7 octobre 2006 : si le crémant d’Alsace est souvent bu à l’apéritif ou au dessert, certaines bouteilles plus vineuses sont cataloguées comme « vin de gastronomie, à boire sur un repas ». En faisant varier les styles, les cépages et les millésimes, le dîner a permis de trouver quelques beaux accords au milieu des 5 plats et les 17 vins dégustés.
Le dîner a été préparé dans l’optique de tester des accords avec des crémants, en essayant de conserver une dominante de style pour chaque plat, sans oublier de revenir sur les séries précédentes le cas échéant.
Les crémants d’Alsace ne sont en général pas officiellement millésimés, même s’ils proviennent le plus souvent d’une seule récolte. Dans les notes qui suivent, lorsque les millésimes étaient connus, ils sont indiqués dans le nom de la cuvée. Lorsque le millésime apparaît clairement sur l’étiquette, la mention « Millésimé » est ajoutée au nom de la cuvée
Deux crémant en guise de mise en bouche vont nous mettre en appétit.
Crémant Brut – Arthur Metz : La bulle est vivace et le cordon persistant sur cette cuvée. Le nez se montre discret avec des arômes de fruits à chaire blanche. La bouche est vivace, fraîche en attaque avec un dégazage rapide qui laisse la bouche nette, la finale étant marquée par des fruits acidulé et de la pomme. La cuvée générique de cette grande maison de Marlenheim, achetée en Grand surface ne démérite pas du tout. Bien
Crémant Brut Prestige – Cave Vinicole d'Ingersheim : La robe est claire avec une bulle vivace. Le nez est discret avec des notes fumées et des arômes de fruits acidulés. La bouche est très effervescente, avec une mousse ample qui dégaze rapidement, laissant place à un vin acidulé qui manque un peu d’éclat. Une bouteille moyenne à base de pinot blanc et auxerrois, à boire frais. Bof
Les Amuse-bouches feuilletés
Les amuse-bouches vont permettre une intéressante comparaison de deux millésimes de la même cuvée du Domaine de l’Oriel. Issu de pinot blanc, le vin se montre droit et dense, mais s’exprime différemment en fonction de on vieillissement. Le millésime 2002, frais et aérien, se marie à la perfection avec les feuilletés et le mini sandwich aux rillettes de saumon. Le 1998 est plus à l’aise sur le toast à la mousse de foie de volaille, son coté légèrement évolué allant chercher la complexité aromatique du foie.
Crémant Brut 2002 – Domaine de l'Oriel (Claude Weinzorn) : Le nez est intense avec des arômes de fruits murs. La bouche est riche, avec une mousse compacte qui dégaze lentement en bouche, laissant place à un vin frais et de bonne concentration. L’équilibre est magistral pour cette cuvée qui se boit très bien. Une vinification sans fermentation malolactique sur base d’une vendange de qualité a donné un crémant remarquable. Très Bien
Crémant Brut 1998 – Domaine de l'Oriel (Claude Weinzorn) : La bulle se fait plus discrète et moins vivace, témoin d’un dégorgement plus ancien. Le nez est mûr et complexe avec des arômes de pomme mûre, de coing, de noisette et de beurre. La bouche est plus vivace, dégaze assez rapidement pour laisser place à un vin sec légèrement évolué. La légère patine lui donne de la complexité en finale. A terminer rapidement, ou à rechercher en version «récemment dégorgé ». Bien
La Quiche au Lard Paysan
Grand classique de la cuisine française revisité par Jean-Philippe Guggenbuhl, la quiche propose une texture moelleuse et crémeuse due au fromage onctueux, rehaussée par un goût fumé intense qui traduit la noble origine du lard paysan (merci à la boucherie-charcuterie SIGMANN d’Ingersheim !). L’ensemble est riche, et la taille réduite des mini-quiches ne suffit pas à réduire le caractère copieux de ce plat qui pourrait faire un menu du soir à lui tout seul ! Pour aller trancher dans la richesse du plat, des crémants frais et peu dosés sont dégustés. Le Brut Chardonnay de Guy Wach aura la finesse et la puissance nécessaire pour représenter le plus bel accord, le Crémant de Dopff&Irion étant ici un peu dominé par le plat. L’assemblage de cépages faiblement dosé de Schaller aura également du mal à dominer ce plat roche en goût qui fera ressortir l’alcool du crémant.
