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Dîner de gala de l’académie du vin de France, 24 novembre 2011

Comme chaque année, l'académie du vin de France a organisé son dîner de gala au restaurant Laurent sur les Champs-Élysées à Paris. L'assemblée comprenant de hauts personnages amateurs aux producteurs de vins français était réunie avec ses invités, autour d'un repas savamment orchestré autour des grands vins de France, offrant des accords met et vins d'une grande précision. Je n'épiloguerai pas sur les membres de cette assemblée même concentrerai sur la qualité du travail réalisé dans les accords, chaque plat ayant été testé puis adapté si besoin pour s'associer parfaitement avec chacun des vins proposés par quelques-uns des membres de l'académie.

Après une réception au champagne, le menu articulé autour de six plats et de six vins a permis de faire un tour des vins mais également de la gastronomie française, dans un style probablement unique à ce pays.

Premier acte
Côtes de Provence blanc 2010 – Château La Tour de l’Evêque
Carpaccio de bar mariné en vinaigrette citronnée, condiments

Le premier vin est surprenant, car originaire d'une appellation peu connue pour ses grands vins. La robe est pâle et le nez discret s'ouvre doucement sur des arômes de fleurs blanches, de fruits à noyau avec un caractère très très jeune. La bouche possède beaucoup de pureté, se montre souple en attaque puis de bonne densité avec une acidité qui semble en retrait. La concentration du vin reste importante, même si l'équilibre manque légèrement de tonus en dégustation seule.
Le Carpaccio de bar va apporter un contrepoint très intéressant, car en plus de la vinaigrette citronnée, les accompagnements comportent entre autres de jeunes oignons finement découpé, ainsi que quelques fleurs. Le vin va alors révéler une structure beaucoup plus imposante que suggérée par la dégustation seule, allant chercher le caractère iodé du poisson, et gagne en relief grâce aux jolis amers apportés par le plat. L'ensemble plat plus vin possède une grande longueur en bouche, et prend même des notes anisées intéressantes. Un beau mariage.

Deuxième acte
Meursault Clos de la Barre 2004 en Magnum – Domaine des Comtes Lafon
Homard servi dans l’esprit d’une bourride, truffe blanche d’Alba

La réputation du domaine ne suffit pas pour surpasser à la fois un terroir en appellation village est un millésime réputé moyen. Pourtant, il s'agit là d'une très bonne cuvée, de surcroît lorsque celle-ci est servie en magnum. Le nez est très élégant, avec des notes florales et minérales, montrant une très légère évolution. La bouche possède du gras, mais aussi de la tension, une fine salinité et une bonne concentration qui marque le milieu de bouche. La finale est longue, très élégante, avec une légère amertume qui trahit peut-être le millésime. Une grande réussite pour ce vin à parfaite maturité aujourd'hui.
Lorsque le plat est servi, des arômes de truffe blanche remplissent toute la pièce. Néanmoins le homard est riche en goût, et chaque bouchée présente une homogénéité remarquable des différentes saveurs. Le vin révèle alors toute sa dimension, l'acidité gagnant en intensité avec le plat, et donnant un relief supplémentaire au homard. Un accord classique mais délicieux.

Troisième acte
Côte de Brouilly « Cuvée Zaccharie » 2009 – Château Thivin
Friands de pied de porc croustillants, chicon moutardé

Tout le savoir faire des accords mets et vins se retrouvent dans ce troisième acte. Le Beaujolais dégusté l'année dernière se montre égale à lui-même, la robe sombre annonçant un nez riche et très mur, avant que la bouche ne confirme la grandeur de ce vin avec son équilibre dense, profond et de bonne longueur.
La franchise du fruit va s'associer délicatement aux saveurs canailles de ce friand de pied de porc, mais c'est surtout au niveau des textures que l'accord est intéressant : le croustillant du friand apporte un croquant qui va trancher dans la suavité du vin, le chicon moutardé à peine cuit apportant l'amertume nécessaire pour renforcer le relief du vin. Arôme et textures sont à la fête sur un accord met et vins parmi les plus réussis. Dommage que les grands vins du Beaujolais soient souvent délaissés de la restauration gastronomique, car leur potentiel en termes d'accords est remarquable.

