L'Oenothèque Alsace

Guide B&D 2010 Alsace – le Making Of

Le Grand Guide des Vins de France 2010 est sorti ! Aussi appelé Guide Bettane&Desseauve du nom de leurs deux auteurs, le guide fait appel à des correspondant régionaux pour couvrir en profondeur chacune des régions. Voilà quelques informations détaillées sur le déroulement de la campagne du guide 2010 qui s’est échelonnée pour l’Alsace de novembre 2008 à Mai 2009. Retrouvez le détail des visites et dégustations de plus de 2500 vins dégustés provenant de 261 domaines alsaciens, parmi lesquels 152 domaines et 1409 vins ont été sélectionnés dans l’édition 2010 du guide.

Venez discuter du guide 2010 et du making of Alsace sur degustateurs.com 

Après l’effort du printemps 2008, la dégustation marque généralement un ralentissement, et si l’été 2008 a été l’occasion de découvrir quelques nouveaux domaines, c’est en novembre 2008 que la campagne du guide 2010 a réellement débuté.

David Schildknecht qui déguste les vins d’Alsace pour le Wine Advocate m’a prévenu qu’il venait passer une grosse semaine en Alsace en novembre, et m’a invité à l’accompagner pour venir déguster les 2006&2007 d’une grosse trentaine de maisons alsaciennes. Ne pouvant pas me rendre disponible plus que 3 jours, j’ai finalement partagé avec lui un gros weekend de dégustation, allant découvrir deux millésimes chez Barmès-Buecher, Blanck, Josmeyer, Kreydenweiss, Loew, Albert Mann, Frédéric Mochel, André Ostertag, Pfister, Jean-Paul Schmitt, Weinbach, Claude Weinzorn et Zind-Humbrecht.

Sa présence le WE du 11 novembre m’a permis en outre de faire participer David à la superbe dégustation verticale de très vieux sylvaners organisée le 8 novembre 2008 au château de Kientzheim, ainsi qu’au diner consacré au riesling organisé le soir même à la Taverne Alsacienne… Le fait de regoûter les 2006 et de découvrir les 2007 a permis de comparer les impressions avec celles recueillies en début d’année. David déguste à un rythme de stakhanoviste, et si passer un moment dans la cave du domaine Zind-Humbrecht en compagnie d’Olivier Humbrecht à déguster toutes ses cuvées est un rêve pour beaucoup, en sortant vers minuit après 8 heures passées debout et près de 80 vins dégustés je me suis rendu compte que le métier de critique était parfois un tour de force  physique !

Armé de ces précieuses notes et d’une première impression globale du millésime 2007, il restait à organiser le cœur de la dégustation.  Pour l’Alsace, celles-ci allaient se passer entre janvier et mai, avec trois activités dans le plan d’attaque :

  • Visiter systématiquement chaque année les domaines classés 3BD, 4BD et 5BD
  • Goûter une sélection de vins ou rendre visite aux domaines classés 2BD, 1BD ou simplement mentionnés
  • Découvrir de nouveaux domaines par le biais d’un appel d’échantillon ouvert à tous

  

1. Les visites

Pour les visites, le plan était déjà prêt et j’ai essayé de regrouper les visites par secteur (Si Colmar est à 75 km de chez moi, la Vallée noble est à environ 100km de Strasbourg, donc les aller-retours sont précieux). En plus des domaines à visiter impérativement, j’essaye de visiter au moins une fois tous les domaines classés, et de passer tous les 2-3 ans chez les domaines classés 1BD/2BD. Les demandes de visite ont été faites quasiment toutes par email, un moyen de communication très efficace d’organiser son temps. Dans la liste ci-dessous, vous trouverez le détail des 74 visites effectuées durant la campagne 2010 :

  • 3 nouvelles visites à des domaines qui n’étaient pas référencées
  • 16 premières visites à des domaines classés jamais encore visités
  • 55 visites chez des domaines que je connaissais déjà.

