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Guide B&D 2012 Alsace – Le Making Of

Comme chaque année, avec la sortie du guide Bettane&Desseauve je trouve que c’est intéressant de partager quelques informations sur les dégustations qui ont permis de réaliser le guide, ainsi que quelques réflexions sur les contraintes qu'il faut gérer. En levant le voile sur le travail réalisé, on se rend compte que l’Alsace est une région complexe et laborieuse à traiter, la grande quantité de cuvées produites par chaque domaine rendant les dégustations longues. Et à moins de trouve une manière de goûter 10000 vins en moins de 3 semaines, tout en ne goûtant que 50 vins par jour, confier les dégustations à un seul dégustateur comme le pratiquent avec intelligence Bettane&Desseauve nécessite de faire des compromis. En espérant que les explications données apporteront de la transparence à défaut de pouvoir diminuer la frustration de tous les producteurs que je n’ai pas pu rencontrer.

Objectifs et Principes du Guide

Le guide Bettane&Desseauve poursuit l'objectif de sélectionner de très bons vins, issus de producteurs connus ou moins connus. La recherche de l'excellence auprès des maisons historiquement réputées est complétée par un travail de fond réalisée dans les régions, par le biais de dégustations à l'aveugle. Si les vins sont notés sur une échelle à 20 points, les meilleures maisons dont la production est à la fois de qualité et de bonne régularité sont classées au moyen d'une échelle de 1BD à 5BD.

Deux ajustements importants ont été réalisés pour les besoins du guide 2012:

L’Echelle de notation absolue : La notion qui se voulait basée sur une appellation est devenue absolue. L'objectif initial tait de pouvoir noter sur des échelles différentes des cuvées de crus au potentiel différent (Bourgogne générique et Montrachet par exemple), pour pouvoir utiliser un plus grand intervalle de notes, en sachant que les notes supérieures à 17/20 étaient de toutes façon absolues. Ainsi un Bordeaux supérieur réussi noté 15/20 n’avait pas à se goûter aussi bien qu’un Pauillac classé noté 15/20. Dans la pratique, cette différence n'a pas été comprise par les lecteurs, et l'échelle absolue est désormais utilisée. Concrètement pour l'Alsace, un ajustement mineur (souvent moins d’un point) a été fait pour aligner les notes données aux vins de l’AOC Alsace et de l’AOC Alsace Grand Cru. Ce qui a eu pour effet de rapprocher la moyenne des vins de l’AOC Alsace de 13/20, une note déjà pas si mal puisque c’est la barre minimum de sélection d’un vin, et de permettre à des grands crus notés 15/20 de survivre dans le classement. L’impact le plus visible est probablement sur les vins des maisons qui produisent des grands vins de terroir sans revendiquer l’AOC Alsace Grand Cru.
L’obligation de la dégustation à l’aveugle : les années précédentes les maisons classées 3BD ou plus étaient systématiquement visitées, et la dégustation sur place servait de références pour les notes attribuées. Les maisons classées moins haut ou dont des vins avaient été sélectionnées étaient sollicitées pour présenter des échantillons qui étaient dégustés à la Maison des Vins d’Alsace, mais à découvert. Quant au reste des maisons alsaciennes, elles étaient sollicitées pour participe à des dégustations à l’aveugle sur une thématique précise. Cette technique permettait de gérer la grande quantité de cuvées produites en Alsace, mais introduisait un biais évident dans l’évaluation des vins. Surtout que les maisons visitées étaient encouragées à participer fortement aux dégustations à l’aveugle, pour permettre un étalonnement des notes. En goutant 30 cuvées lors d’une visite chez un producteur, on créer un classement qualitatif des vins, mais si on a la possibilité de calibrer quelques cuvées selon des notes données lors d’une dégustation à l’aveugle rassemblant plusieurs producteurs, cela permet de re-étalonner l’ensemble des autres notes. Si la plupart des grandes maisons ont compris l’intérêt de soumettre quelques échantillons à cet exercice, d’autres plus récalcitrantes ne jouent pas le jeu et ont un peu profité de leur situation, attendant patiemment la visite annuelle du dégustateur B&D. Il faut dire que les 75 visites de domaines réalisées l’année dernière ne les ont pas encouragé, et que certains domaine sont pris leurs habitudes. Du coup, cette année avec Michel Bettane nous avons décidé d’imposer une participation à la dégustation à l’aveugle comme préalable à d’éventuelles dégustations complémentaires et à une sélection des vins dans le guide. Les domaines ont été prévenus qu’ils ne seraient pas systématiquement visités et que s’ils souhaitaient participer à la sélection du guide 2012, il valait mieux se prêter au jeu de la dégustation syndicale. A part quelques exceptions notables, la plupart des producteurs ont heureusement participé en soumettant des échantillons, ce qui a renforcé la crédibilité des vins évalués, au CIVA ou sur place.

