Le Grand Guide des Vins de France 2011 est sorti ! Aussi appelé Guide Bettane&Desseauve du nom de leurs deux auteurs principaux, le guide fait appel à une poignée de correspondants régionaux pour couvrir en profondeur chacune des régions, dont votre serviteur pour l’Alsace, le Jura, la Savoie et le Bugey. Le Making-Of apporte des informations détaillées sur le déroulement de la campagne du guide 2011 pour l’Alsace, qui s’est échelonnée de novembre 2009 à avril 2010. Retrouvez le détail des visites et dégustations de plus de 2066 vins dégustés provenant de 184 domaines alsaciens, parmi lesquels 969 vins de 125 domaines ont été sélectionnés pour l’édition 2011 du guide parue en Septembre 2010.
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Organisation
La campagne du guide 2011 a débuté fin 2009 avec quelques visites de domaines, et s’est principalement déroulée de janvier à mars 2010, les visites sur place étant entrecoupées par des sessions de dégustation d’échantillons au CIVA. La stratégie fut la même que l’année passée pour la région Alsace :
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Visiter systématiquement les domaines classés 3BD, 4BD et 5BD pour y déguster les vins qui seront en vente à l’automne 2010
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Goûter une sélection de vins au CIVA ou lors d’une visite sur place pour les domaines classés 2BD, 1BD ou simplement mentionnés pour quelques réussites individuelles dans l’édition 2010
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Découvrir de nouveaux domaines ou redécouvrir des domaines connus par une dégustation à l’aveugle alimentée par un appel d’échantillon ouvert à tous, focalisé cette année sur les vins de l’AOC Alsace Grand Cru. L’aide du CIVA était une nouvelle fois indispensable pour préparer et organiser la dégustation.
Deux différences sont à noter par rapport à l’année précédente :
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La première concerne les vins en élevage, ou qui ne sont pas encore en bouteille. Si certains vins ont été goûtés sur cuve ou à partir d’échantillon tiré de cuve, aucun de ces vins n’a été commenté ni noté. Ceci afin d’éviter toute ambigüité. Dans certains cas, un commentaire général sur le millésime encore en élevage a été ajouté au commentaire global sur un domaine.
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La deuxième différence concerne l’appel d’échantillon pour la dégustation à l’aveugle, qui a autant concerné les domaines déjà sélectionnés que des nouveaux domaines. Le précédent appel était destiné aux domaines non encore référencés dans le guide. L’objectif était de ne pas uniquement déguster à l’aveugle des vins de domaines encore inconnus mais de les mettre en parallèle avec des vins commentés par ailleurs, lors de dégustation d’échantillons à découvert ou de visites de domaines. L’intérêt est de pouvoir à la fois calibrer les notes données aux vins dégustés avec les producteurs avec ceux dégustés au CIVA, et de comparer les vins de domaines connus avec ceux des nouveaux domaines dans des conditions similaires.
1. Les visites de domaine
En plus des meilleurs domaines à visiter chaque année, j’essaye d’avoir visité au moins une fois tous les domaines classés dans le guide, et de passer tous les 2-3 ans chez les domaines classés 1BD/2BD. Dans la liste détaillée, vous trouverez le détail des 76 visites effectuées durant la campagne du guide 2011 :
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6 premières visites à des domaines jamais visités auparavant (85 vins commentés, 22 vins sélectionnés)
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70 visites de suivi chez des domaines que je connaissais déjà (1394 vins commentés, 790 vins sélectionnés)
J’ai essayé de regrouper les visites par secteur géographique, pour optimiser les déplacements : si Colmar est à 75 km de mon domicile strasbourgeois, la Vallée Noble est à environ 100km, donc les allers-retours sont couteux. Pour la campagne du guide 2011, ce sont plus de 6600 km qui ont été parcourus en voiture rien que pour la région Alsace (soit environ une tonne de CO2 émise).