J’organise 4-5 visites maximum par jour, en essayant de visiter cuverie, chai et vignes chez les nouveaux, et en goûtant le dernier millésime en cuve chez les domaines dont je suis le plus familier avec les vins. Combiné avec des gammes de vin variables (de 15 à 35 vins), la durée des visites varie donc entre 1h30 et 3h. L’heure du déjeuner est parfois utilisée pour poursuivre la conversation à table avec un vigneron, mais généralement les sandwichs permettent d’enchainer une visite qui termine à 13h00 avec une visite qui débute à 13h30.

Quelques domaines ont été visités le plus tardivement possibles, car ils ne proposent à la vente que des 2008 et je voulais les goûter après leur élevage : les vins d’Agathe Bursin, d’Etienne Loew, des domaines Roland Schmitt et Maurice Schoech sont dans ce cas. Pour d’autres genre Paul Blanck ou  Trimbach, la mise sur le marché de vins ayant 1 ou 2 ans de bouteilles permet de les déguster plus tôt dans l’année.

2. Les dégustations des vins des domaines connus non visités

Les domaines déjà référencés que je ne pouvais pas visiter ont été contactés par email afin de leur demander de soumettre des échantillons pour que je puisse goûter à leur production. La règle est de demander 12 cuvées différentes maximum aux domaines classés, 6 aux domaines cités pour des réussites individuelles mais non classés. Quasiment tous les vignerons utilisent cette limite maximum, et les 67 domaines qui ont été contactés, 55 ont répondu et ont livrés 434 échantillons. Les vins ont été collectés par le CIVA à Colmar qui cette année encore a fait un énorme travail de manutention, de préparation et d’accueil pour les dégustations. J’ai dégusté la grande partie des échantillons au CIVA, à un rythme d’environ 100-120 vins par jour, dans la salle technique qui offre d’agréables paillasses, un tire-bouchon électrique et un immense local frigorifié qui maintient les vins à bonne température. Serge Giavitto du CIVA est un formidable logicticien/caviste et responsable de la cave qui avait archivé consciencieusement les secondes bouteilles à ouvrir en cas de bouchon ou d’autres problèmes.  Lors des trois jours d’affilée réalisés en février, j’ai publié une première note sur les impressions à chaud.

Dans le cas de ces dégustations, les vins sont dégustés domaine par domaine en essayant de les regrouper géographiquement dans une même journée pour avoir une unité de terroir, voire des grands crus identiques. Les vins sont dégustés étiquette découverte, et plusieurs fois j’ai été assisté d’une personne qui m’a accompagné toute la journée pour découvrir le travail que je fais et m’aider dans la compréhension technique de certains défauts. Les œnologues amies Evelyne Bléger (Cave de Ribeauvillé), Mélanie Pfister (Domaine Pfister) et Eliane Ginglinger (Domaine Ginglinger-Fix) ont donc partagé de belles journées riches en découvertes plus ou moins heureuses, et Stéphane Wasser est venu me rejoindre pour affuter son sens aigu de la dégustation et comprendre comment on pouvait donner des notes aux vins de manière assez fiable. Après une demi-journée à déguster ensemble, chaque personne qui m’a accompagné arrivait à donner dans 9 cas sur 10 des notes sur 20 similaires aux miennes ( à 1 point près).

