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Introduction aux vieux millésimes d’Alsace

21 novembre 2006 : dans la série de dégustations « Les Essentielles », la séance consacrée aux millésimes anciens a permis de découvrir le style que prennent les vins des différentes cépages après 10, 20, 30 vire 40 ans de garde. Revue en 9 vins de 1994 à 1966.

Les vins d’Alsace, connus après la deuxième guerre mondiale pour être des vins de consommation rapide, étaient pourtant des vins de garde par le passé. Lorsqu’on regarde les menus des banquets au 18 et 19e siècle, il n’était pas rare de servir des vins de 15, 20 voir 30 ans d’âge. L’augmentation de la productivité agricole, et donc des rendements dans l’agriculture moderne a permis de produire plus de vin, souvent au détriment de leur concentration et de leur capacité de garde. Le développement des cépages productifs à la fin des années 70 a complété la production de vins de soif, à boire frais dans les 3 ans suivant la vendange. L’apparition des grands crus, des vendanges tardives et sélection de grains nobles dans les années 80 a réservé la notion de vin de garde aux seuls vins moelleux ou aux cépages nobles. Pourtant les anciens se souviennent d’avoir goûté de très vieux sylvaner, auxerrois ou tokay. Pour découvrir le style que prennent les différents cépages, la descente des millésimes suit le rythme des décennies, tous cépages confondus.

On dit souvent qu’après dix ans de garde, il n’y a plus de grand vin, uniquement des grandes bouteilles. La variabilité du bouchage fait que chaque bouteille est unique, un mauvais bouchon laissant passer l’oxygène pouvant détériorer le vin de moins de 10 ans d’âge. Dans l’appréciation des flacons anciens, il faut donc essayer de faire la part des choses entre un vieillissement normal d’une bouteille de garde moyenne, et un défaut sur une bouteille de grande garde. Si un bon vin peut effectivement être accidentellement défectueux, l’inverse ne se produit jamais.

Pinot Blanc Grande Réserve 1994 – Cave Vinicole de Pfaffenheim : La robe est jaune doré. Le nez est ouvert, net avec des arômes de bouillon blanc, de fruits jaunes et une touche végétale. La bouche est  moelleuse en attaque, puis fruitée, ample avec une évolution peu marquée.  Une belle bouteille marquée par la surmaturité du millésime, mise en vente à la fin des années 90 par la cave de Pfaffenheim. Bien

Riesling Grand Cru Wiebelsberg 1985 – Remy Gresser : la robe est jaune doré avec des reflets verts. Le nez est discret, fumé avec une note de silex, gagnant en intensité et en complexité à l’aération avec une pointe d’herbe séchée. La bouche est sèche en attaque, fine et minérale avec une acidité très fine, évoluant sur au caractère plus gras avec une finale de bonne longueur. Le vin est élégant, moyennement corsé, mais montre un peu de fatigue sur ce flacon. Bien.

Gewurztraminer Wahlenbourg 1985 – Paul Ginglinger : Le bouchon de cette bouteille est trempé, avec un niveau sous le goulot assez bas. La robe est jaune doré intense. Le premier nez est pu engageant, sentant le renfermé, avec des arômes d’encaustique, de vieux bois, de grange. L’aération fait néanmoins du bien au vin, qui gagne en netteté et dévoile d’intéressants arômes de pêche, de coing et de miel. L’attaque en bouche est moelleuse, puis le vin se montre souple et fondu avec une évolution aromatique présente. L’équilibre est très beau et le vin conserve beaucoup de fraîcheur. Une bouteille légèrement gâchée par un bouchon défectueux, mais qui montre un grand vin qui dispose encore d’un bon potentiel de garde dans ce millésime classique. Très Bien

Riesling Les Murailles 1979 – Dopff & Irion : La robe est jaune paille foncé, avec des reflets verts. Le nez est minéral, sur des arômes de fleurs séchées et de poivron, avec une pointe d’encaustique et de fumée. La bouche est sèche, ample en attaque, puis fraîche avec une petite minéralité. Un vin très sec issu d’un beau millésime prou le riesling, qui évolue assez lentement. Bien

