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Les coups de coeur du printemps – Spécial millésime 2006 (14/06/08)

Après avoir goûté près d’un millier de vins du millésime 2006 depuis l’année dernière, un constat est clair : le millésime 2006 est l’un des plus hétérogènes en Alsace. Si d’un coté de nombreux vins manquent de netteté, avec les notes de champignon qui signent trop souvent le résultat d’une vendange à l’état sanitaire fortement dégradé, les grandes réussites du millésime comptent déjà parmi les plus grands vins produits dans la région et se montrent parfois supérieurs aux grands vins du millésime 2005, plus homogène du Nord au Sud de l'Alsace.

C’est tout le paradoxe d’un millésime qui s’annonçait comme grand jusqu’à ce que les pluies et les températures chaudes de fin septembre favorisent le développement rapide de la pourriture. En choisissant les cuvées d’exception chez les producteurs qui ont réussi intégralement leurs 2006, la dégustation visait à étalonner les palais des participants en goûtant ce que le millésime avait produit de grand.

Les 20 vins dégustés ont bien plus que rempli leur mission, une manière d’encourager à goûter les vins de 2006 avant de les acheter, plutôt que de faire l’impasse en attendant le prometteur millésime 2007.

Lire le compte rendu des vins suivants :

  • Alsace 2006 – Marcel Deiss
  • Pinot Blanc Réserve 2006 – Domaine Weinbach
  • Muscat Tradition 2006 – Hugel et Fils
  • Gewurztraminer 2006 – Ginglinger-Fix
  • Sylvaner Z 2006 – Paul Kubler
  • Riesling Réserve 2006 – Trimbach
  • Riesling Gueberschwihr 2006 – Zind-Humbrecht
  • Riesling Grand Cru Kessler Heisse Wanne 2006 – Dirler-Cadé
  • Riesling Grand Cru Sommerberg "D" 2006 – Albert Boxler
  • Gewurztraminer Bollenberg 2006 – Valentin-Zusslin
  • Pinot Gris Clos Rebberg 2006 – Marc Kreydenweiss
  • Pinot Gris Grand Cru Eichberg 2006 – Paul Ginglinger
  • Pinot Gris Grand Cru Muenchberg 2006 – André Ostertag
  • Pinot Gris Grand Cru Marckrain 2006 – Martin Schaetzel
  • Grand Cru Altenberg de Bergheim 2006 – Marcel Deiss
  • Gewurztraminer Grand Cru Hengst 2006 – Josmeyer
  • Pinot Noir Grand P 2006 – Albert Mann
  • Gewurztraminer Vendanges Tardives 2006 – Hugel et Fils
  • Pinot Gris Grand Cru Rangen de Thann Vendanges Tardives 2006 – Domaine Schoffit
  • Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé SGN 2006 – Agathe Bursin

Le paradoxe du millésime s’explique par un retournement de situation tardif, qui rappelle que tout se joue avant les vendanges en Alsace.

L’année avait bien commencé, avec un printemps frais marqué par des mois d’avril et mai froids et humide. Juin et juillet purent être plus chauds et secs sans causer de stress hydrique. Dès la fin du mois de juin on envisageait les vendanges en août, parfois plus tôt qu’en 2003. Puis août se montra frais et humide, ralentissant le cycle de maturation des raisins de manière à améliorer la qualité de l’acidité. En clair, la maturation physiologique pouvait se poursuivre sans que le degré de sucre ne monte trop. Le soleil de septembre  était de bonne augure, et mi-septembre le vignoble était optimiste : un état sanitaire bon, une maturation en légère avance sur le millésime 2005, et surtout de très belles acidités. Les premières vendanges de raisins pour le Crémant et les pré-vendanges sur les parcelles les plus précoces rendaient tout le monde optimiste.

Puis le temps vira après la mi-septembre. Un épisode pluvieux très important le 17/18 septembre a arrosé l’Alsace  avec des précipitations qui atteignaient parfois en une journée la moyenne de ce qui tombe habituellement dans tout le mois de septembre. Les baies des raisins dont le cycle végétatif n’avait pas cessé se mirent à gonfler, voire parfois à éclater. Le botrytis s’installa rapidement, favorisé par les températures chaudes qui suivirent. La pluie se mit à tomber une nouvelle fois autour du 24/25 septembre, amplifiant le phénomène d’éclatement des baies et de développement de la pourriture. Après un nouvel épisode de chaleur, les pluies du 1 au 3 octobre ont donné l coup de grâce. Depuis plus d’une semaine le vignoble était en alerte, constatant le développement fulgurant de la pourriture grise, voire par endroit de la pourriture acétique : certaines vignes sentaient le vinaigre. Les coteaux en hauteur, plus frais, et les terroirs drainant de type gréseux ou granitiques, jusque là plus ou moins réservés de la pourriture, commencèrent à être affectés. Dans la panique, certains vignerons ont vendangé rapidement à la machine des raisins dont les peaux étaient extrêmement fragiles. D’autres ont attendu et récolté des raisins surmuris en essayant de trier le pourri du sain. Chacun à sa manière a essayé de gérer au mieux la crise, en sachant qu’il est toujours plus facile après coup de savoir ce qu’il aurait fallu faire si on avait su ce qui allait arriver !

