L'Oenothèque Alsace

OENOALSACE.COM

364 vins en trois jours – réflexions à chaud

J’ai eu l’occasion fin février 2009 de déguster de nombreux échantillons de vin d’Alsace, dans le cadre du guide pour lequel je travaille. Les 364 échantillons de 38 domaines dégustés en trois jours amènent quelques réflexions à chaud, sur les millésimes, la minéralité, les bouchons, l’élevage bois et le sucre résiduel….

Millésimes : 2007 est plus hétérogène qu’initialement pensé l’année dernière. D’un coté, si l’état sanitaire était nettement meilleur qu’ne 2006, la maturation terminale des raisins a pris du temps, au détriment parfois de l’acidité. De nombreux vins, rieslings et pinot gris en particulier, ont terminé avec des acidités perçues qui étaient insuffisantes pour leur donner du peps. A l’opposé, certains vins manquent de maturité, même sur les grands crus. La volonté de rentrer une vendange pour éviter la pourriture de 2006 s’est aussi doublé de quelques retards de maturation, et de raisins qui ne voulaient pas aller plus loin en maturité sans perdre leur acidité. En ajoutant la grêle sévère qui a frappé le secteur d’Ammerschwihr à Beblenheim et quasiment détruit une grande partie de la récolte autour de Bennwihr, il reste encore de nombreux vins imparfaits. Le millésime 2006 continue d’être très hétérogène, à la fois magnifique pour les meilleures cuvées et horriblement champignonné pour les plus mauvaises. Les bouteilles rapidement refroidies au contact d’un frigo très glacé ont cependant tendance à plus avoir le goût de champignon que les bouteilles remontées de la cave et carafées une heure. La claque du froid les dessert. Les VT et SGN du millésime arrivent aussi sur le marché, et il y a de fortes différences entre des cuvées qui sont devenues VT par dépit (à défaut de pouvoir faire autre chose avec des raisins fortement pourris), et celles qui étaient prévues depuis le début de l’année. Les meilleures cuvées montrent une bonne maîtrise du botrytis, comme le surprenant gewurztraminer SGN 2006 de Guillaume Rapp à Dorlisheim, d’une pureté et d’une profondeur remarquable. 2005 est un millésime aboutit quoi se déguste superbement bien, tant en sec qu’en VT/SGN. Quelques cuvée sont cependant évolué rapidement. Il reste encore quelques 2004 à la vente par ci par là : si les rieslings gagnent en minéralité et perdent en arômes de bouillon blancs, certains pinots gris et toutes les cuvées trop moelleuses ne gagnent pas en équilibre et conservent leurs arômes d’asperge.

Minéralité : le développement du travail des sols, chez les bios et chez les autres, a clairement séparé les cuvées. D’un coté, des vins construits sur une minéralité très présente en bouche sous la forme de salinité importante relayée par l’acidité, quel que soit le cépage, avec un habillage du à l’élevage qui leur apporte arômes Francs, densité et gras en bouche, et belle harmonie. De l’autre coté, le même habillage, mais sans la minéralité. Quand on ne se préoccupe que de l’habillage, on ne voit pas la différence. Avec un peu d’attention, les vins à la minéralité affirmée possèdent plus de goût et plus de vie. Un monde sépare les meilleures domaines dégustés (Jean-Marc Bernhard, Paul Kubler, Valentin Zusslin, Sylvie Spielmann par exemple) des autres.

Bouchage : nous avons rencontré environ une vingtaine de bouteilles liégeuses,  ce qui représente environ un taux de 15% de défaut, en enlevant les bouteilles bouchées en DIAM, bouchon synthétique, bouchon verre ou capsule vis. Ce taux reste élevé, surtout que dans un quart des cas, il s’agissait pas d’un goût prononcé de liège, mais de défauts que nous avons imputés au bouchon et qui ont disparu lorsque nous avons goûté. Malgré cela, certaines 2006 et 2007  bouchés en synthétique perdent de leur fraîcheur et intensité aromatique  qui caractérise les vins d’Alsace, les rendant mou pour un certain temps. Certains arrivent très bien à produire des bouteilles bouchées en synthétique parfaitement fraîches (Jean-Marc Bernhard par exemple), démontrant qu’en choisissant le bon produit et en effectuant la bonne viification on arrive à de bons résultats.