Les demandes de visite ont été faites quasiment toutes par email, un moyen de communication très efficace pour organiser son temps lorsque les vignerons utilisent de manière active leur messagerie. Deux difficultés s’ajoutent au problème des vignerons qui ne lisent qu’en diagonale les emails d’une boite surchargée par la publicité : d’abord les vignerons qui changent d’adresse email tout en conservant l’ancienne sans la consulter, par exemple en passant de l’adresse fournie par leur fournisseur d’accès à celle proposée par leur nouveau site internet. Ensuite, les adresses génériques de type info@domaineXYZ.com ou contact@domaineXYZ.com, dont on ne sait pas qui est l’interlocuteur, ne répondent pas forcément toujours, en particulier dans les plus grandes sociétés comme les caves coopératives.
J’organise 4 visites maximum par jour, en essayant de visiter cuverie, chai et vignes chez les vignerons que je ne connais pas. Combiné avec des gammes de vin de taille variable (de 15 à plus de 60 vins par millésime), la durée des visites varie donc entre 1h30 et 3h. Chez les domaines dont je suis le plus familier avec les vins et avec lesquels la discussion est ouverte, je goûte parfois les vins en élevage pour comprendre le dernier millésime, mais sans noter les vins.
L’heure du déjeuner est parfois utilisée pour poursuivre la conversation à table avec un vigneron, mais généralement les sandwichs permettent d’enchainer une visite qui termine à 13h00 avec une visite qui débute à 13h30.
2. Les dégustations des vins des domaines
Les domaines déjà référencés que je ne pouvais pas visiter ont été contactés par email afin de leur demander de déposer des échantillons au CIVA, pour que je puisse les déguster à Colmar. Pour limiter le nombre d’échantillons, la règle était cette année de demander 10 cuvées maximum aux domaines classés 1BD ou 2BD dans l’édition, 4 aux domaines non classés mais cités pour des réussites individuelles. L’année passée ces limites étaient respectivement de 12 et 6, apportant une quantité de vin trop importante à déguster.
Quasiment tous les vignerons ont utilisé cette limite maximum, et sur les 65 domaines contactés, 49 ont répondu et ont livrés 353 échantillons (157 vins sélectionnés de 40 domaines, 9 domaines n’ayant vu aucun de leurs vins sélectionnés).
Les vins ont été collectés par le CIVA à Colmar qui cette année encore a fait un énorme travail de manutention, de préparation et d’accueil pour les dégustations. J’ai dégusté la grande partie des échantillons au CIVA sur quatre journées (16 et 18 mars, 8 et 9 avril), à un rythme d’environ 80-100 vins par jour, dans la salle technique qui offre d’agréables paillasses, un tire-bouchon électrique et un immense local frigorifié qui maintient les vins à bonne température. Serge Giavitto du CIVA est un formidable logisticien/caviste et responsable de la cave qui avait archivé consciencieusement les secondes bouteilles à ouvrir en cas de bouchon ou d’autre problème.
Les vins sont dégustés domaine par domaine en essayant de les regrouper géographiquement (après tri du Nord au Sud) dans une même journée pour avoir une unité de terroir, voire des grands crus identiques. Les vins du Schoenenbourg, du Rosacker, du Pfersigberg ou du Pfingstberg produits par plusieurs producteurs ont par exemple pu être appréciés le même jour. Les vins sont dégustés étiquette découverte comme dans le cadre d’un visite, en suivant l’ordre de dégustation indiqué par le domaine, sauf lorsque visiblement cet ordre n’a pas été précisé. Les producteurs remplissent une fiche sur laquelle ils précisent le prix de vente des vins, ainsi que les données techniques alcool, acidité et sucre résiduel. Certains domaines ne connaissent pas encore leur prix de vente au moment où ils envoient les échantillons, d’autres plus rares ne renseignent pas les informations techniques, parfois parce qu’ils ne disposent pas des données analytiques de leurs vins, parfois aussi car certaines de leurs cuvées sont très sucrées.
Quelques domaines ont cru bon proposer plus que les 10 échantillons demandés, échantillons supplémentaires, que j’ai mis de coté pour une dégustation ultérieure en fin de campagne. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de les déguster, et ces échantillons sont allés directement dans le stock du CIVA. Ce n’est donc pas la peine pour les vignerons de proposer plus d’échantillons que demandé.
