L'Oenothèque Alsace

Masterclass Alsace de l’Hiver 2009

5 décembre 2009
Les 4 masterclass de l’année se doivent d’avoir une grande variété de thématiques, et si l’une d’entre elles était consacrée aux seuls vins du millésime 2007, le meilleur moyen d’organiser les autres est de proposer plusieurs thématiques. Trois thèmes étaient proposés pour la session d’hiver : les vins d’Alsace pour les fêtes, les terroirs du pinot gris, et l’apogée des muscats du millésime 2004.

Thème 1 : Vins d’Alsace pour les fêtes : bons conseils et erreurs à éviter

Les fêtes de fin d’année sont placées de plus en plus sous le signe de la digestibilité. Fini les marathons roboratifs que nos ancêtres savaient ingurgiter après des semaines de dur labeur, plus que jamais il est important de choisir le bon vin en fonction du contexte, mais également des plats servis. L’objectif est que chaque plat et chaque vin servis soient accueillis avec plaisir par les convives tout au long du repas. Dans le cadre d’une tablée composée d’amateurs de vin à des degrés divers, il va falloir servir des vins faciles à boire, consensuels, qui plairont à toute la tablée.

Pour débuter le repas rien ne vaut le crémant d’Alsace, à condition qu’il soit de qualité. Le goût acerbe des raisins pas mûrs, largement dosé pour faire passer la pilule laisse de très mauvais souvenirs à de nombreux estomacs, et c’est certainement suite à de très mauvaises expériences que certains convives annoncent de but en blanc « ne pas boire de bulles ». Un crémant de qualité issu de chardonnay est de nature à réconcilier tout le monde. Telle la cuvée Rotenberg 2006 de Jean-Claude Buecher à Wettolsheim, exemplaire dans l’équilibre mûr et aérien, mais on trouve d’excellentes cuvées au dosage généralement modéré sur ce cépage chez René Muré (cuvée Clos Saint Landelin millésimé), E. Boeckel, Fernand Engel, mais aussi Wolfberger ou Arthur Metz. Le crémant rosé a la côte en ce moment, mais les cuvées sont souvent très dosées et sont à réserver au dessert plus qu’à l’apéritif.

Les mollusques et crustacés de début de repas appellent généralement des vins secs et gras, pas trop acides tant qu’on n’y ajoute pas de vinaigrette à l’échalote Des vins issus de terroirs calcaires qui s’accordent d’autant mieux avec des coquillages que leur minéralité est affirmée. Avec une bonne buvabilité, une certaine légèreté qui s’accommode très bien des mets dégustés à la main, le sylvaner de terroir marno-calcaire ou calcaire est un vin de choix. Le Sylvaner Clos de la Folie Marco 2008 du Domaine Hering à Barr est une cuvée parfaite, saline et élégante. D’autres cuvées répondent également à ces critères, au domaine Agapé (Riquewihr), chez Jean-Marc Bernhard (Katzenthal), chez Barmès-Buecher (Wettolsheim), Léon Beyer (Eguisheim), voire la cuvée Vieilles vignes de la Cave de Beblenheim. 2007 et 2008 ont produit de belles cuvées au style très homogène, avec souvent un supplément d’acidité pour 2008.

Sur le poisson, rien ne vaut un bon riesling, mais comme pour le crémant, le (mauvais) riesling fait peur, il est indigeste : est-ce la raison de la grande consommation de bourgogne blancs en Alsace pendant les fêtes ? Le contexte du réveillon est peu propice à la découverte de grands terroirs racés, marqués par des amers ou des tanins, ou de très vieux millésimes, sauf si on invite des amateurs de vin. Gardez donc vos 71, 76, 83 ou 89 pour d’autres occasions, et tournez vous vers un riesling de terroir granitique, jeune et sec. Facile à boire, mûr avec une acidité immédiatement plaisante, c’est un vin qui plaira aux estomacs les plus fragiles. Le Riesling Grand Cru Brand 2007 de la Cave de Turckheim est exemplaire dans ce style, mais sur les granits on peut également se tourner vers Henri Schoenheitz (Wihr au Val), Armand Hurst (Turckheim), Claude Weinzorn (Niedermorschwihr), Jean Boxler (Niedermorschwihr), Felix Meyer (Katzenthal), Jean-Marc Bernhard (Katzenthal), les domaines Weinbach (Kaysersberg), Blanck (Kientzheim), voire  Beck-Hartweg (Dambach la Ville)

