez n’emporte tout. Bof


Muscat 1968 – Preiss-Henny (Mittelwihr) : La robe est jaune doré, avec de légers reflets verts, et une belle brillance ? Le nez est ouvert et net, avec des arômes de menthe sèche, de buis et de fruits secs, possédant encore beaucoup de fraîcheur. La bouche est moelleuse en attaque, puis de bonne concentration, avec une acidité mûre très présente. La finale est parfumé et longue avec des arômes de d’herbe coupée, de buis et de fruits de la passion. Un muscat (probablement issu en majorité muscat d’alsace) récolté mûr, qui se montre riche et gras avec une bonne structure. Un vin qui se boira probablement ben sur les 10 prochaines années. Bien


Riesling 1968 – Cave d’Eguisheim : La robe est intense, de nuance jaune citron avec des reflets dorés. Le nez est discret simple avec des arômes d’anis étoilé. La bouche est grasse en attaque, puis plus vive, avec une bonne maturité et un fruit très présent. L’acidité accompagne la longue finale sur des arômes de citron et d’orange. Un vin de très bonne tenue, équilibré set sapide, qui tiendra 15 ans sans problème. Très Bien


Riesling Grand Cru 1968 – Hugel et Fils (Riquewihr) : La robe est profonde, de nuance vieil or, avec une forte viscosité. Le nez est parfumé, complexe, initialement dominé par des arômes de cire, de fumée et de bois sec, mais évoluant par paliers vers des arômes de mirabelle et de pain grillé. La bouche est moelleuse en attaque puis très mûre, cristalline avec une bonne acidité et une forte minéralité, avec une surmaturité évidente. La finale est de longueur moyenne avec une présence d’alcool. Un vin demi-sec qui possède une bonne chaire, et qui 38 ans après se montre net et fondu. La mention « Grand Cru » correspond à l’actuelle gamme « Tradition », et une partie des raisins est issue dans ce vin de vignes sur le Schoenenbourg dont il reprend l’acidité, la profondeur et les notes fumées. Un vin qui ne décline pas, qui devrait bien se boire dans les 15 prochaines années. Le Riesling Hommage à Jean  Hugel 1998 suivra-t-il le même destin dans 30 ans ?  Très Bien


Riesling Clos Sainte-Hune 1968 – Trimbach (Ribeauvillé) : La robe est jaune dorée, très brillante. Le nez est net mais initialement discret, avec des arômes de fleur d’acacia, de miel et de pêche blanche qui prennent de l’intensité à l’aération. La bouche est moelleuse en attaque, puis très grasse et riche, avec une acidité fine qui apparaît lentement et donne beaucoup de puissance à la longue finale. Le vin est d’une jeunesse incroyable, dans un style à la fois très mûr et puissant qui lui permet de traverser les âges sans problème. Un vin qui devrait se maintenir à ce niveau une bonne vingtaine d’années, mais qu’il faudra suivre régulièrement car l’évolution dans le verre sur l’heure qui suit montre une fatigue du nez. Dommage de ne pas avoir dégusté ce vin à l’aveugle, ayant reconnu l’étiquette. Excellent.


Pinot Gris 1968 – Heim (Westhalten) : La robe se pare de nuances vieil or, avec des reflets orangés et une belle brillance. Le nez est discret, sur un registre empyreumatique avec des notes de sous-bois à l’aération. La bouche est grasse et légèrement moelleuse en attaque, puis légère et marquée par une fine minéralité. La finale est fondue, longue et soutenue par une acidité fine. Un vin fin très peu évolué, qui devrait continuer sa belle vie sur les 15 prochaines années. Très Bien


Tokay d’Alsace 1968 Zind-Humbrecht (Turckheim) : La robe est jaune doré très brillante. Le premier nez est discret, poussiéreux, évoluant avec plus de netteté et plus d’intensité à l’aération sur des notes de surmaturation, de fruits sec et de sous-bois. La bouche et moelleuse en attaque, puis acidulée, grasse et fumée, évoluant sur une matière grasse et concentrée. La longue finale prend des notes d’anis et de fumée. Un vin très riche, encore en pleine forme, qui se gardera 20 ans au moins. Très Bien.


Gewurztraminer 1968 Robert Faller (Ribeauvillé) : La robe est or pâle avec de légers reflets verts. Le premier nez est net, intense et très complexe, avec des arômes d’épices orientales et de menthe séchée, évoluant à l’aération sur des arômes de poivre noir, de rose fanée, d’écorce d’orange et de réglisse. La bouche est grasse en attaque, puis fondue et gardant une bonne fraîcheur avec des arômes de rose fanée. La concentration est bonne, et la longue finale est très douce avec des notes de réglisse, sans l’amertume qu’on trouve parfois dans le gewurztraminer. Le vin est riche, très pur et très sapide, et ne parait que très peu évolué. Un équilibre irréel pour le millésime, dans un style différent des vins de Josmeyer ou Paul Ginglinger. Un vin qui se conservera au moins 20 ans au vu de sa vitesse d’évolution. Ce sera le coup de cœur de la soirée avec le moins inattendu riesling Clos Sainte Hune.  Excellent


Gewurztraminer 1968 Josmeyer (Wintzenheim) : La robe est jaune dorée. Le nez est parfumé, net avec une évolution sensible, sur des arômes de menthe sèche, de cuir et d’encaustique, évoluant à l’aération sur des notes empyreumatiques. La bouche est grasse, dense et structurée avec une belle acidité, évoluant sur un registre minéral. La fin de bouche est longue, ample avec des arômes de poivre, de cannelle et de feuille de tabac. Superbe vin très complexe, qui se montre su ce flacon un peu plus évolué que le précédent. Si cette bouteille est représentative de la cuvée, il faudra boire le vin dans les 10 ans. Très Bien


Une fois de plus, superbe dégustation haute en couleur. La date de récolte était primordiale pour réussir ce millésime, et une bonne maîtrise de la pourriture essentielle sur le gewurztraminer pour pouvoir le récolter tardivement. Les vins dégustés se présentent très bien, avec des niveaux d’évolution plus que corrects, qui permettent d’imaginer une garde supplémentaire de plus de 10 ans pour les cépages nobles. Le travail des vignerons a ici porté tous ses fruits, et 38 ans plus tard le résultat est étonnant. Cette dégustation renvoie également à l’horizontale du millésime 1976 organisé plus tôt cette année. Les pinots gris et gewurztraminers se montraient plus vieux, confirmant l’évolution parfois rapide de ces cépages dans les millésimes très chauds.


L’analyse des notes de dégustation sur ces vins montre une bonne capacité de vieillissement de tous les cépages. Si les sylvaners, pinots blancs et muscats ont des nez plus évolués que les autres, la structure en bouche conserve souvent un bon équilibre sans être décharné. Les arômes du nez évoluent souvent beaucoup à l’aération du vin. Les robes conservent des nuances jaunes souvent très claires, sans oxydation prématurée, ce qui est remarquable sur des vins de presque 40 ans. Une dégustation qui montre que même dans un millésime très mal noté, on trouve de belles cuvées. Les vieux millésimes réservent décidément de belles surprises en Alsace.


Thierry Meyer


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