Riesling Cuvée Théo 1979 – Domaine Weinbach : Le niveau sous le goulot est plus bas que pour le Wahlenbourg. La robe est cuivrée, très foncée, suivie par un nez oxydé, sur la cire et la pomme blette. La bouche est riche, grasse mais oxydée, avec une finale sur la noix. Voilà malheureusement la description complète d’un vin oxydé, détruit par l’air qui est passé au travers du bouchon. Le vin n’est pas trop vieux, d’autres flacons de la même cuvée se montrant plus clairs et plus nets. Simplement la bouteille est défectueuse.

Klevner 1976 – Cave de Turckheim : La robe est cette fois plus claire, le nez ne montre pas de trace d’oxydation, mais un bouquet de fleurs et de liqueur de framboise qui est malheureusement gâché par une note liégeuse. La Bouche est fraîche en attaque, dense mais de nouveau altérée par le liège. Le bouchon était étanche sur ce flacon mais c’est le liège qui a joué des tours cette fois. Bouteille défectueuse.

Sylvaner 1966 – Paul Blanck : le bouchon est très beau, la robe est jaune clair, argentée avec des reflets verts. Le nez est de bonne intensité, un peu renfermé sur le végétal et le poivron au début il gagne en netteté à l’aération avec des arômes de mousseron, de citronnelle et de zeste d’agrumes. L’attaque en bouche est sèche, puis l’équilibre est gras, salin et très minéral avec un équilibre sec et épicé. La finale de longueur moyenne est minérale. Très beau sylvaner de 40 ans d’âge, en parfaite forme. Renseignements pris auprès de la maison, il s’agit d’un sylvaner planté sur une parcelle localisée sur ce qui est aujourd’hui le grand cru Furstentum. Bon sang ne saurait mentir. Très Bien

Muscat Cuvée II 1969 – Louis Sipp : la robe est claire, jeune beurre avec de belles jambes. Le nez est net, très frais et de bonne intensité, avec des arômes de menthe fraîche, de fleurs blanches, de chèvrefeuille et de chocolat. L’attaque en bouche est fraîche avec du croquant, puis dense et minéral avec une forte salinité. La longue finale confirme l’origine probable d’un beau terroir de ce vin qui se montre  parfait aujourd’hui. Excellent.

Gewurztraminer 1967 – Ringenbach-Moser (Sigolsheim) : Le bouchon et le niveau dans le goulot traduisent une belle conservation. La robe dorée est intense, profonde avec des reflets orangés. Le premier nez est ouvert, net sur l’encaustique, la feuille morte et les épices, puis gagne en pureté à l’aération avec des arômes de rose et de fruits jaunes. L’attaque en bouche est moelleuse, puis le vin se montre riche, ample et très soyeux, avec une fine minéralité. Le vin est superbe d’équilibre, au mieux de sa forme après 40 ans, avec une minéralité qui suggère un beau terroir (est-ce le Mambourg voisin ?) Excellent.

Comme souvent, les vins les plus âgés ne furent pas les plu vieux. La descente des millésimes ne se traduit pas par des vins de plus en plus vieux, la qualité du bouchage, des millésimes et des terroirs donnant parfois des vins âgés de grande jeunesse et vice versa. Approcher les vins âgés doit se faire avec respect, mais sans faire de concession sur un flacon défectueux, car malheureusement cela arrive. Notons le trio de vins des années 60, parfaitement conservés avec des équilibres d’une jeunesse remarquable. Seules quelques minutes d’aération sont nécessaires pour laisser ces vins enfermés pendant 40 ans dans une bouteille, suggérant un passage rapide en carafe pour un service à table. La vente aux enchères organisée par le Confrérie Saint-Etienne en 2006 est un moyen unique d’accéder à de vieux vins d’Alsace parfaitement conservés.

Thierry Meyer

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