Déroulement de la campagne 2012

Les chiffres et les noms des domaines sont regroupés derrière le lien vers la page des résultats détaillés.

La campagne a eu lieu en 3 parties :

1. Des visites de domaines

J’ai tout d’abord fait une semaine de dégustation aux domaines, en compagnie de David Schildknecht, n novembre 2010. David vient tous les deux ans en Alsace, et déguste deux millésimes. L’opportunité de l’accompagner est double : d’une part cela permet aux producteurs de faire goûter leurs vins à deux personnes, d’autre part cela me permet de faire une semaine de visites sans devoir passer 3 semaines à organiser tous les rendez-vous, un  casse tête souvent difficile. C’est probablement vrai que les producteurs donnent une plus grande priorité à des dates imposées par David car ils savent qu’il n’est en Alsace qu’une semaine tous les deux ans. Pour moi, déguster 2008 et 2009  était en outre intéressant car j’avais déjà dégusté les 2008 l’année dernière et déguster les 2009 cote à cote a permis de bien étalonner mes notes. Les visites ont permis de bien comprendre le profil des vins de 2009, mais aussi d’expliquer oralement aux producteurs les principes de la campagne, en particulier de les encourager à envoyer des échantillons. Les lecteurs du Wine Advocate on pu constater que David et moi avions souvent des appréciations très variables sur certains grands vins, ce qui n’empêche pas que nous partageons la même passion pour les vins de la région. Déguster ensemble nous permet d’échanger sur notre vision du vin, et une fois chez les producteurs, c’est souvent plaisant de pouvoir parler aux producteurs en français, pendant que David parle … à son dictaphone, dans une gestion du temps parfaite.

2. La grande dégustation au CIVA

Le gros de la dégustation des vins s’est fait au Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA), situé à  la Maison des Vins d’Alsace à Colmar. Il faut souligner que la logistique mise en place par le CIVA pour gérer les dégustations des journalistes est indispensable, en particulier quand on collecte deux bouteilles de plus de 1200 cuvées, originaires de 220 producteurs. L’appel d’échantillon avec toutes les explications a été envoyé à tous les producteurs de vin d’Alsace par le CIVA, et j’ai également renvoyé l’invitation par le biais de mon site, invitation relayée par la lettre mensuelle adressée en particulier à plus de 250 producteurs.
L’organisation, la préparation de la dégustation ainsi que son suivi journalier ont fait l’objet d’un journal de bord publié en ligne, avec des informations assez détaillées pour les abonnés. Les photos sont éloquentes sur la logistique nécessaire pour gérer des centaines de bouteilles, et surtout pour les refroidir, puisqu’il s’agit de blancs en majorité.
Trois semaines de dégustation ont été nécessaires pour déguster tous les vins de manière exhaustive et dans de bonnes conditions. Le journal de bord qui a été écrit donne pas mal de détails sur l’ordre de dégustation, avec pour les abonnés des détails sur l’intervalle et les moyenne des notes des vins dégustés jour par jour.

3. Les échantillons et visites complémentaires

Les domaines qui avaient envoyé 6 échantillons sur les 6 demandés et dont les vins se goûtaient bien ont été sollicité pour envoyer 6 autres échantillons, mais ces échantillons ont été dégustés à mon domicile à Strasbourg. 140 bouteilles seulement ont été expédiées, mais la logistique a été difficile, car ce nombre est très grand quand on n’a qu’une petite armoire à vin et qu’il faut ramener les bouteilles vides au conteneur de recyclage. Mon épouse est désormais convaincue de l’utilité de déguster au CIVA !