Quatrième acte
Châteauneuf du Pape Hommage à Jacques Perrin 1998 – Château de Beaucastel
Lièvre à la « Royale » cuisiné selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce

Après les premières mises en bouche, le quatrième acte offre un accord sur la puissance. Composé à 100 % de Mourvèdre, la cuvée hommage à Jacques Perrin est un compromis entre le caractère souvent rustique de ce cépage, et la valorisation qui avait fait sur ce terroir. Dans le grand millésime 1998, le vin est à la hauteur de sa réputation : un fruité profond teinté de légères notes animales, une bouche concentrée qui paraît sauvage, mais qui est dompté par des tanins d'une grande finesse.
Le plat de saison et parfaitement exécuté, avec une présence importante d'échalote et de laurier dans la sauce. L'ensemble est puissant et très corsé, et si les fusili délicatement tressés permettent d'adoucir l'ensemble, c'est une fois de plus le vin qui va se marier parfaitement à la viande et à la sauce, sur un accord de saison extraordinaire. Toute la gastronomie française autour du gibier et les sauces et résumés parfaitement dans ce quatrième acte.

Cinquième acte
Champagne « Cuvée Nicolas François Billecart » 1998 – Billecart-Salmon
Chaource

Par-delà l'éternel débat sur le service possible de vins blancs ou de vin rouge au moment du fromage, la question existe également de servir du champagne. La cuvée Nicolas François Billecart possède beaucoup de vinosité, une légère évolution, et une mousse compacte tout à fait remarquable. La température de service pas trop fraîche renforce le caractère ample et gras de la cuvée.
Accompagnement idéal d'une grande cuvée de champagne, le Chaource possède l'onctuosité des fromages double crème, avec le caractère puissant lié à son affinage. Derrière les accords d'arômes, c'est surtout un accord de texture qui se fait remarquablement bien, la bulle venant arbitrer la liaison entre le gras du fromage et le gras du vin. Un grand classique qu'il faudrait répéter plus souvent.

Sixième acte
Gewurztraminer Grand Cru Hengst Sélection de Grains Nobles 2008 – Zind-Humbrecht
Tarte légère aux marrons et aux coings façon « Mont-Blanc »

Le repas se termine de manière exemplaire avec une cuvée tout à fait exceptionnelle : le domaine Zind Humbrecht n'a réalisé que de sélection de grains nobles sur le grand cru Hengst, en 2007 et 2008. Le vin se montre remarquable, car il combine un botrytis de très grande qualité et de grande pureté, avec une richesse de liqueur incroyable, soutenue par une forte minéralité et une forte acidité. L'ensemble possède un équilibre parfaitement harmonieux, même si le vin est encore très jeune pour accompagner un plat autre que le dessert.
La tarte légère aux marrons évite l'écueil de la lourdeur, la partie biscuit restant fine et peu sucrée. Le velouté du gewurztraminer et une fois de plus parfaitement adapté à la texture farineuse du marron, et les fruits exotiques du vin viennent caresser le coing et l'ensemble du dessert de manière enveloppante sans dominer. L'assemblage du dessert et du vin est très équilibré, et ne paraît jamais lourd, l'acidité du vin encourageant à prendre une bouchée supplémentaire.

Six grands moments avec des vins qui méritent tous l'appréciation « Excellent ». À l'heure où les émissions culinaires façon radio crochet se multiplient sur les chaînes de télévision, il est bon de se rappeler que la gastronomie française existe grâce à ses grands chefs (Alain Pégouret pour le restaurant Le Laurent) mais aussi grâce à ses grands vins, et que si on peut faire un repas honorable avec de bons plats et de bons vins, lorsque les accords sont travaillés avec soin le résultat est encore plus somptueux. Sans vouloir être chauvin, je suis ressorti de ce dîner avec une grande fierté pour le repas gastronomique français, récemment inscrit au patrimoine mondial de l'humanité. Malgré l'âge respectable de nombreux participants au dîner, et la présence de sommités comme Jacques Puisais ou Jean Robert Pitte, la soirée fut loin d'être un de ces dîners parfois trop conservateurs orchestrés par des connaisseurs supposés associant mécaniquement de grands Bordeaux avec quelques belles viandes. Il y avait dans les commentaires entendus de-ci de-la et dans l'appréciation générale de l'approche une jeunesse d'esprit que je serais parfois content de rencontrer auprès d'amateurs bien plus jeunes. L'académie du vin de France est un conservatoire qui mérite de pouvoir transmettre son savoir-faire aux prochaines générations.

Thierry Meyer