Avec une qualité de vendange si variable, les options étaient nombreuses : ne pas vinifier, presser et vinifier les lots séparés, ou tout mettre ensemble et travailler avec la chimie pour nettoyer et clarifier les moûts. Sans renter dans les détails techniques, notons que les vins ratés ont un profil très varié :

  • l’état sanitaire moyen a donné des arômes de champignon
  • La surmaturité incontrôlée a donné des vins sucrés, lourds  et faibles en acidité
  • Certaine vinifications rapides ont monté le taux d’acidité volatile et donné parfois des vins alcooleux
  • Le pressurage excessif ou la vendange mécanique de raisins à la peau fragile a donné des tanins importants aux vins blancs
  • Le filtrage excessif, mécanique ou chimique, a donné des vins plutôt sains, mais aqueux. Souvenons-nous que la technique existe pour transformer une eau saumâtre et bourbeuse en eau potable incolore et inodore, on la rencontre dans les stations d’épurations…

Derrière ce tableau pessimiste qui décrit une grande partie de la production, les producteurs les plus chanceux, les mieux dotés en terrains drainants ou en terroirs précoces, ainsi que ceux dont le travail dans la vigne a permis une bonne maturation des raisins et une bonne prise de la pourriture, on produit des vin qui reflètent le grand potentiel qualitatif de ce millésime. Souvent pressés avec peu de force, les vins combinent une pureté aromatique remarquable et une pureté gustative cristalline. Ce sont des vins marqués par une acidité mure de grands qualité qui souligne la salinité des meilleurs terroirs, donnant un caractère gras et glissant à des vins secs. Les vins parfaitement vinifiés sont secs avec du gras, mûrs sans surmatuité. Cette pureté se retrouve dans les meilleures vendanges tardives et sélections de grains nobles réalisés avec des raisins ayant développé la pourriture noble.

La dégustation s’est déroulée à l’aveugle avec des vins de fruits, des vins de terroir, des grands crus et des vins moelleux.

Alsace

Alsace 2006 – Marcel Deiss : Assemblage des cépages alsaciens, le vin est sec, ample et mur avec une belle pureté. S’il fallait donner une image de l’appellation Alsace, ce vin la résume parfaitement : aromatique, sec en bouche avec de la densité, c’est un vin parfait pour toutes les occasions. L’échantillon dégusté présentait une légère sécheresse en finale et une note liégeuse qui le rendait moins grand que les précédents flacons dégustés. Bien

Pinot Blanc Réserve 2006 – Domaine Weinbach : floral au nez, ample en bouche avec une grande pureté, le vin est très séduisant avec un bel équilibre frais et gras. Très grande réussite dans le Clos des Capucins avec cette cuvée récoltée avant les pluies. Très Bien

Muscat Tradition 2006 – Hugel et Fils : un muscat très élégant au nez très net sur la fleur de sureau, fluide et très pur en bouche avec un caractère gras. Un vin sec cristallin qui possède le croquant des raisins mûrs et une fine salinité qui le rend très apéritif. Les muscats sont généralement réussis lorsqu’ils ont été récoltés tôt, et ils possèdent un croquant que les riches 2005 n’avaient pas toujours réussi à obtenir. Très Bien

Gewurztraminer 2006 – Ginglinger-Fix : Superbe expression fruitée du cépage avec un vin d’une grande pureté, intense et net au nez sur les épices et le litchi, avec une bouche tendre et très pure. Un vin terriblement séduisant, récolté pas trop tardivement pour préserver un fruit très net. On retrouve ici un parfait échantillon du travail soigné d’André et d’Eline Ginglinger. Très Bien

Vins de terroir

Sylvaner Z 2006 – Paul Kubler : Issu du Grand Cru Zinnkoepflé et élevé en fût, le vin est déjà ouvert avec un nez de miel de fleurs, pur et gras en bouche avec beaucoup d'ampleur. Un grand sylvaner de terroir sec et salin, élevé sur lies.  Le style aromatique peut l’éloigner de la typicité traditionnelle des vins d’Alsace, mais on est face à un superbe vin de terroir. Très Bien