3. La dégustation ouverte à tous les producteurs
En plus des domaines déjà connus et des nouvelles visites, le meilleur moyen pour découvrir de nouveaux talents ou redécouvrir des domaines est de faire une dégustation à l’aveugle sur base d’un appel d’échantillons, mêlant domaines connus et inconnus. Par le biais du CIVA qui envoie tous les mois un courrier papier à tous les domaines alsaciens, les domaines ont té invité à présenter des échantillons de grands crus.
Pour éviter un trop grand nombre d’échantillon chaque domaine a été limité à un seul échantillon par grand cru, en choisissant le vin qui représente selon eux le mieux le terroir. Le cépage, le millésime (choisi entre 2007 et 2008) et les éventuelles mentions VT/SGN étaient laissées libres, la seule condition étant de ne présenter qu’une seule cuvée par terroir. Ce qui signifiait une seule bouteille possible pour un domaine qui ne dispose que d’un seul grand cru, même s’il y plante plusieurs cépages et produit des VT/SGN revendiquant l’AOC Alsace Grand Cru. Pour éviter la multiplication des cuvées chez les domaines, négoces et caves, un maximum de trois grands crus a été fixé.
127 domaines ont répondu à l’appel d’échantillon, dont 68 domaines existants qui ont joué le jeu et 59 nouveaux domaines.
Les règles étaient malheureusement parfois difficiles à comprendre, et si 19 maisons ont présenté plusieurs vins du même grand cru, 15 ont présenté des vins en AOC Alsace, même si l’origine était parfois un grand cru non revendiqué. Seuls les vins revendiquant l’AOC Alsace Grand Cru ont été retenus, et dans le cas de plusieurs vins sur un même grand cru, il a fallu ne choisir une seule cuvée. Lorsque le producteur était présent lors de la dépose d’échantillons, il a lui–même sélectionné la cuvée à conserver pour chaque grand cru ; en son absence, le vin le plus sec a été retenu.
Au final, 234 vins ont été retenus pour la dégustation, les bouteilles étant rendues anonymes par le biais d’un film plastique thermo-rétractable, puis classées selon quatre critères. Les terroirs ont été classés par famille (granitique, gréseux, marno-calcaire etc ), puis par grand cru spécifique, par millésime (2008 puis 2007) et enfin par sucre résiduel croissant, indépendamment du cépage. Lorsque le nombre de cuvées par grand cru était inférieur ou égal à 6, le millésime n’a pas été utilisé comme critère de classement.
La dégustation a eu lieu au CIVA les 14-15-16 avril, en compagnie de deux vignerons, Pierre Gassmann du Domaine Rolly Gassmann, et Philippe Blanck du Domaine Paul Blanck.
Si la dégustation a permis de goûter à 50 des 51 grands crus alsaciens (seul le Grand Cru Ollwiller n’était représenté), seuls 20 d’entre étaient représentés par 5 échantillons au moins, permettant de tirer quelques leçons du terroir.
Les résultats détaillés de cette dégustation riche en enseignements seront documentés à part, mais pour ne garder que quelques conclusions, la dégustation aura surtout permis de re-évaluer (souvent à la hausse) des vins dégustés au domaine, tendant à confirmer une légère tendance à sous–noter lors des dégustations en compagnie des producteurs. Ce résultat qui peut sembler contre-intuitif de prime abord s’explique peut-être par la volonté inconsciente de corriger les risques attendus de sur-notation. En tout cas cela confirme l’intérêt de la dégustation à l’aveugle, et le seul vin noté 20/20 dans le guide 2011 est un vin qui a été goûté au domaine ET à l’aveugle au CIVA.
4. Edition et remise des textes
La base de commentaires de dégustation étant à jour, la cohérence globale des appréciations a été validée, puis les smileys indiquant les vins prêts à boire de bon rapport qualité prix (« le Bonheur tout de suite ») ont été revérifiés. Il restait à revoir l’ensemble des commentaires introductifs des domaines, en diminuant la taille des textes par la suppression d’informations précédemment publiées, et en collant au maximum à l’actualité de l’année en cours.