Quelques visites complémentaires ont également été réalisées, pour compléter la série. Puis ce fut quelques longues journées de travail pour finaliser les commentaires de dégustation, mettre les textes des domaines à jour, revoir les classements et rendre tout le travail à Paris pour la fin du mois d’Avril. Les collaborateurs de BD à Paris ont ensuit pris le relais, pour relire et corriger les textes, les majuscules, la ponctuation, faire la chasse aux notes ou aux apogées manquantes, et contacter les vignerons pour avoir une indication sur le prix de vente des flacons dégustés. Quelques échanges internes avec Michel Bettane permettent de valider certaines appréciations et de discuter certains classements. Ceci a mené a une maquette du guide papier que je reçois fin juin au format PDF, et qui permet de faire une relecture complète avant la mise sous presse. J’attends ce moment avec impatience, car c’est la première fois que je visualise la synthèse du travail de dégustation réalisé. Je me  rends aussi compte des coupes qui ont eu lieu dans les vins sélectionnés ou dans les textes d’introduction, relégués à la partie Web pour faire rentrer les vins d’Alsace dans le nombre de pages prévus pour la région. Parfois on aimerait pouvoir donner des explications plus intelligentes pour justifier l’absence de tel vin de la partie papier du guide, malheureusement le souci de ne pas commencer une nouvelle colonne est parfois la raison principale ! De début juillet à la fin août, il y a de l’impression, mais aussi de la distribution et de la mise en place pour le grand jour. Bref, le guide tout frais sorti fin août est le résultat d’un travail débuté 10 mois plus tôt, et si on peut regretter les contraintes de fraicheur liées à ce cycle de production annuel, le travail publié est une mine d’information qui résume bien le travail réalisé. Avec plus de 30 jours de dégustation (nécessitant 4000km de trajet en voiture)  et 15 jours d’écriture, ce sont plus de deux mois de travail à temps plein qui ont été réalisés pour cette édition du guide.

Bilan

Le détail des producteurs et des cuvées sélectionnés se trouve derrière le lien.

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. La grande dégustation ouverte à tous les producteurs a permis cette année de faire ressortir de nombreuses réussites individuelles, auprès de nouveaux producteurs jamais cités auparavant, qui devraient y voir un encouragement. Parfois, les bons vins sont le résultat du hasard, une vieille vigne naturellement peu productive dans un millésime sain pouvant donner un vin profond et mûr. Au total, ce sont 68 domaines qui apparaissent dans le guide pour une ou deux cuvés, et qui n’étaient pas cités auparavant.

Les Absents

Si plus de 220 producteurs ont soumis des échantillons à la dégustation du CIVA, leur grand nombre n’a pas permis de dégager du temps pour faire des relances polies à ceux qui n’avaient pas donné signe de vie. Les domaines suivants, précédemment classés dans le guide avec 1BD minimum, n’ont donc aucun vin de sélectionné :

  • BUECHER JEAN-CLAUDE (68920 WETTOLSHEIM)
  • BURN ERNEST (68420 GUEBERSCHWIHR)
  • FLEITH ESCHARD RENE ET VINCENT (68040 INGERSHEIM)
  • GINGLINGER – FIX (68420 VOEGTLINSHOFFEN)
  • KIRMANN L. (67680 EPFIG)
  • KLEE FRERES (68230 Katzenthal)
  • LANDMANN SEPPI (68570 SOULTZMATT)
  • SEILLY – DOMAINE (67210 OBERNAI)
  • SELTZ ALBERT (67140 Mittelbergheim)
  • SPIELMANN SYLVIE – DOMAINE (68750 BERGHEIM)
  • STENTZ AIME (68920 Wettolsheim)

Les domaines sont relégués à la partie web du guide, avec la mention qu’ils n’ont pas soumis d’échantillons. Si certains ont explicitement exprimé la volonté de ne pas être évalué à l’aveugle, et le souhait de ne vouloir faire goûter leurs vins qu’en face du dégustateur et chez eux (comme le domaine Aimé Stentz), d’autre sont certainement pêché par le manque de motivation. Certains aussi ont malheureusement encore buté sur la confusion entre le Grand Guide des Vins de France (RVF), et le Guide des Grands Vins  (RVF) : j’ai ainsi entendu plusieurs vignerons m’annoncer qu’lis avaient envoyé des échantillons à Bettane&Desseauve pour le Spécial Millésime 2010… Espérons que l’année prochaine ils regarderont mieux leur boite aux lettre, papier ou électronique.

