Restaurant «La Vieille Enseigne» à Strasbourg
5 janvier 2005
Non loin de la cathédrale, ce restaurant ressemble à l’un des nombreux winstub de la rue des Tonneliers mais abrite une table de haut niveau. A la recherche d’une bonne table ouverte en cette première semaine de Janvier, le guide Michelin suggère ce restaurant une étoile comme un des seuls à ne pas être en congés annuel. Occasion rêvée d’un dîner en tête à tête après l’agitation des fêtes de fin d‘année.
La salle ne comporte qu’une dizaine de tables, et est décorée avec beaucoup d’élégance. Le menu fait la part belle aux poissons avec aussi quelques belles viandes. La carte des vins est imposante, avec des prix très raisonnables en fonction de l’âge, les coefficient glissant de 3-4 à 2 lorsque les vins deviennent plus vieux. Les vins sont classés par région et sous-région, puis par millésime décroissant. L’Alsace compte près d’une centaine des références, parmi les domaines connus (Josmeyer – Trimbach – RollyGassmann – Schlumberger – Zind-Humbrecht etc …) mais aussi auprès de quelques domaines moins connus du Nord de la région. La bourgogne est dominée par la négoce et quelques maisons de prestige, comme c’est souvent le cas en Alsace, et les autres régions sont également bien fournies (Rhône, Loire, Languedoc), avec en particulier de nombreuses références assez jeunes dans le Bordelais. A noter que l’offre en demi-bouteilles n’est pas négligeable, une trentaine de références au total si ma mémoire est bonne.
Nous optons pour le menu poisson (61€), dont les intitulés doivent ressembler à peu près à :
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Tartare d’huître aux truffes sur un bouillon de poulette
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Consommé de crustacés
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Morue fraîche en croûte d’épices, lentilles du Puys
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Pain d’épices fourré à la crème de marron, sorbet au chocolat amer.
Les amuse-bouches sont arrosées d’un verre de Muscat Réserve 2001 – Trimbach : une robe très pâle laisse place à un nez parfumé, mentholé dans un style herbacé (menthe blanche) , avec des notes de réglisse et de raisin frais. La bouche est sèche et réglissée, herbacée avec beaucoup de fraîcheur. L’acidité est bien intégrée, dans un style typique de 2001. Bien.
Pour accompagner le repas, dilemme : comment combiner en une seule bouteille un vin qui supportera le coté iodé de l’huître, le coté minéral des crustacés, tout en étant assez riche et gras pour accompagner le poisson ? Après avoir lorgné sur une Riesling Silberberg 1994 de Rolly-Gassmann, on essaye le Riesling Grand Cru Kitterlé 1994 de Schlumberger. En le servant un peu frais au début du repas on profitera plus de sa minéralité et de sa vivacité, et en le laissant se réchauffer, la maturité et le gras seront plus apparents. Du moins c’est ce que nous pensons, l’expérience confirmera cette intuition. Le premier nez est minéral et légèrement pétrolé. Le vin doit être à 6 degrés, et la bouche donne une sensation très sèche, sans que l’acidité soit trop violente. Le style est un peu moins vif que le 95 et 96. Au réchauffement (et probablement à l’aération), le vin devient plus ample, gras, et prend des notes de citronnelle derrière les notes pétrolées. Syndrome du fond de carafe oblige, les dernières gorgées bues au moment du dessert semblent être les meilleures, on aurait peut-être du laisser réchauffer le vin un peu plus. Très Bien.
Mais le vin n’est qu’une partie du plaisir de ce dîner, car les plats ont magnifiques. En amuse bouche une assiette autour du potiron : crème brûlée au potiron, tartare de thon au potiron, et fricassée de potiron en salade. Le tartare d’huître sur son bouillon est très parfumé, l’assemblage des saveurs iodées et salées avec le bouillon de poulette est parfait et donne un équilibre très fin. Le consommé est limpide mais avec une teinte très foncée, il explose littéralement au nez avec cette sensation de sentir de la carapace de crustacé. Ceux qui ont déjà fait leur fumet de poisson eux-mêmes avec des carcasses de poisson et de crustacés se souviennent de cette odeur intense. Avec quelques écrevisses, moules et crevettes qui nagent, c’est un vrai régal. La morue en croûte d’herbes reste tout aussi parfumée que les plats précédents, mais les épices prennent le pas sur les notes de poisson et le plat est riche. La cuisson du poisson est parfaite. Avant le dessert, une mousse de griottines avec du croquant de chocolat vient nous préparer la bouche aux saveurs sucrées. Beaucoup d’élégance cette mousse de griottines avec le coté acidulé des fruits, il faudra que j’essaye d’en faire. Enfin, le dessert mêle agréablement le coté épicé des biscuits de pain d’épices et la douceur de la crème de marron, le sorbet au chocolat amer venant compléter l’ensemble avec sa richesse en cacao. Avant les cafés, autre petite surprise, un vin chaud maison en petite tasse servi avec des petites madeleines surmontées de quartiers de mandarine. C’est très agréable mais ça commence tout de même à faire beaucoup tous ces plats !
S’il faut faire des commentaires plus critique pour crédibiliser les éloges, je terminerai en disant que le service est discret et courtois mais manque peut-être un peu de chaleur. Est-ce le macaron Michelin qui impose une telle sobriété, clin d’oeil à une clientèle de parlementaires européens et d’étudiants à l’ENA? Deuxième suggestion pour vraiment être pointilleux, le saupoudrage des desserts avec trop de sucre glace est dangereux. En mettant un morceau dans la bouche, éviter de respirer trop fort sous peine de voir un nuage de sucre glace pour remplir les poumons, un peu comme quand on sniffe des substances illicites… Pierre Richard devra certainement éviter certains desserts s’il vient manger ici !
215 euros à deux au total, pour un dîner qui n’a rien à envier aux meilleures tables de la région. Il s’agit d’une très très bonne table à revisiter au fil des changements de menu, la carte des plats et des vins offrant encore de belles occasions.
Thierry Meyer
Restaurant La Vieille Enseigne
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