Sur la viande, bœuf ou gibier, le pinot noir alsacien est parfois à la peine sur un repas de fête, car son style est souvent fruité et léger. Réservez le pinot noir rosé ou léger à la tarte flambée, à la tourte, et aux diners plus légers des jours après les réveillons, en particulier pour ceux qui « ne boivent pas de blanc ». Pour avoir une alternative aux grands Rhônes, Bordeaux et Bourgogne, il faut un rouge concentré, élevé en barrique, doté d’une réelle matière et non simplement sur-extrait et inutilement boisé. Avec un sol calcaire proche de celui de la Bourgogne, le Bollenberg fait partie de ces terroirs de prédilection pour produire de grands rouges. La cuveé Weid 2006 de Lucien Albrecht  a été élevée en fût dont la moitié seulement sont neufs, donnant une cuvée très séduisante et facile à boire jeune. Valentin Zusslin et François Schmitt d’Orschwihr produisent également de grands rouges sur le Bollenberg, mais on peut également rechercher les bons crus sur d’autres secteurs, comme les rouges de Wettolsheim (Albert Mann, Barmès-Buecher, Stentz-Buecher), Riquewihr (Hugel), ou les cuvées issues du Furstentum chez Paul Blanck (Kientzheim) et Vincent Fleith (Ingersheim).

Lorsque vient la fin du repas, le n-ième vin est de nature à démotiver pas mal de convives. Les forets noires et autre génoises à la crème patissière laissent de plus en plus la place à des glace ou des génoises aux fruits et autres bûches légères sans excès de crème. Coté vin, mieux vaut rester sur cette même longueur d’onde, en oubliant les VT et SGN qu’on dégustera entre les repas, avec quelques gâteau de Noël. L’objectif est d’apporter de la fraîcheur, et un gewurztraminer jeune et aérien semble être une proposition consensuelle. Frais, exotique, avec un moelleux fin et mesuré, le vin se boire très facilement et accompagnera le dessert sans lourdeur. Le Gewurztraminer Vieilles Vignes Nothalten 2007 d’Armand Landmann possède une légère surmaturité, mais issu d’un terroir de grès, il possède également la finesse et l’élégance des vins qu’on déguste sans problème même en fin de repas. De nombreuses cuvées existent en 2007 et 2008, dotées d’acidités importantes qui leur donnent de la fraîcheur.

Dernier tour pour cette thématique avec un assemblage innovant de crémant et  de sirop d’épice, pour un Kiro Zépices de Noël très tendance, à apprécier sur des bredala de Noël. Histoire de rappeler que les périodes de fêtes sont propices à la dégustation de bonnes bouteilles pendant les repas ou en dehors.

Crémant Chardonnay 2006 – Jean-Claude Buecher : dégorgé en février 2009, originaire du Rotenberg c'est un crémant vineux au nez de biscuit et de fleurs blanches, net en bouche avec une bulle fine. Un crémant parfait à l’apéritif, mais qui se conservera tout le repas, en particulier sur des fruits de mer. 15.5/20

Sylvaner Clos de la Folie Marco 2008 – Domaine Hering : originaire d’une parcelle en contrebas du Kirchberg, c’est un sylvaner délicieux au nez de fleurs blanches, sec et élégant en bouche avec de la salinité. Parfait à table ou en toute occasion. 14.5/20

Riesling Grand Cru Brand 2007 – Cave de Turckheim : Un vin ample et élégant au nez très pur sur des notes florales, fin et salin en bouche avec une bonne pureté. Le léger moelleux est fondu et devrait s’estomper avec le temps. 16/20

Pinot Noir Weid 2006 – Lucien Albrecht : Originaire du Bollenberg et élevé en fût pour moitié neufs seulement, c’est un rouge concentré marqué par des arômes de fruits noirs et de fumée, dense en bouche avec des tanins mûrs. Un très bel élevage sur un beau vin de terroir pour une grande cuvée de rouge. 17/20

Gewurztraminer Vieilles Vignes Nothalten 2007 – Armand Landmann : Originaire d’un terroir de schistes sur argiles, c’est un vin élégant au nez de rose, ample et moelleux en bouche avec une belle pureté. Un équilibre proche d’une vendange tardive, qui conserve une forte salinité. Parfait jeune, il vieillira bien. 16.5/20