Crémant Brut Chardonnay 2002 – Guy Wach : La bulle est fine, dense et le cordon persistant. Le nez est intense avec des arômes de fleur d‘acacia. La bouche est riche, fraîche avec une mousse compacte qui dégaze très lentement, évoluant sur un vin dense et sec possédant une belle acidité. Issu du millésime 2002 tout en fraîcheur, ce crémant allie une bonne concentration et une acidité mure très intense. L’ensemble donne de la fraîcheur à l’accord avec le plat en tranchant dans le fromage. Très Bien
Crémant Brut – Dopff&Irion : La bulle est intense mais plus grossière que le précédent. Le nez est ouvert et intense avec des arômes de levure et de pierre mouillée. La bouche est ample en attaque, mais très effervescente avec un dégazage rapide qui monte au nez si on prend une gorgée trop importante en bouche. Issu de chardonnay, voilà une cuvée qui déçoit un peu compte tenu de sa réputation. A regoûter. Bof
Crémant Extra Brut – Edgard Schaller : La bulle est vivace, le cordon moyen. Le nez est intense, net et floral avec des notes de fruits acidulés qui apparaissent à l’aération. La bouche est fraîche en attaque, dégaze assez lentement en restant sur la fraîcheur, évoluant sur un vin sec et fruité qui est marqué par une pointe d’alcool en finale. Une cuvée d’assemblage de pinot blanc et de riesling, faiblement dosée, qui possède un superbe équilibre. Très Bien.
Le Saumon fumé maison
Le saumon fumé est devenu un produit tellement banalisé que son vrai goût se perd. Avec Jean-Philippe Guggenbuhl au découpage et à la salaison, et la boucherie Sigmann pour la fumaison, le résultat est à formidable : une chair de couleur foncée, une texture dense et un nez de poisson et de fumée laissent place à une texture dense, compacte et juste grasse comme il faut, exaltant le goût de poisson fumé. Aux antipodes des pâles tranches grasses et saumurées qu’on trouve sous blister plastique à bas prix en grande surface, voilà un met qui retrouve ses lettres de noblesse. Servi avec oignon, câpres et des toasts légèrement beurrés, ce grand moment demandait un crémant suffisamment intense et vineux. Parmi les trois crémants proposés, le blanc de noirs de Schaller est dominé par le plat, le Brut Prestige de Wolfberger est un peu trop souple et dosé, et c’est le blanc de noirs de la cave de Beblenheim qui procurera le plus grand plaisir, grâce à son acidité.
Crémant Blanc de Noirs – Edgard Schaller : Le nez est de bonne intensité, avec des arômes de biscuit et d‘agrumes. La bouche est riche et fruitée, avec une mousse qui dégaze lentement, laissant apparaître un vin gras et sec. Le vin se montre net mais austère. Bien
Crémant Blanc de Noirs – Heimberger (Cave Vinicole de Beblenheim) : Le nez est intense, jeune et fruité, avec des arômes de fruits acidulés. La bouche est sèche et ample en attaque, avec une forte effervescence qui dégaze de manière progressive, dénotant une pression élevée en bouteille. La fin de bouche est ample et riche avec une belle pureté. Bien
Crémant Brut Prestige – Wolfberger : Le nez est mûr, avec des arômes de fruits compotés et une touche de caramel qui tranche avec des autres crémants. La bouche est ample, dense et ronde (dosage 11g/l), offrant une mousse délicate qui dégaze lentement, laissant place à un vin vineux de bonne concentration. L’assemblage de plusieurs cépages et la richesse du vin supporte bien le dosage élevé, et l’ensemble possède un équilibre riche et ample. Très Bien
Le Soufflé de Sandre et ses Légumes de Saison
Le soufflé de sandre est un plat particulièrement adapté au crémant par sa texture délicate. Nous testons des vins fins et élégants ainsi qu’un Clos Saint Landelin plus intense et un Champagne. Les deux cuvées « S » de Schaller sont un peu fatiguées, leur dégorgement doit remonter à plusieurs années. Le Champagne Bollinger domine le plat et manque de finesse, et étonnement ce sera la rondeur et la vinosité du Crémant Brut Prestige de Wolfberger qui procurera le plus bel accord.