Les exceptions à la règle, et celles que nous n'avons pas faites

Le fait d’imposer une condition aux producteurs représentait un challenge, car dans une certaine mesure les producteurs ont autant de besoin des guides que le contraire.  Les vins du domaine de la Romanée Conti ne se retrouvent-ils pas chaque année dans le guide Hachette ? Les domaines suivants ont fait l’objet de discussion suite à de possibles écarts avec les règles qui avaient été définies, puis affichées clairement:

  • DIRLER – CADE (68500 BERGHOLTZ) – 43 vins dégustés – 0 vins sélectionnés
    Le domaine a été visité en novembre, mais malgré mes explications n'a pas envoyé d'échantillons à dégustation à l'aveugle au CIVA, suite aux invitations envoyées en décembre. Conséquence, une mention de la qualité des 2009 est faite dans le commentaire du domaine publié sur le web, mais aucun vin n’est explicitement cité.
  • HUGEL ET FILS (68340 Riquewihr) – 36 vins dégustés – 6 vins sélectionnés
    Le domaine n'a pas envoyé d'échantillons à dégustation à l'aveugle au CIVA, selon sa règle bien établie. Le domaine n’a d’ailleurs jamais envoyé d’échantillons à une dégustation B&D depuis que le nouveau guide existe. Les 2008 et 2009 ont été goûtés en novembre 2010, et compte tenu de l’importance de la maison, Michel Bettane a souhaité que certains vins soient cités, le domaine étant incontournable chez les lecteurs. J’ai donc choisi 6 cuvées du millésime 2008, dont des commentaires avaient déjà été publiés dans l’édition du guide précédent, qui ont été regoûtés  et notés en utilisant la nouvelle règle de notation indépendante des AOC.
  • KREYDENWEISS DOMAINE (67140 Andlau) – 6 vins dégustés – 4 vins sélectionnés
    Le domaine n'a pas envoyé d'échantillons à dégustation à l'aveugle au CIVA. Quelques grands crus Kastelberg et Wiebelsberg  (les 2008-2007-2006) ont été redégustés au domaine, pour avoir un avis complémentaire suite à la dégustation de Michel Bettane à Colmar en Juin 2010, dégustation du cours de laquelle les vins s’étaient mal dégustés. Cela permis de constater que le Kastelberg 207 s’était stabilisé sur un équilibre oxydatif, et que le Kastelberg 2008 était toujours aussi grandiose. Fort de ces constatations, nous avons décidé de publier ces notes afin d’apporter aux lecteurs de TAST et du guide des précisions.
  • TRAPET Domaine (68340 Riquewihr) – 10 vins dégustés – 0 vins sélectionnés
    Le domaine n'a pas envoyé ses échantillons dans les temps pour la dégustation à l'aveugle au CIVA. Pour ne pas déroger à la règle, si les vins ont été dégustés, aucun n’a été sélectionné pour le guide 2012, même si une mention de la qualité du millésime est faite dans le commentaire du domaine.
  • TRIMBACH (68150 Ribeauville) – 23 vins dégustés – 6 vins sélectionnés
    Le domaine n'a pas envoyé d'échantillons à dégustation à l'aveugle au CIVA . Le domaine n’a d’ailleurs jamais envoyé d’échantillons à une dégustation B&D depuis que le nouveau guide existe, tout comme la maison Hugel. Les 2008 et 2009 ont été goûtés en novembre 2010, et compte tenu de l’importance de la maison, Michel Bettane a souhaité que certains vins soient cités, le domaine étant incontournable chez les lecteurs. J’ai donc choisi 6 cuvées du millésime 2008, certains qui ne sont plus à la vente (notés en utilisant la nouvelle règle de notation indépendante des AOC), d’autres comme les rieslings Frédéric Emile et Clos Sainte Hune 2008, qui ne seront pas à la vente avant plusieurs années. C’est le compromis qui nous a semblé le plus acceptable.
  • CHAPOUTIER : le domaine n'a pas envoyé d'échantillon ni jamais eu aucun contact avec moi, mais des échantillons ont apparemment été envoyés à Michel Bettane qui les a bien dégusté, au point de décider de classer le domaine dès sa première apparition dans le guide. Le nouveau domaine aux vins de marque continue de faire les choses de manière anticonventionnelle, avec une stratégie de communication fort bien pensée pour positionner ses vins avec le bon discours. L’Alsacien que je suis considère que la marque « Schiefferkopf » est  une tentative maladroite de donner une consonance de lieu-dit à une marque, maladroite car cela m’évoque plus le Schieffala et le Presskopf, deux recettes charcutières alsaciennes, qu’un grand terroir. Mais les parisiens n’y verront surement que du feu, et puis bon, s’il y a la marque Chapoutier et que le prix est assez élevé, ça se vendra. S’il y a bien une leçon que les alsaciens devraient apprendre, c’est celle du positionnement et de la communication, la qualité même élevée d’un vin  ne suffisant pas à en faire la notoriété. Et s'il y en a une deuxième, c'est que le guide Bettane&Desseauve est sous la responsabilité de… M. Bettane & T. Desseauve !

Thierry Meyer