3. Les dégustations hors domaines connus

En plus des domaines déjà connus et des nouvelles visites, le meilleur moyen outre le bouche à oreille pour découvrir de nouveaux talents est de faire un appel d’échantillons. Par le biais du CIVA qui envoie tous les mois un courrier à tous les domaines alsaciens, un appel d’échantillon a invité les domaines qui n’étaient pas encore référencés (et donc pas encore contactés cette année pour une visite ou une demande d’échantillons) à présenter 3 vins issus de leur production, choisis parmi les cuvées qui seront en vente à l’automne 2009. 121 domaines pont envoyé 363 bouteilles, et pour cette collecte du CIVA, les flacons ont été anonymisés par le biais d’un film plastique, répertoriés, puis classés pour être dégustés à l’aveugle. L’idée était de gouter les AOC Crémant d’Alsace par ordre de sucrosité croissante, puis les AOC Alsace  par cépage et sucrosité croissante (alcool croissant pour les pinots noirs, secs par nature en théorie). Enfin, les AOC Alsace Grand Cru ont été dégustés par terroir (« Sommerberg », « Brand » … et non par famille de terroir genre « granitique »), puis par millésime et par sucrosité croissante, indépendamment du cépage. Cela a permis de goûter les vins de terroir en fonction de leur origine et non de leur cépage.

La dégustation de ces 363 échantillons a été faite au pas de charge en deux jours, l’objectif étant de trier rapidement les lots de manière à sortir quelques flacons et repérer de nouveaux domaines. La formule n’est bien entendue pas parfaite, mais compte tenu du temps disponible, j’ai pensé que c’était mieux que de ne pas goûter ces vins. La grosse déception est venue de la qualité moyenne extrêmement basse des vins dégustés (moyenne de 11.4/20 pour les vins AOC Alsace, 11.8/20 pour les vins AOC Alsace Grand Cru). Plus que le sucre résiduel gênant, c’est la dilution qui entache de nombreux 2007, et leur ôte un quelconque caractère qu’on pourrait attribuer à la typicité de leur appellation : peu d’arômes, peu de goût, on peut se réjouir que les vins sont généralement exempt de défaut, ce qui rassure sur le bon niveau des vins d’Alsace, mais étant exempt de qualités, seule un prix très bas ou une consommation locale peuvent être des raisons valables de les consommer.

Conclusions

La campagne 2010 sera une campagne record par le nombre de domaines visités et le nombre de domaines dégustés. Cela représente pour l'Alsace 30 journées passées à déguster, et 20 autres à écrire les textes au propre. En goûtant du Nord au Sud divers niveaux de qualité, on replace plus facilement chaque terroir dans son contexte, et chaque vin dans sa gamme en comparaison des vins de ses voisins.

Les visites sur place sont autant de moyens de constater le travail dans la vigne et en cave, et de recevoir une partie de l’énergie émise par tous les entrepreneurs alsaciens qui oeuvrent pour produire le meilleur vin possible et le proposer au bon public.

Le paradoxe de la région est que d’un coté les meilleurs vins offrent une vraie personnalité qui reflète la grande diversité des terroirs alsaciens, et dans ce cas ils ont des rapports qualité prix exceptionnels en regard des meilleurs vins blancs du monde. Et de l’autre coté, une production banale de vins souvent vendus plus de 5 euros qui n’offrent pas grand-chose de plus que n’importe quel vin vendu 5 euros en France. Ce serait surement caricaturer que de dire que ceux qui font bon vendent tout et que les autres ne vendent rien, la réalité est malheureusement autre : ce sont souvent ceux qui font très bon à petit prix mais qui sont encore méconnus qui galèrent, et ceux qui produisent du standard en grande quantité qui ont la force de frappe commerciale pour positionner les vins dans les linéaires.

En tout cas, la lecture du guide et celle du site pour les abonnés réserve son lot de surprises avec de superbes affaires à faire dans les millésimes 2008, 2007, 2006, et parfois encore 2005 et 2004. La diversité des vins d’Alsace permet à chacun de découvrir son terroir de prédilection et de se faire plaisir à prix sage.

Thierry Meyer, 20 août 2009

Retrouvez en annexe la liste des :

  • 74 domaines visités pour la campagne du B&D 2010
  • 55 domaines référencés qui ont envoyé entre 3 et 12 échantillons
  • 121 domaines non référencés qui ont présenté 3 échantillons chacun
  • 11 domaines sollicités qui n’ont pas donné suite à la demande d’échantillons