Kiro Zépices – L'Or du Terroir : un crémant aromatisé avec un sirop d’épices de Noël, cannelle, orange et gingembre, furieusement de saison. Le nez est marqué par la cannelle et le gingembre, avec une pointe de fruits acidulés, annonçant une bouche franche, au dosage modéré, qui combine idéalement la finesse de la bulle avec celle des épices. L’équilibre est quasi sec, et le mousseux est très digeste. En accompagnement d’un foie gras poêlé aux épices, ou tout simplement sur des bredele de Noël en revenant de ballade l’après midi, c’est en tout cas un assemblage à réserver au mois de décembre tellement son équilibre rappelle la fin d’année. Ne pas le servir glacé au sortir du réfrigérateur, ce qui aurait pour conséquence de faire sortir l’amertume de la cannelle et de l’écorce d’orange. 14/20

Thème 2 : Variations de terroir autour du pinot gris

Le pinot gris est cépage peu aromatique, souvent élevé sur lies ou récolté en surmaturité. Cépage précoce qui prend facilement la pourriture (parfois noble), il soufre depuis 15 ans d’une production de vins sucrés sans intérêt, éloignant les vins de la table de tous les jours. Pire que cela, la notion de terroir est souvent absente, la mention Grand Cru étant généralement synonyme de Pinot Gris plus sucré que les autres, surtout chez les gros producteurs à la gamme vaste.

Pourtant, si le terroir et le millésime vont influencer le caractère plus ou moins botrytisé, le terroir aura une forte influence sur l’équilibre gustatif comme les 5 vins dégustés vont le montrer. Avec l’Eichberg 2007 on découvre un équilibre profond et gras marqué par le terroir marno-calcaire dans un millésime de longue maturation sans surmaturité. Le Brand 2006 présente un équilibre sec et des arômes de froment loin des vendanges tardives. On retrouve la finesse des granits du Brand en bouche renforcée par le caractère sec du vin. Le Pinot Gris Thann 2005 est originaire des terres volcaniques du Rangen, et si le caractère praliné du millésime 2005 se sent fortement, la race du terroir ressort également bien. Enfin, sur le millésime 2002 au développement rapide du botrytis, les deux vins Wineck-Schlossberg 2002 et Altenbourg 2002  issus de terroirs granitiques et argilo-calcaire montrent le caractère fondamentalement différent des deux équilibres, montrant que derrière le caractère plus ou moins surmuri du cépage, le terroir est toujours présent lorsque le vin est bien né.

Pinot Gris Grand Cru Eichberg Trois Châteaux 2007 – Kuentz-Bas : le vin est élégant avec un nez floral, puis minéral en bouche avec de la pureté et une longe finale. 16.5/20

Pinot Gris Grand Cru Brand 2006 – Josmeyer : un vin magnifique au nez de fruit à chair blanche compotés et de vanille, ample et gras en bouche avec de la densité. Un vin techniquement sec remarquable de puissance et de finesse, avec une légère amertume en finale. 18/20

Pinot Gris Thann 2005 – Zind-Humbrecht : Issu de vignes sur la partie haute du Grand Cru Rangen (mais ce vin n'est pas revendiqué en Alsace Grand Cru !), le vin se montre déjà très ouvert avec des arômes fumés typiques du terroir volcanique. La bouche offre une minéralité et une acidité qui équilibrent fortement le sucre restant, donnant un vin tendu et racé. 16/20

Pinot Gris Grand Cru Wineck-Schlossberg 2002 – Vincent Spannagel : Le nez est parfumé, avec des notes de pierre à fusil, de fruits exotiques, d’agrumes et d’abricot. La bouche est assez moelleuse, fine et parfumée, avec un caractère fruité partagé entre les fruits exotiques et les agrumes confits, relevé par une acidité bien présente. La finale est longue et mielleuse. La bouche possède pas mal de minéralité, et un coté aérien qui dans ce millésime mur et frais permet un équilibre proche de la perfection pour ce cépage sur un terroir granitique. 17/20

Pinot Gris Altenbourg Cuvée Laurence 2002 – Domaine Weinbach : le nez se montre épicé et grillé, avec des notes fumées et une pointe de sous bois. La bouche est riche, ample avec un équilibre tendu par une acidité fine et un moelleux bien fondu. Baigné dans des arômes généreux de miel et de pralin, les notes grillées et fumées accompagnent la longue finale. 16/20

Thème 3 : L’apogée des muscats du millésime 2004

Vin de fruit à consommation rapide, le muscat 2004 est il aujourd’hui encore à maturité ou déjà trop vieux ? Une dégustation de plusieurs vins d’origine et d’ambition différente permet de comprendre que derrière le simple cépage et le millésime, le terroir sera de nouveau le critère discriminant.