Elevage en barrique : Si certaines pinots noirs continuent d’être horriblement barriqués sans autre matière que le bois, les cuvées surextraites sont en diminution sensible – crise oblige ? On trouve de beaux pinots noirs plein de fruits en 2006 et 2007, des vins souvent clairets mais qui ont du fond. Quelques grandes cuvées sur les secteurs de Wettolsheim ou Orschwihr ont toutefois encore démontré qu’on peut faire de grands rouges en Alsace. Pour les blancs, la tendance au bois neuf  suit son chemin, et il n’est pas rare de voir par ci par là des pinots blancs, pinots gris voire rieslings élevés sous bois. Les premières années de production sont souvent trop boisées, – histoire que les barriques prennent de l’âge ? – , mais avec le temps on trouve de très belles choses. Philippe Kubler travaille ses vins sur lies en barrique ancienne, ce qui leur apporte un léger boisé perceptible au beau milieu d’une dégustation d’autres vins, mais le résultat est absolument remarquable en 2007. Son Sylvaner Z issu du Zinnkoepflé est probablement le plus beau sylvaner produit en Alsace en 2007.

Sucre résiduel : comment ne pas parler de ce sujet récurent ? Il continue de chatouiller le palais du dégustateur lorsqu’il est en excès. Et tout d’abord sur le crémant. Dépasser 11 g/l de sucre restant au dosage dans un crémant est une ineptie, et quand on atteint 13.5 g/l chez certains, on est proche du demi-sec. Lorsque le dosage élevé compense une matière qui manque de maturité et reste verte malgré une malo, cela donne un certes un équilibre, mais un équilibre bancal. Que tous les producteurs de mousseux en Alsace goûtent au moins une fois dans leur vie le Crémant extra brut 2005 de Paul Gaschy pour comprendre qu’on peut faire des crémants à 2g/l de sucre résiduel qui sont extraordinaires de maturité et de vinosité. Sur les blancs tranquille, il y a plusieurs problèmes liés au sucre restant. D’une part, des vins qui n’ont pas tout à fait fini leur fermentation, et dans lesquels il reste  entre 6 et 9 g de sucre, ce qui leur donne une coté doucereux qui les rend mou, surtout les pinots blancs, riesling, sylvaners. Ensuite, il y a des vins à l’équilibre demi sec, comme tous ces rieslings 2006 au parfum d’agrumes confits, qui gardent 15-20 g/l de sucre et conservent un équilibre lourd. Enfin il y a tous les pinots gris et gewurztraminers dénués de minéralité qui possèdent 40-60 g/l de sucre et se présentent comme des bonbons sucrés, agréable bien frais lors d’une dégustation, mais impossible à placer. Rien à voir avec un Gewurztraminer Clos Windsbuhl 2007 de Zind-Humbrecht à près de 90g/l de sucre restant, ou d’un Altenberg de Bergheim de Deiss à près de 100 g/l de sucre qu’on ne sent quasiment pas tellement la minéralité est forte.

Les domaines les mieux classés font l’objet d’une visite annuelle sur place, donc c’est certain que les vins dégustés ne font pas tous partie de l’élite absolue de la région. Je ressors quand même assez frustré de ces trois jours de dégustation au cours desquels j’ai côtoyé des vins chers qui ne valaient pas tripette, et d’autres qui donnent vraiment envie d’être bus, vendus trois fois rien.  Trouvez moi un pinot blanc meilleur que le pinot blanc vieilles vignes 2007 de Klee frères (5€), un sylvaner meilleur que celui de Louis Scherb à Gueberschwihr (4.3€ le 2007 et 2008), un pinot gris plus plaisant que la cuvée Tradition 2007 du Domaine Pfister (7.5€), un riesling meilleur que la cuvée de base de Claude Weinzorn (7.5€ le 2006 et 2007), sans parler du Crémant de Paul Gaschy mentionné ci-dessus et vendu 6.6€…
La tentation est parfois forte de donner une meilleure note à un vin qu’on aime moins, juste parce qu’il est plus concentré, plus riche, plus acide, plus sec et j’en passe. Mais si fondamentalement on n’a pas envie de ramener le flacon entamé chez soi le soir, à quoi bon accorder une meilleure note ?
Le travail de critique est une constante remise en question qui puise son énergie dans le sens que donnera – ou pas – ce qu’il écrit à celui qui le lira.

Thierry Meyer