Riesling Réserve 2006 – Trimbach : Assemblage de parcelle de grands terroirs, le riesling réserve possède un nez de fleurs blanches et d'agrumes, et une bouche ample qui possède du fond. C'est l'archétype du riesling sec de gastronomie avec une profondeur qui le rendra magnifique sur des poissons de mer. Une valeur sure dans tous les millésimes. Très Bien

Riesling Gueberschwihr 2006 – Zind-Humbrecht : Récolté mûr, le vin est très aromatique, avec une bouche ample qui possède du gras. Un vin savoureux, malheureusement marqué par une note de sous-bois qui dérange certains dégustateurs. La note est portée par le gaz carbonique, et disparaît partiellement à l’agitation . Bien

Pinot Gris Clos Rebberg 2006 – Marc Kreydenweiss : joli nez sur la noisette, bouche ample, finement acidulée avec un équilibre remarquable de pureté. Un vin sec à l'équilibre délicat, superbe de finesse, qui laisse cette sensation de douceur non sucrée en bouche comme seuls les grands 2006 savent faire. Le terroir de Schistes du Clos Rebberg a donné un vin mgnifique, déjà accessible. Excellent

Gewurztraminer Bollenberg 2006 – Valentin-Zusslin : un vin riche au nez de fleurs séchées et d’épices, qui possède une bouche sèche, ample et minérale avec une longue finale. Superbe profondeur pour un vin qui sera le compagnon idéale de la grande cuisine aux épices. Le terroir calcaire du Bollenberg est propice au développement de vins secs élevés sur lies, et 2006 offre une démonstration sans équivoque de ce que peut être un grand gewurztraminer. Très Bien

Grand Cru

Riesling Grand Cru Kessler Heisse Wanne 2006 – Dirler-Cadé : les parcelles au cœur du grand cru donnent une cuvée à part revendiquée de plus en plus systématiquement par le domaine . 2006 a donné un vin au nez mûr d’une grande netteté, minéral et cristallin en bouche avec une finesse incomparable. Une grande réussite supérieure au 2005, qui met en avant un magnifique terroir. Excellent

Riesling Grand Cru Sommerberg "D" 2006 – Albert Boxler : Issu de la parcelle sur le lieu-dit "Dudenstein", le vin est parfumé au nez avec des notes d'agrumes murs et de fumée, riche et très pur en bouche avec une finale saline d'une grande longueur. Un vin ample qui possède de la profondeur et une acidité fine très présente, la parcelle étant située sur des granits reposant sur un socle plus calcaire. Excellent

Pinot Gris Grand Cru Eichberg 2006 – Paul Ginglinger : Récolté sans surmaturité, net et sain au nez, voilà un grand pinot gris minéral, salin, élégant et de bonne puissance. Remarquable de netteté, l’élevage sur lies en partie réalisé en barrique lui apporte le gras nécessaire pour relever la profondeur du grand cru. Magnifique vin de terroir qui révèle dans un vin sec la finesse et a puissance de l’Eichberg. L’acidité est moins démonstrative que sur le Pfersigberg voisin, mais donne ici un pinot gris sec remarquable. Un style que le domaine devrait chercher à reproduire.  Excellent

Pinot Gris Grand Cru Marckrain 2006 – Martin Schaetzel : Elevé en barrique, le vin est marqué par le boisé et une note fumée au nez, puis se montre ample et profond en bouche avec une belle netteté. Un Marckrain de référence encore marqué par l’élevage, mais qui combine très bien le caractère puissant du terroir. A garder quelques années. Très Bien

Pinot Gris Grand Cru Muenchberg 2006 – André Ostertag : Un vin immense par son caractère profond et puissant : le nez est délicat, légèrement fumé avec des notes de thé, la bouche est très minérale, fine et  puissante avec une très forte salinité qui ressort en finale. Le vin possède un équilibre magnifique, mais bénéficiera d'une garde de plusieurs années. En 2006 le pinot gris se montre actuellement pus harmonieux que le riesling grand cru, et il faudra les regoûter dans quelques années en compagnie des 2005 et 2007 pour confirmer leur excellence. Excellent, voire plus

Grand Cru Altenberg de Bergheim 2006 – Marcel Deiss : Grand vin depuis toujours, grand cru complanté reconnu depuis peu, l'Altenberg 2006 suit l’exceptionnel millésime 2005 avec la même qualité poussée à l’extrême. Combinant un nez frais très mur à une bouche ample, minérale, encore riche mais d'une grande finesse, le vin résout parfaitement l'équation de la finesse et de la puissance. Un vin à garder pour qu’il absorbe sa richesse, mais qui exprime un caractère minéral exceptionnel. Excellent, au sommum