Dans la série des vins fatigués, les vins étrangers sortis de la cave  pour l’occasion montrent que le muscat sec est un prétexte à produire des vins légers (pour ne pas dire dilués)  à boire sur leur fraîcheur aromatique dans l’année qui suit la mise en bouteille. Le Dry Muscat de Brown Brother en Australie aurait du être bu entre 2004 et 2006 dixit la contre-étiquette. Le Muscat Ottonel de Pundel-Hoffelt au Luxembourg était en sérieux déclin, mais gardait encore des traces de sa fraîcheur passée. Si ces deux vins fatiguaient pas manque de matière, le Muscat de Pierre Frick était simplement oxydé.  Problème de bouteille (le bouchage par capsule couronne est pourtant réputé pour la longévité de son étanchéité), ou évolution naturelle d’une cuvée faiblement soufrée ?

Après les vins fatigués, les vins entre deux eaux, survivant vaillamment, sans que le temps ne les ait bonifiés. Le Muscat de la Cave du Roi Dagobert possède encore une bonne tenue, certainement grâce à son origine des terroirs marno-calcaires de Traenheim. Le Muscat de Hugel possède également de la tenue, le caractère herbacé du muscat d’Alsace permettant une conservation élégante et la bonne origine du raisin permetant d’avoir une bonne structure. Le Muscat Bergheim de Marcel Deiss a été parfaitement bien récolté et vinifié. Mais dans ces trois cas, le vin a perdu de son croquant, et s’il a bien tenu le temps, les 3-4 années de garde ne l’ont pas amélioré.

Deux vins de terroir vont montrer l’intérêt d’un vieillissement. Le Muscat de Laurent Barth est originaire du grand cru Marckrain pour une grande partie, il montre la profondeur et la race du cru avec des notes fumées qui apparaissent. Le Muscat Grand Cru Saering de Dirler joue tout simplement dans une autre catégorie, celle de l’appellation Alsace Grand Cru. Un terroir à majorité de grès , légèrement recouvert de calcaire, a produit un vin sec qui prend touts ses lettres de noblesse en bouche, le caractère variétal du muscat laissant la place à la fine salinité du Saering, avec un équilibre moins acide qu’un riesling. Dans ces deux cas, le terroir prend le pas sur le cépage, et plus qu’un vin léger et croquant délicieusement apéritif, ce sont des cuvées à réserver à la table, avec les mêmes accords qu’on réserverait aux rieslings grand cru.

Au final, les muscats 2004 ont connu des évolutions très variées, et il faut être sur de l’origine du vin pour savoir s’il vaut mieux les boire tout de suite après l’achat, dans le années qui suivent, ou si le vin a un intérêt à être conservé plus longtemps.

Muscat 2004 – Cave du Roi Dagobert : un vin léger et franc, aérien en bouche avec une bonne densité. La finale est légèrement amère. Bien
Muscat Ottonel Machtum Hohfels 2004 – Pundel Hoffelt : le vin a pris des notes de menthe sèche typique des muscats évolués, et se montre très léger en bouche. Un léger liège vient encre diminuer le plaisir de ce vin. Bof

Muscat Tradition 2004 – Hugel et Fils : Un muscat net et aromatique au nez de résine et de menthe, sec en bouche avec de la densité, prenant un caractère épicé en finale. Une bonne tenue. Bien

Dry Muscat 2004 – Brown Brothers (Milawa, Australia) : vert et pétrolé au nez, le vin se montre décharné en bouche avec une sensation de dilution très forte. A passé son apogée depuis longtemps. Beurk

Muscat 2004 – Pierre Frick : évolué au nez avec des arômes de froment et de cire, le vin se montre mou en bouche avec une finale sur le coing. Désagréable. Beurk

Muscat Bergheim 2004 – Marcel Deiss : assemblage 50%/50% de muscat d’Alsace et muscat Ottonel, le vin se montre encore frais avec des arômes de raisin qui prennent une note plus citronnée voire qui tire sur la citronnelle. La bouche est sapide, fine et élégante avec une acidité encore bien présente. Très Bien

Muscat 2004 – Laurent Barth : le nez reste aromatique mais prend des notes fumées et d’herbe sèche, la bouche se montre profonde, minérale, avec une vraie charpente acide et du corps. Un muscat qui a passé son stade jeune et croquant mais qui entre dans une dimension gastronomique d’un autre calibre. Très Bien

Muscat Grand Cru Saering 2004 – Dirler : Un vin élégant, qui a perdu de son caractère primeur pour prendre des arômes fins de fleur d’oranger et de silex, droit et tendu en bouche avec une salinité qui fait saliver. Un grand cru Saering tout en finesse, à réserver à une cuisine printanière rehaussée d’herbes fraîches. Excellent

Thierry Meyer

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