Crémant Chardonnay – Wolfberger : Le nez est élégant avec des arômes de noisette et de fleurs blanches. La bouche est fine et dense, avec une effervescence moyenne qui disparaît lentement, donnant une sensation aérienne à l’équilibre. La finale est nette et parfumée avec des arômes de biscuit. Un crémant élégant et net, au dosage mesuré. Très Bien
Champagne Spécial Cuvée – Bollinger : Le nez est intense avec des notes de grillé. La bouche est riche et fraîche en attaque, puis effervescente avec une mousse légère qui dégaze assez rapidement, laissant place à un vin souple et fruité qui possède une belle vinosité. Une cuvée ample et très classique dans son style champenois, pour amateurs du genre. Très Bien.
Crémant Clos Saint Landelin Millésimé 1999 – René Muré : Le nez est boisé, toasté et grillé avec de discrètes notes florales à l’aération. La bouche est ample et concentrée en attaque, avec une mousse compacte, mais prend un équilibre plus sec à cause de l’élevage sous bois qui apporte une pointe d’amertume. Un crémant racé qui se déguste mal en comparaison des autres, et qui domine le plat. Bien
Crémant "S" Chardonnay Millésimé 1996 – Edgard Schaller : Le nez est complexe avec de fines notes de miel d’acacia, de pêche, de coing et d’encaustique avec une note fumée. La bouche est malheureusement fatiguée avec une oxydation marquée. A regoûter sur un flacon issu d’un dégorgement plus récent. Bof.
Crémant "S" Chardonnay Millésimé 1988 – Egard Schaller : Le nez est légèrement évolué avec des arômes de noisette et d’encaustique. La bouche est fine, délicatement effervescente avec une belle acidité et des arômes d’amande grillée et de noix fraîche en finale. Les jeunes chardonnays qui composent cette cuvée ont été élevés sous bois neuf dans ce millésime qui a très bien supporté le vieillissement (la cuvée de 1988 dégustée après dégorgement à la volée début 2007 sera superbe). Bien
La Pêche pochée et son Sabayon au Crémant d’Alsace
Pour terminer le repas en beauté, une tentative avec un crémant plus souple et une curiosité étrangère. La pêche pochée est servie chaude en papillote, le sabayon apportant une touche de moelleux qui va faire un beau lien avec les deux vins. Le crémant est souple et onctueux mais manque d’acidité pour ne pas être dominé par le plat. Le Sekt est intense et épicé, mais s’accorde difficilement avec le plat. Un soufflé au curry ou une poire pochée au vin rouge et aux épices de Noël aurait été plus adapté.
Crémant Brut 2003 – Domaine de l'Ancien Monastère : Le nez est parfumé, avec des arômes de pêche blanche, de réglisse sauvage et de fumée. La bouche est souple en attaque avec une belle mousse ample qui dégaze assez rapidement, laissant place à un vin ample et légèrement moelleux. Les pinots ont donné un crémant rond en 2003, qui se boit avec plaisir. Bien
Traminer Sekt Millésimé 2004 – Weingut Steininger (Langenlois, Autriche) : Une curiosité pour terminer ce repas avec un traminer autrichien vinifié en mousseux. Imaginez un nez de gewurztraminer frais sur une bouche effervescente. Le nez évoque la rose, la poire et les épices avec une pointe d’oxydation. La bouche est fraîche équilibrée avec une mousse intense qui dégaze rapidement. La fin de bouche est grillée avec une légère déviation sur l’oxydation. Une bouteille originale qui se goûte moins bien que d’habitude. Bien
La soirée était très intéressante et surtout très instructive sur les choix de crémant à effectuer à table. Les cépages et le style de vinification sont prépondérants dans le choix, au détriment des terroirs qui sont encore très peu marqués. Le dosage et l’acidité étaient des paramètres importants dans l’appréciation des mariages avec les plats, la fraîcheur étant un élément essentiel des accords avec le crémant. Compte tenu de son excellent rapport qualité-prix (la quasi-totalité des crémants d’Alsace sont vendus sous la barre des 10 euros), le crémant est un vin idéal qui peut contribuer de manière peut-être plus originale à embellir la richesse des repas effectués.
Le faible engouement pour ce dîner (proposé à seulement 45 € plats et boissons compris) est malheureusement une preuve du manque d’intérêt que suscite le crémant dans le monde des grands vins d’Alsace. De nombreux amateurs sont réticents à boire du crémant à cause des difficultés de digestions qu’ils ont peut-être eu il y a quelques années avec des crémant de mauvaise qualité. L’acidité peu mure de certains cuvées était en effet assez agressive sur l’estomac.
Mais les derniers millésimes montrent une qualité moyenne très homogène, même dans une gamme de prix très sage, surtout en restant chez les maisons réputées.
Thierry Meyer
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