Les propositions de classement de 1 à 5 BD ont été soumises, avec des promotions mais aussi des déclassements Si la promotion des domaines est un exercice difficile à faire, par soucis de conserver un classement relatif, c’est que le niveau moyen de la qualité des vins croit d’année en année. En se basant sur la qualité des vins produits dans les années 80, des dizaines de domaines mériteraient sans doute un classement 4 ou 5BD. L’amélioration globale de la qualité des vins fait que de nombreux domaines ne bougent pas dans le classement malgré une qualité en hausse. A l’inverse, les domaines qui n’améliorent pas la qualité de leurs vins risquent de se faire dépasser par leurs voisins, et finalement perdre en classement sans que la qualité soit en baisse. C’est juste qu’elle ne progresse pas comme celle des autres, justifiant un classement relatif moindre.
A partir de là, j’envoie tout le package à Paris (la deadline est le 30 avril) et je prends le temps de souffler un peu !
Thierry Desseauve et Michel Bettane, ainsi que Guillaume Puzo ou Alain Chameyrat vont relire les textes, puis ce sera au tour de l’éditeur de faire une relecture, avec des demandes de précisions quant au fond et à la forme qui vont être échangées par email les semaines qui suivent. Courant Juin il reste à finaliser les divers classements Top5, l’actualité des millésimes et les textes introductifs de la région, et la maquette est préparée.
La mise en page est très importante, et cette année deux changements ont été apportés :
– Le principe de débuter un domaine en début de colonne a été supprimé pour gagner de la place et éviter les blancs dans les pages
– Les vins sélectionnés ont té en partie seulement publiés dans l’édition papier, le reste étant sur la partie web.
Cette dernière décision est importante concernant l’Alsace car le nombre de cuvées est généralement bien plus grand que dans le Bordelais ou en champagne. Pour les domaines classés 3BD et moins, seuls quelques vins ont été publiés dans l’édition papier, avec une sélection difficile mais très instructive des cuvées les plus représentatives de chaque maison. Il eut été plus simple de ne prendre que les vins les mieux notés, au risque de ne proposer que des cuvées rares à la production minuscule, ou de ne garder que les vins secs, sans forcément parler des spécialités de chaque domaine ou des très bons rapports qualité prix de certaines cuvées.
Un article plus complet détaillera les choix qui ont été faits.
Conclusions et perspective pour l’année prochaine
La campagne 2011 marque un nouveau record par le nombre de domaines visités et le nombre de domaines dégustés. Cela représente pour l'Alsace plus de 35 journées pleines passées à déguster, et 15 autres à écrire les textes au propre. Un travail de fond qui permet depuis 4 ans de faire apparaître de nouveaux domaines méritants, et de mettre en avant la diversité des vins d'Alsace de grande qualité. La question du temps reste cependant essentielle, et la technique actuelle montre toutefois ses limites : les dégustations au domaine permettent des rencontres souvent enrichissantes mais présentent des conditions de dégustations très différentes de celles réalisées au CIVA.
Avec les contraintes de temps et la focalisation des dégustations sur la période janvier-mars de chaque année, il faudra revoir l'organisation complète des dégustations l'année prochaine, en particulier remettre tous les domaines sur un même pied d'égalité en terme de dégustation. A l'instar de ce qui est réalisé en Bourgogne ou en vallée du Rhône, les dégustations à l'aveugle devront devenir l'axe principal de la production de notes pour le guide, les visites planifiées toute l'année permettant de rencontrer les vignerons en dehors des délais de production du guide. Cela représentera une grosse différence pour les domaines classés 3-4-5BD qui se verront dans l'obligation de présenter des échantillons, une visite sur place ne remplaçant pas la dégustation à l'aveugle avec les vins des autres domaines. C'est à ce prix que le travail de sélection pourra continuer d'être réalisé en temps et en heure. Le site oenoalsace.com continuera d'être exhaustif et de présenter le résultat de toutes les dégustations, au domaine ou à l'aveugle. Mais nous en reparlerons.
Thierry Meyer, 29 septembre 2010
Retrouvez en annexe la liste des :
• 76 domaines visités pour la campagne du B&D 2011
• 49 domaines référencés qui ont envoyé entre 2 et 10 échantillons
• 68 domaines référencés et 59 domaines non référencés qui ont présenté des échantillons à la dégustation de grands crus
• 16 domaines sollicités qui n’ont pas donné suite à la demande d’échantillons