Gewurztraminer Grand Cru Hengst 2006 – Josmeyer : Magnifique vin mur au nez fruité, ample et profond en bouche avec une grande pureté. La puissance du vin est domestiquée par un élevage long sur lies qui lui donne une grande pureté en bouche. Un vin de garde déjà séduisant, qui dans cette dégustation s’est montré stratosphérique dans l’équilibre entre la pureté, la profondeur et la puissante. Excellent, voire plus

Pinot Noir Grand P 2006 – Albert Mann : Originaire du Pfersigberg, le vin possède un nez marqué par l’élevage en barrique et par des arômes de fruits mûrs et de fumée. La bouche est riche, concentrée avec beaucoup de sève, et une fraîcheur aromatique apportée par des petits fruits rouges frais. Un des plus grands pinots noirs produits en 2006. Excellent

Gewurztraminer Vendanges Tardives 2006 – Hugel et Fils : Marqué par la délicatesse d’un botrytis de grande pureté, le vin est déjà très séduisant avec un nez complexe de pralin, de rose et de fruits mûrs, et une bouche profonde, élégante et très nette. Le vin possède de la chair, ce qui donne un moelleux très tendre. Il faudra être très patient pour oser le garder 10 ans. Originaire en majorité de vignes sur le grand cru Sporen, voilà un vin de référence, véritable mètre étalon des vendanges tardives du millésime. Excellent, voire beaucoup plus.

Pinot Gris Grand Cru Rangen de Thann Vendanges Tardives 2006 – Domaine Schoffit : la robe est très foncée, le nez est très confit avec un caractère fumé et grillé intense. La bouche est liquoreuse, très fine avec une acidité très forte qui donne une légèreté inouïe à l'ensemble. La fin de bouche est longue sur les fruits confits. Un vin de grande garde à savourer pour lui seul, tant le contraste entre un nez qui annonce un vin très riche et la finesse de la bouche est grande. Excellent

Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé Sélection de Grains Nobles 2006 – Agathe Bursin : Le nez est marqué par la mangue, le litchi et la papaye avec une pointe de miel, la bouche est moelleuse avec un équilibre à la fois profond et aérien qui possède une grande finesse. La finale est longue sur le miel et les fruits exotiques. Un vin délicieux qui combine un grand terroir et un botrytis de qualité. A garder quelques années car il ne montre pas encore toute la plénitude du cru, mais voilà un vin bien né de grande garde, parfait pour mettre de coté lorsqu’on monte une cave pour un enfant né la même année. Très Bien

Une dégustation extraordinaire, véritable parcours de la Rote des Crêtes des Grands Vins alsaciens. Rarement une seule dégustation avait rassemblé autant de grands vins de fruit ou de terroir, au point que l’accoutumance a fini par faire oublier la qualité immense des vins dégustés. Ce sont les vins bus plus tard dans al soirée qui ont fait redescendre tout le monde sur terre.

La démonstration est claire qu’il y a de grands vins en 2006, et qu’il ne faut pas hésiter à déguster chez le vigneron pour  se rendre compte des excellents résultats qui ont été produits. Lors des dégustations, mieux vaut laisser au vin le temps de s’aérer, voire de monter en température pour vérifier la netteté aromatique, puis apprécier l’équilibre alcool/sucre/acide en bouche ainsi que la sensation de pureté en début et fin de bouche. Si tous ces indicateurs sont au vert, le vin est certainement très bon.

En l’absence de dégustation, les cépages précoces ont souvent bien réussi : muscat, sylvaner, pinot blanc ont donné des vins nets et mûrs. Les pinots gris et gewurztraminers sont magnifiques lorsqu’ils sont vinifiés secs,

D’autres producteurs dégustés cette année ont aussi réussis tous leurs 2006 mais on ne peut pas tous les goûter en une seule fois ! Citons parmi tant d’autres les domaines suivants :
– André Pfister (Dahlenheim)
– Bott-Geyl (Beblenheim)
– Paul Blanck (Kientzheim)
– Maurice Schoech (Ammerschwihr)
– Klee Frères (Katzenthal)
– Meyer-Fonné (Katzenthal)
– Claude Weinzorn au Domaine de l’Oriel (Niedermorschwihr)
– Vincent Fleith (Ingersheim)
– Et d’autres à venir qui n’ont pas encore toute leur gamme en vente

 Thierry Meyer

Pour connaître la signification des appréciations (Bien, Très Bien…), cliquer ici

Lire Ne surtout pas jeter les 2006, article de David Lefebvre paru le 20 juin 2008 dans l'Est Agricole et Viticole suite à cette dégustation

Lire le compte rendu de dégustation de quelques participants sur www.degustateurs.com